La fin de la malédiction des Cubs serait-elle une bonne chose pour le baseball ?

Une victoire des Chicago Cubs en finale de la National League et en World Series, serait-elle une bonne nouvelle pour le baseball ? Assurément pas. Ce serait même un drame, disons-le clairement.

 

Pour rappel, la dernière victoire des Cubs en World Series remonte à 1908 et leur dernier fanion de la National League à 1945. Le 6 octobre 1945, un tavernier du nom de Billy Sianis vit son entrée à Wrigley Field refusée à cause de la présence de son bouc Murphy. Il maudit alors les Cubs, créant une malédiction qui dure depuis et qui a vu les Cubs enchaîner les saisons sans titre. Privés de victoire en World Series, ils le sont aussi pour le titre de la National League depuis 1945. Pourtant, la mythique franchise de la Cité des Vents a connu de superbes équipes capable d’aller au bout.

On pense à l’équipe formidable de 1969 avec les futurs Hall of Famers Ernie « Mr. Cub » Banks, Ron Santo, Ferguson Jenkins, Billy Williams et le manager Léo Durocher, ancien joueur de légende également. Ou encore celle de 2003 avec de grandes stars telles Moises Alou, Sammy Sosa, Carlos Zambrano et Dusty Baker aux commandes. Mais que ce soit un chat noir en 1969 ou l’incident Steve Bartman en 2003, ces équipes de talent n’ont pu vaincre la malédiction de « Billy Goat ».

Et là, c'est le drame !
Et là, c’est le drame !

Les Cubs sont tout simplement les plus grands losers du sport US voir mondial. Un mythe, une institution du sport, bien au-delà du seul baseball. Là où les Yankees sont devenus un mythe par la victoire, les Cubs le sont devenus par la défaite. Or, les Yankees gagneront toujours. Même en traversant quelques passes difficiles, comme dans les années 70 et 80, ils seront toujours capables de créer des équipes invincibles, de remporter des titres, de perpétuer une tradition de gagnants. Mais si les Cubs venaient à gagner, que se passerait-il ? Ils deviendraient une franchise banale. Ils deviendraient les Red Sox !

Une franchise qui gagne, qui perd. Une franchise comme les autres. Une franchise sans magie. C’est ce qui est arrivé aux Boston Red Sox en 2004 quand ils mirent fin, avec classe, à la malédiction du Bambino. Ils regagnèrent le titre en 2007 puis en 2013, connaissant aussi des saisons catastrophiques ou moyennes. La magie, qui faisait de Boston une équipe maudite, avec des matchs épiques contre les Yankees, à la recherche d’une nouvelle gloire face aux ennemis du Bronx, a commencé à les quitter quand ils sont parvenus, en 2004, à leurs fins. Depuis, les restes de cette magie au sein de Fenway Park, se résument à une rivalité Yankees-Red Sox devenue bien trop fade. Et la récente retraite de Big Papi, dernier grand héros du titre de 2004 présent encore sur le terrain, va éteindre définitivement cette magie.

C’est aussi le sort qui attend les San Francisco Giants. Ces derniers ont eu la bonne idée de faire succéder à la malédiction du Captain Eddie Grant, qui débuta en 1958, une bénédiction des années paires les voyant, souvent à la surprise générale, s’imposer en World Series. Cela a marché à trois reprises, de 2010 à 2014. Mais avec leur récente défaite en NDLS face aux Cubs, ils vont rentrer dans le rang. Ni bénie, ni maudite, pas spécialement perdante, pas spécialement gagnante. Bien sûr, Cubs, Giants, Red Sox seront toujours des franchises beaucoup plus mythiques que les Texas Rangers, les Minnesota Twins ou les Washington Nationals. Elles ont l’ancienneté et la glorieuse histoires de franchises comme les Dodgers ou les A’s. À ceci près que ces deux franchises ont ce petit plus qui les détache. Jackie Robinson et son numéro 42 pour les Dodgers. Les A’s, la révolution Moneyball de Billy Beane. Le petit plus des Red Sox, des Giants et des Cubs ce sont, ou c’étaient pour les deux premiers, leur malédiction.

 Incident Steve Bartman. Ce moment de légende deviendra une simple anecdote en cas de victoire des Cubs
Incident Steve Bartman. Ce moment de légende deviendra une simple anecdote en cas de victoire des Cubs.

Mais plus grave encore, en cas de victoire des Cubs, c’est la MLB qui sera perdante. Et quand la MLB perd, c’est le baseball tout entier qui perd. Ce qui rend le baseball unique vis à vis des autres disciplines sportives, ce ne sont ni ses règles ni ses stades en quart de cercle, c’est sa dimension ésotérique. Plus que tout autre sport, le baseball s’est affranchi des règles cartésiennes qui ont régi le sport moderne dès la fin du 19ème siècle. Et à l’air du sport business, des statistiques et de l’aseptisation du fait sportif, ce lien qu’entretient le baseball avec le surnaturel est la garantie de résister, au moins partiellement, aux méfaits actuels de l’économie sportive. Ce lien nous rappelle que le baseball n’est qu’un jeu d’enfants, même pratiqué pour des millions de dollars. Il nous rappelle qu’il y a plus important que la victoire ou la défaite d’une équipe. Qu’elles ne sont que des détails face aux vraies questions que posent la vie. Et nous rappelle que la grandeur n’appartient pas qu’aux vainqueurs mais que la défaite peut aussi être source de gloire.

Ces malédictions qui ont constellé avec bonheur l’histoire de la MLB furent autant d’éloge à la tolérance, à la fidélité et au dépassement de soi face au destin. Comme l’erreur au baseball qui force le joueur à puiser au plus profond de lui la volonté de faire face à la balle encore et encore. Les Cubs illustrent cette bataille menée contre la fatalité et l’adversité. Une version moderne du mythe grec de Sisyphe et de son rocher, destiné à ne jamais accomplir sa tâche.

Bernard Malamud, qui a écrit l'un des plus romans du baseball, The Natural (Le Meilleur), est d'accord avec moi en plus !
Bernard Malamud, qui a écrit l’un des plus beaux romans du baseball, The Natural (Le Meilleur), est d’accord avec moi en plus !

La malédiction des Cubs est l’ultime vestige d’une époque où le baseball évoluait à un tout autre niveau que le football américain ou le basket. Quand les Wilt Chamberlain ou les Joe Montana entraient dans la légende du sport comme des superstars, les Babe Ruth, Ted Williams, Honus Wagner, Cy Young, Jackie Robinson, Nolan Ryan, Ty Cobb, Shoeless Joe Jackson et autre Sandy Koufax devenaient des mythes. Car, le baseball est fait de dieux et demi-dieux. Il n’a pas bâti une histoire mais une mythologie. Après tout, son histoire mythologique n’est elle pas celle des États-Unis. Alors que le football américain et le basket n’étaient pas encore des idées, le baseball était l’un des traits d’union qui fédéra un pays ravagé par la guerre civile. Si le football américain est aujourd’hui le sport numéro 1, d’un point de vue économico-sportif, le baseball est et restera le National Pastime, symbole d’une Amérique rêvée, idéalisée, souhaitée.

Et c’est pourquoi il est vital que les Cubs perdent cette série finale de la National League. Leur défaite sera la victoire du baseball. Du vrai baseball. De ce jeu unique surpassant la Raison même. Surnaturel et éternel. Un baseball évitant les écueils du sport business, nous rappelant à une constante humilité, aux joies enfantines et à la nécessité de toujours avancer dans l’adversité. À ne jamais renoncer. La malédiction des Cubs est l’ultime rempart contre un baseball aseptisé. Gardons intact la magie du baseball. Souhaitons aux Cubs une histoire pleine de défaites glorieuses.


6 réflexions sur “La fin de la malédiction des Cubs serait-elle une bonne chose pour le baseball ?

  1. Tu as mis la dose. Fais analyser ton ketchup, on sait jamais.
    Que les Yankees soient un mythe. Vu leurs résultats cette saison, ça ne fait aucun doute. Que les Red Sox soient une franchise banale a de quoi laisser dubitatif. Ils le seraient pourquoi ? Parce qu’ils gagnent seulement tous les quatre ou cinq ans ? Il y a combien de franchises engagées dans la MLB et combien d’entre elles ne gagnent jamais ? Et puis, vu l’accueil réservé à « Big Papy » à travers tout le pays, sans compter un nombre de fans un peu partout, on peut douter de la banalité bostonienne.
    Enfin, USA et base-ball sont indissociables, comme cricket et Angleterre. Leurs histoires s’entremêlent. Tous les autres sports sont universitaires, football US et basket-ball. Le foot a même un inventeur précis cherchant à marquer le caractère US et à se démarquer du rugby. Le basket-ball est le fruit d’un sport d’entraînement l’hiver en salle. Mais le base-ball, lui, est issu de ces émigrants irlandais et anglais, qui ont importé avec eux les rounders. Et c’est sur le sol américain qu’il a élaboré ses règles. Il est devenu en pleine ségrégation le premier sport mixte noir-blanc.
    Un copain américain, arrivé en 1969 en France et réfugié politique refusant d’aller au Vietnam, puis étant installé à Paris depuis lors, continuait d’aller faire renouveler sa carte de séjour alors qu’il vivait avec une Française et avait des enfants. Quand on lui demandait pourquoi il ne prenait pas la nationalité française et qu’il se cassait la tête à rentrer régulièrement aux USA pour ne pas perdre sa nationalité américaine, il répondait : « Que veux-tu, je suis et je resterai toujours américain. À quatre ans, j’ai commencé à jouer au base-ball avec mon père. »
    Alors, non, la MLB ne risque rien si le club préféré d’Al Capone, les Cubs l’emportent.
    Quant aux Cubs, ils resteront toujours la mythique franchise du sud de Chicago, tout comme les Red Sox sont celle du Mayflower.

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  2. Ah voilà, on touche aux Red Sox et ça y est, ça s’emballe ! J’ai grossi un peu le trait, voulant provoquer le débat et je rappelle dans le billet que les Red Sox restent, comme les Giants, des franchises à part pour tout un tas de raison. Mais je n’en démords pas. Les Red Sox d’avant 2004 avait quelque chose de plus dans leur malédiction. Quelque chose au delà d’une mythique franchise de baseball comme le sont les Dodgers ou les Reds de Cincinnati. Leur incapacité à vaincre la malédiction les rendaient uniques ou presque. Oui, c’est la franchise de Mayflower. Oui, c’est Fenway Park et the Green Monster, oui c’est la franchise de Ted Williams mais il s’est perdu quelque chose. On voit ça avec la rivalité Yankees-Red Sox qui a vraiment perdu de sa superbe.

    Après, Big Papi a reçu ces hommages parce que, justement, il a appartenu à ces maudits Red Sox qui ont finalement gagné et il représente donc une époque mythique. Et qu’il a construit derrière une carrière de Hall of Famer même si, pour moi, il est un cran en dessous d’un Derek Jeter tant sur le jeu que sur le symbole que représente Jeter dans le sport et l’Amérique.

    Les Cubs resteront un club à part et, en faisant vivre la mémoire de leur siècle maudit, on pourra peut-être garder en vie un peu de magie. Mais je ne suis pas sûr que les générations actuelles qui supportent les Cubs, en France et ailleurs, puissent entretenir cette flamme. Ils se basent sur le sportif et le sport spectacle sans prendre en compte la mémoire du club et son impact sur la mythologie du baseball. Quand j’ai lu aujourd’hui que les Cubs de 2016 méritaient de gagner… pas plus que les Dodgers 2016 ou les Indians 2016. Et certainement pas plus que les Cubs de 1969 avec tous ces futurs Hall of Famers dont Ernie « Mr Cub » Banks. Lui méritait vraiment de gagner avec les Cubs.

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  3. Il n’y a jamais eu de billy goat curse, Sianis a tout mis en scène. Il a effectivement amené sa chèvre (pour faire de la pub pour son pub, comme il le faisait de temps en temps) mais après un rain delay l’odeur de la chèvre dérangeant tellement les voisins, il s’est fait mettre dehors par les ushers. Il pensa a faire des photos à la sortie du stade, et puis c’est tout.
    Lorsqu’un journaliste de la tribune trouva en 1967 que les Cubs jouaient bien, il se mit à faire des recherches sur les dernières années victorieuses et tombant sur des photos de Sianis il décida de l’appeler… Sianis, pas bête, senti l’opportunité d’une nouvelle pub pas cher expliqua l’histoire de la curse dont personne n’avait entendu parler avant… et les journalistes ont fait la suite…
    Quand à Ernie, Billy W. et Ron S, ils auraient vraiment mérité un titre… mais là il y a vraiment eu la malediction du chat noir… (mais c’est une autre histoire.)

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