De Miguel à Miggy Cabrera

Ça y’est il l’a fait ! Miguel Cabrera est rentré dans le club très fermé des joueurs ayant frappé 500 Homeruns en carrière. Ce club exclusif ne compte que 28 membres et Miggy devient le premier vénézuélien à y entrer. Mais plus que ses performances sur le terrain, c’est aussi son attitude sur – mais surtout – en dehors du terrain qui font de Miguel Cabrera un joueur à part. Toujours le sourire, à faire une petite blague à un adversaire sur les bases, mais dès qu’il entre dans la boite des batteurs, il se transforme en tueur. En presque 19 ans de carrière au plus haut niveau, il a tout connu : le titre suprême avec les Marlins, les désillusions avec les Tigers, son déclin progressif puis cette course aux Homeruns qui a revigoré le slugger sur cette fin de saison 2021.

Pourtant pour parvenir jusqu’ici, il a fallu de l’abnégation de sa part mais aussi de scouts qui ont cru en lui. Retour sur la naissance de la légende Miguel “Miggy” Cabrera. 

Photo : Detroit Free Press

Nous sommes en 1998 dans une petite cité à proximité de Maracay, 5e ville la plus peuplée du Venezuela. Dans un petit complexe sportif répondant au doux nom de Estadio David Torres, où le terrain de baseball est composé de sable, d’herbe et de cailloux. D’habitude un jeune garçon longiligne de 15 ans est déjà en train de détruire des balles. Pourtant ce jour là pas de Miguel Cabrera quand Louie Eljaua, scout en Amérique Latine des Marlins, arrive au terrain. Eljaua à la pression car le responsable du scouting de la Franchise, un certain Al Avila, aujourd’hui GM des Tigers, lui a donné une tâche simple : « Trouve moi le meilleur joueur possible ». Simple, efficace. Ca tombe bien depuis un an et un tournoi de sélection pour l’équipe nationale, son scout de la région, Miguel Garcia, lui tanne les oreilles concernant ce Miguel Cabrera.

Miguel Cabrera ne connaitra que deux clubs dans sa carrière les Marlins, club de son explosion et les Tigers, franchise où il écrira sa légende. Photo : Daily News.

« Pourtant il ne sera pas sélectionné, les coachs pensaient qu’il était trop lent pour l’équipe. Cela a été un énorme avantage pour nous car il n’a pas joué ce tournoi international et du coup peu d’équipe ont pu le voir à l’œuvre. » se rappelle le scout dans des propos relayés par Detroit Free Press. Garcia ira voir 5 fois le jeune joueur et prendra contact avec la famille de Cabrera et nouera des liens forts. La mère, Gregoria est une ancienne joueuse de l’équipe nationale de Softball. Le père, Miguel, est un joueur amateur et travaille dans un garage. Son oncle, David Torres, est un ancien minor leaguers des Cardinals, et a aidé à entrainer le jeune Miggy. En discutant avec le jeune homme, Garcia est surpris de sa maturité, Cabrera veut « avoir une carrière comme Dave Concepcion (NDLR : joueur vénézuélien qui a joué 19 saisons entre 70 et 89 pour les Reds de Cincinnati). Je veux être le meilleur. Ce que je fais actuellement n’a rien à voir avec ce que je vais faire. Vous verrez. Je vais jouer en MLB et être un être un très bon joueur ». Convaincu par son niveau et par la détermination hors norme du garçon, Garcia va tanner son responsable, Louie Eljaua pour venir voir le jeune Miggy.

Nous revoilà donc au Estadio David Torres, où Eljaua attend le jeune garçon avec la mère. Quand soudain, arrive du bout du terrain, le jeune Miguel Cabrera escalade le mur du fond avant de franchir d’un saut le grillage qui fait facilement 1m50. Il s’excuse immédiatement pour son retard, il devait finir ses devoirs, lui qui est un élève émérite. Avec son visage juvénile, Eljaua s’attend à tout, mais dès que Miguel entre dans la boîte des batteurs, il est immédiatement subjugué. Avec déjà sa batte en bois, l’adolescent détruit les balles. Grâce à son swing caractéristique et qui est toujours le même aujourd’hui, il envoie avec facilité les balles par-dessus la clôture en champ gauche, centre et droit et surtout là où le demande le scout. En défense, là aussi Cabrera fait le show. Au poste d’arrêt-court, il semble avoir un aimant dans le gant car toutes les balles trouvent toujours le chemin de sa mitaine alors que le terrain est loin d’être idéal.

Le rapport que va faire Eljaua est désormais conservé au Hall of Fame. Le scout est tellement excité qu’il se dit à lui-même de faire attention à ne pas surnoter. Pourtant les notes tombent.

Rapport dithyrambique de Louie Eljaua après avoir observé Miguel Cabrera pour la première fois. Photo : Archive du Hall of Fame relayée par The Atlhetic

Sur une échelle de 20 à 80, il lui donne 70 en puissance et 65 en capacité à frapper. En défense même tarif avec des 70 au rendez-vous notamment pour la précision. En rentrant à Caracas, Eljaua se dépêche d’appeler le responsable du scouting pour l’Amerique latine, Al Avila. Il demande à son boss de mettre l’ensemble de l’argent disponible sur le garçon. Avila se méfie, évidemment, sur ce garçon qui est le premier joueur proposé par son scout. Mais Eljaua insiste et propose à Avila de venir voir Cabrera et si ce dernier ne lui convient pas, il ne prononcera plus jamais son nom. Quelques semaines plus tard, les deux se retrouvent pour un match de l’équipe de Cabrera. Il s’avère qu’il sera encore meilleur en match que pendant la session d’entrainement. Par la suite, les deux hommes des Marlins vont diner avec la famille puis finir la soirée chez les Cabreras à discuter baseball.

C’est grâce à cette connexion créée par Garcia d’abord puis Eljaua et Avila que les Marlins vont s’offrir les services du jeune homme. Il faudra attendre un an avant qu’il ait l’âge requis pour s’engager avec la franchise floridienne. Il signera un contrat avec à la clé un bonus d’1,8 millions de dollars, ce qui à l’époque était un record pour un joueur vénézuélien. On apprendra plus tard que d’autres équipes avaient offert plus d’argent. Il faut dire qu’en un an, Miggy n’était plus un inconnu puisqu’il a participé à de nombreux tournois. Mais la relation entre Cabrera et les 3 scouts a convaincu le garçon.

Cabrera et Dontrelle Willis chez les Marlins, une histoire d’amitié qui date depuis leur premier Spring Training ensemble. Photo : Marcio Jose Sanchez/Associated Press

Lors de son arrivée aux Etats-Unis, Miguel ne parle pas un mot d’anglais. Pourtant sa bonne humeur est déjà contagieuse. Nous sommes en 2002 au Spring Training des Marlins, un lanceur de 20 ans vient d’être échangé et arrive dans la franchise floridienne. Il s’agit de Dontrelle Willis, qui gagnera plus tard le surnom de D-Train après avoir gagné le trophée de Rookie de l’année et obtenu une 2e place au Cy Young en 2005. Mais pour l’instant le lanceur à 20 ans n’est encore qu’un jeune lanceur avec une gestuelle très particulière sur le monticule et une casquette vissée de travers sur la tête. Pendant son entrainement, il entend des rires, il s’agit du jeune Cabrera. Ce dernier s’avancera et dira « je t’aime bien toi, tu lances bien », se remémore Willis dans des propos relayés par The Athletic. Le début d’une belle amitié.

Une ascension éclaire !

« Que ce soit en Simple A ou en Double A, Miguel a toujours été le meilleur joueur sur le terrain. Je l’ai vu nous faire gagner des matchs à lui seul » se souvient le lanceur double All-Star. Pourtant en 2003, c’est Willis qui est appelé par les Marlins en premier. Miguel Cabrera n’est pas déçu au contraire, il est ravi pour son ami à qui il donne un grand câlin et lui offre 300 dollars en lui promettant qu’il sera juste derrière lui. Il faudra attendre 6 semaines pour voir Miggy arriver en MLB. C’était un 20 juin face à Tampa Bay. Son premier match est compliqué, il affiche un 0-4 au bâton avec un strike out. Pourtant sur le banc, Willis en est certain et l’affirme auprès de ses partenaires, « quelque chose de gros arrive, je suis sûr qu’il va frapper ». Nous sommes dans la 11e manche et le lanceur de relève Al Levine qui est sur le monticule, il se souvient dans The Athletic : « C’est son passage au bâton, le coach Lou Piniella (NDLR : une légende du coaching) me dit, on ne connait rien de lui, soit devant au compte, lance-lui une balle rapide. Et c’est ce que j’ai fait ». Le reste appartient à l’histoire, le gamin, frappe un HR et offre la victoire aux Marlins. Pour son premier match, Cabrera signe un walk-off. De quoi commencer en beauté.

2003 est une année magnifique pour Cabrera mais aussi pour la franchise des Marlins. En effet cette année-là, l’équipe floridienne défiera les pronostics et ira remporter les World Series, pour la 2e fois de sa jeune existence, 10 ans après sa création. Qui plus est face à l’ogre Yankees. C’est d’ailleurs sur cette scène magnifique que Cabrera va s’inviter à la table des plus grands et devenir un nom en MLB. Dans le match 4, il est face à la légende Roger Clemens, de 21 ans son ainé. Sur le premier lancer, la balle frôle le Vénézuélien, qui pas déstabilisé par l’enjeu lance un regard à Clemens. Quelques lancers plus tard, il balancera la balle du joueur des Yankees par-dessus la clôture en champ droit pour donner un avantage de 2-0 à son équipe. Le début de la légende.

En rentrant au pays cette année-là, Cabrera est déjà une légende vivante et il est acclamé partout où il passe. Déjà, alors qu’il a à peine 20 ans. Depuis, il est une figure emblématique pour la majorité des jeunes joueurs vénezueliens mais aussi sud-américains. Pourtant ce pays a produit de nombreux grands joueurs, mais statistiquement Cabrera les a tous dépassés. De par son éthique de travail irréprochable, il en est désormais à deux titres de MVP, une triple couronne (NDLR : Meilleur frappeur de HR, meilleure moyenne au bâton et plus grand nombre de point produits sur une même saison) et 11 participations au All-Star Game. Il est considéré comme l’un des meilleurs frappeurs de sa génération et se dirige vers une entrée au Hall of Fame dès sa première année d’éligibilité.

Cependant, depuis 2016 et son immense contrat signé avec les Tigers, il est la cible des fans en colère face à sa baisse de régime. Il faut dire qu’il a du mal à justifier les 30 millions par saison. On le sait, ces dernières années, il est loin de son niveau, son genou lui jouant des tours. Il a joué avec ces douleurs pendant ses années Tigers lorsque la franchise passait tout proche de remporter le titre sans jamais y arriver (2 défaites en Finale de conférence, un revers en World Series, en 3 ans). Mais en 2021, c’est une autre histoire, il a commencé cette saison en beauté avec ce HR lors de l’Opening Day sous la neige. Et depuis le All-Star Game, il est absolument en feu et il a réveillé quasiment à lui seul le Comerica Park avec sa course au 500 Homeruns.

Miguel Cabrera entre dans la légende comme le 28e joueur de l’histoire à frapper 500 Homeruns en carrière. Photo : Daniel Shea for The New York Times

Après 8 matchs d’attente, il l’a enfin fait, Cabrera est devenu le 28e joueur de l’Histoire à frapper 500 Hrs en carrière. Désormais il part en quête d’une autre prestigieuse étape, la barre des 3000 hits en carrière. Au moment où j’écris ces lignes, il en est à 2957.

Et si Miguel vient encore un peu plus de marquer de son empreinte la MLB ; dans un petit stade à quelques encablures de Maracay, il a, là aussi, laissé sa marque. Sur le mur qu’il a jadis escaladé, il y a désormais son symbolique numéro 24 inscrit ! Et si c’était ça la plus belle réussite !


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