Le monde du baseball, généralement si paisible en cette période de l’année, frémissant à l’idée du spring training qui se profile à l’horizon, ce monde du baseball en semi-hibernation, réveillé de temps à autre par un trade inattendu ou rutilant, ce monde du baseball là est aujourd’hui en émoi. Il est pris de convulsions le tirant de sa torpeur hivernale.
Oui, les Astros ont triché.
Les conclusions de l’enquête de la MLB sont accablantes pour la franchise de Houston. Et dès l’annonce des sanctions records, les têtes sont tombées. Le dernier en date est Carlos Beltran, qui n’aura coaché aucun match des Mets comme manager des Mets. Je ne reviendrai pas sur l’affaire et les sanctions, TSO ayant déjà traité la question sous la plume brillante de Martin Keuchel (ici) et dans les épisodes 1 et 6 du podcast Hype (ici et ici). Ce que je veux partager avec vous, c’est une réflexion sur la triche dans le baseball.

J’ai déjà traité cette question dans un billet sur l’aseptisation du baseball. La triche fait partie de l’ADN de ce jeu comme l’indiquait le journaliste sportif Thomas Boswell : « la tricherie est le plus vieux métier du baseball. Aucun autre jeu n’est si riche en magouilles, tellement fait pour cela ou si fier de cela ». Il est vrai que la triche a su faire évoluer le jeu, a participé à écrire les grandes et petites histoires du baseball, à le transformer (comme avec le scandale des Black Sox qui conduira à la création du commissaire du baseball), bâtissant ainsi sa légende, donnant à ce sport assez de parts d’ombre pour faire briller encore plus sa grandeur. Et le vol de signes compte parmi les tricheries les plus emblématiques du baseball. On peut retrouver ces vols jusqu’au 19ème siècle, avec des procédés plus ou moins ingénieux. On pensera ici à l’histoire des Phillies de 1900 ou des Giants de 1951.
Le vol de signes, comme toute tricherie baseballistique, démontre le double visage de ce jeu, sa dualité profonde, entre un sports de coquins et un sport de gentlemen. D’un côté, le vol est une coutume établie depuis longtemps, largement partagée, et d’un autre, c’est une injure aux règles non-écrites du baseball. En gros, la tradition est de tricher sans se faire prendre. Mais, les décennies passant, la triche au baseball se retrouve dans un nouveau paradoxe. La technologie a rendu plus difficile certaines triches, permettant, grâce aux multiples caméras, de déceler le lanceur utilisant des substances interdites sur la balle, comme Michael Pineda en 2014.
D’un autre, il a facilité la triche, particulièrement dans le cadre du dopage, où on est loin des injections de testicules de moutons qu’aurait pris Babe Ruth, et du vol de signes. Dans ce dernier cas, s’est ajouté aux possibilités offertes par la vidéo, l’utilisation de technologies connectées, à l’instar des Apple Watch des Red Sox en 2017, qu’auraient également utilisé les Astros dans leur industrialisation du vol de signes. La MLB, consciente désormais du problème, avait fait interdire le vol de signes aux moyens de la technologie. Déchiffrer des signes à l’ancienne, oui. Aller se fournir en matériel chez Darty pour voler, non.
Ce qui se passe avec les Astros nous renvoie à ce qui se passa durant la Steroïd Era, et nous pose deux questions fondamentales. La première est de savoir si notre société est encore capable d’accepter, par égard à une certaine tradition romantique du sport, la triche. Nous célébrons encore la Main de Dieu de Maradona mais est-ce que nous l’accepterions encore si elle avait eu lieu au dernier mondial ? Désormais, la moindre faute est scrutée par des dizaines de caméras. Dans le football, cela a amené un grand nombre de fans et certains dirigeants du football à réclamer le VAR puis à l’obtenir, malgré la résistance de la FIFA pendant de longues années. La triche est traquée dans tous les recoins du sport. Moralement, c’est censé. Mais avant que la technologie apparaisse, cette traque avait ses limites et les tricheurs pouvaient espérer créer l’histoire, comme Maradona avec sa main ou le lanceur de baseball avec ses balles trafiquées. Plus généralement, les sociétés modernes se montrent plus exigeantes en termes d’intégrité et de transparence. Cela n’est donc pas propre au sport mais participe d’un mouvement historique plus large, qui redéfinit la morale moderne.
Cette première question en amène une seconde : quelle est la limite qu’on impose à la triche ? L’histoire du baseball n’a eu de cesse d’être traversée par cette question. Ainsi, les paris et les matchs truqués dans le baseball sont apparus très tôt dans le jeu, au milieu du 19ème siècle. Ce n’est pourtant qu’avec le scandale des Black Sox en 1920 que le baseball fut mis en danger, comme si tout le monde avait joué les naïfs jusque là. Il en est de même avec la Steroïd Era. Tout le monde savait que le baseball était pris dans un dopage massif, du fan au commissaire du baseball, mais pour permettre à la MLB de trouver un nouveau souffle, tout le monde ferma les yeux sur les courses au record de homeruns indécentes que se livraient des athlètes aux corps gonflés de stéroïdes. Pourtant, à la sortie du rapport Mitchell en 2007, tout le monde tomba sur les athlètes. Aujourd’hui encore, les voilà privés, pour certains, du Hall of Fame (lire à ce sujet l’article parfaitement documenté que vient d’écrire mon teammate Bastien LeGrom concernant les cas Barry Bonds et Roger Clemens). Les matchs truqués et le dopage, même s’il est encore important dans le baseball, restent des lignes rouges à ne pas franchir, des tricheries qui ne doivent pas seulement et logiquement être sanctionnées, mais des tricheries qui doivent vous bannir du baseball, toute légende que vous êtes, même si vous faites partie des plus grands joueurs de baseball de tous les temps, et que nul ne le conteste, comme Shoeless Joe Jackson, Pete Rose et Barry Bonds.

Cette deuxième question se pose aujourd’hui dans le cas des Houston Astros : ont-ils franchi la ligne ? Les commentaires ont été très durs envers la franchise, dès la publication de l’article de The Athletic, puis avec l’annonce des sanctions. Pour beaucoup de fans, le titre 2017 aurait du être retiré. Malgré une équipe 2017 dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle pouvait gagner sans tricher, la suspicion sur leur seul et unique titre sera une tâche indélébile, surtout dans un sport comme le baseball, qui a de la mémoire. La raison ? La technologie. L’utilisation de la technologie pour tricher renvoie au dopage et la disproportion des moyens utilisés pour gagner. Les Astros seraient allés trop loin dans la triche, créant une disproportion trop grande, un déséquilibre trop important dans les rapports de force sportifs du championnat, se donnant l’avantage décisif, notamment en World Series face aux Dodgers. La victoire n’est plus celle des joueurs, mais de la technologie.
Là encore, c’est un débat que l’on retrouve dans d’autres sports, et que j’évoquais dans mon billet sur de possibles arbitres robots en MLB et comment la technologie bouleverse la nature même du sport. L’impact de la tricherie des Astros dans l’univers du baseball n’est pas sans rappeler l’affaire Festina qui avait dynamité l’univers du cyclisme, créant un désamour chez de nombreux supporters de ce sport et une suspicion généralisée, qui a toujours court aujourd’hui, à mesure que les affaires s’enchaînent, particulièrement celle de Lance Armstrong. Que le dopage existait, les supporters du cyclisme sur route le savaient. Que ce dopage soit à un niveau industriel, c’était trop pour eux. Voilà donc l’infamie qui semble frapper les Astros, non pas la triche, mais la manière dont ils ont triché. S’ils avaient été un écolier pris à copier sur son voisin, on les aurait gentiment puni. Ici, c’est comme avoir débusqué un fraudeur fiscale que l’on veut voir en prison (coucou Patoche).
La franchise de Houston a donc mis sur la place publique une problématique centrale pour le sport confronté à la technologie. Elle a posé, en trichant de cette façon et en se faisant prendre, la question de la limite que doit accorder le sport à la technologie pour rester le plus intègre possible mais aussi rester ce qu’il est, un espace où l’être humain apprend à se dépasser par lui-même, pour lui-même, que ce soit individuellement et/ou collectivement. La technologie n’aura de cesse d’évoluer, à grande vitesse, proposant de nouvelles manières de tricher, les plus discrètes possibles, comme des vêtements connectés. La MLB, comme le monde du sport en général, sera confrontée de nombreuses fois à cette problématique. C’est pourquoi, elle doit s’emparer du sujet pleinement, de manière pérenne, pour suivre les évolutions technologiques et les détournements qui mettraient en danger l’intégrité du jeu. En ce sens, la tricherie quasi-industrielle des Astros pourrait se révéler aussi salutaire pour le baseball que le scandale des Black Sox en son temps. Un moindre mal.
5 réflexions sur “Les Astros ont-ils fixé une nouvelle limite morale à la tricherie ?”