Entretien croisé Didier Huon et Thierry Xuereb, créateurs du magazine STRIKE : « STRIKE a offert une vitrine de qualité au baseball »

Celles et ceux qui ont connu le baseball français des années 90 ont forcément connu STRIKE. Magazine de référence pour les passionnés de baseball en France, STRIKE fut une aventure de six ans qui offrit aux sports de batte une visibilité absente des médias traditionnels. Une aventure passionnante et passionnée que The Strike Out vous fait découvrir ou redécouvrir avec cet entretien croisé des deux créateurs du magazine, Didier Huon et Thierry Xuereb.

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Il y a quelques semaines, Didier Huon contacta l’équipe de TSO afin de proposer la mise en ligne des magazines Strike sur notre site, histoire que cette mémoire du baseball français ne tombe pas dans l’oubli. Il nous apparut évident que la simple publication du magazine n’était pas suffisante. Il fallait faire découvrir aux nouvelles générations cette aventure hors du commun d’un magazine papier parlant de baseball au début des années 90. C’est pourquoi nous avons proposé aux deux créateurs de STRIKE cet entretien croisé afin de nous replonger dans l’histoire du magazine et du baseball français, première pierre d’un travail mémoriel commun.

La publication de cette interview accompagne donc la mise en ligne de l’ensemble des magazines STRIKE, en commençant par les couvertures dans un premier temps. Viendront ensuite les 18 magazines au complet ainsi qu’un numéro 19 inédit.

TSO : Traditionnelle question de départ. Pouvez-vous vous présenter à notre lectorat et notamment votre parcours dans le baseball ?

Didier HUON :  J’ai acheté mon premier gant de baseball dans un PX américain à Baden-Baden lors de mon service militaire en Allemagne, en 1979. Ensuite, dans le cadre de mon travail d’expatrié, j’ai à nouveau côtoyé durant les années 80 des Américains en Arabie Saoudite et ils m’ont appris les fondements du jeu.

De retour en France en 1985, je me suis installé à Cergy-Pontoise (95) et j’ai rejoint les Teddy Bears à qui j’ai offert le premier jeu de bases et un back-stop en ferraille. Le club évoluait alors en Régional 95. A partir de là, j’ai contribué à divers titres au sein de la FFBSC, d’abord comme élu au Comité Directeur, puis Président de la Ligue d’Ile de France jusqu’en 1998. A l’époque, je jouais au BAT en finissant Champion de France de Softball en 1991.

Ensuite, pour des raisons professionnelles qui m’ont accaparé, j’ai suivi le baseball à distance par la presse et ensuite par Internet. Mais dès que je peux, je me fais un kif-Baseball comme un match VIP à NY en 2015 et récemment comme simple spectateur au London MLB 2019.

Thierry XUEREB (alias Clark Kent dans le magazine) : J’ai découvert le Baseball en 1978 grâce à un ami dont le père de nationalité américaine travaillait au Herald Tribune (petit clin d’oeil à la section International Baseball Tribune du magazine). Il avait entendu parler d’un club parisien, le PUC, qui proposait de découvrir ce sport alors complètement inconnu en France, malgré une renommée de plus d’un siècle aux États-Unis. Je me suis donc rendu au stade Charléty pour découvrir un sport dont j’allais tomber amoureux. Grâce au handball, que je pratiquais au lycée, j’ai eu de suite une certaine facilité pour attraper et lancer la balle. Le gant, la batte, la casquette et l’originalité de ce sport m’ont fait craquer et, de là, a débuté mon aventure dans le Baseball.

De 1978 à 1993, en tant que catcher, première base et champ extérieur, j’ai fait partie de la glorieuse équipe du PUC qui de 1982 à 1992 remporté 11 titres de Champion de France établissant un record toujours d’actualité à ce jour. Durant toute cette période, au niveau international, j’ai participé à plusieurs Coupes d’Europe des clubs Champions et Championnats d’Europe des Nations à travers 50 sélections en Équipe de France, au côté de Carlos Jiminian, David Meurant, Arnaud Fau, André Lebhar pour n’en citer que quelques uns.

Vers la fin des années 80, a débuté mon expérience d’entraineur auprès des catégories jeunes, puis en catégorie Sénior dans le cadre d’une entente PUC-Sarcelles en Régional, dans le milieu des années 90. je fus également membre du Comité Directeur de la Fédération Française de Baseball au début des années 90. Puis de retour comme coach, lanceur et première base avec le fameux « Major League Brochettes », le PUC 2 des années 2000 en Régional. Durant la saison 2005, en tant que coach avec André Lebhar, j’ai dirigé le PUC 1 en Elite.  Entre 2009 et 2013, en Nouvelle-Calédonie, je fus première base, lanceur et entraineur des « Braves ».

Je vis actuellement en Espagne depuis 2014, où j’ai encore joué durant trois saisons (certainement le plus vieux joueur français à ce moment-là en activité dans un championnat) dans le club des Piratas de Valencia dont je suis à présent Coach-assistant dans le championnat Régional.

TSO : Alors qu’aujourd’hui encore, la médiatisation du baseball en France reste relativement confidentielle, qu’est-ce qui vous a amené, en 1989, à vous lancer dans cette folle aventure d’un magazine 100% baseball ?

Didier HUON : Réinstallé à Paris, l’envie m’est venue en 1989 de lancer le premier magazine de Baseball, en couleurs et francophone. C’était l’époque du boom du basket, un peu aussi du football américain. Canal+ diffusait les premiers matchs de NBA et de NFL commentés par Georges Eddy et par François Mays sur Eurosport et TV Sports.

La chance a été qu’au moment où je lançais le projet, Thierry en ait été informé par hasard par un de mes amis. On a fait connaissance, on s’est réparti les rôles, dès le début ça a collé.

On a rapidement regroupé dans l’équipe de rédaction des sportifs doublés de qualités rédactionnels : je pense ici à Pierre Callewaert et Hervé Lapeyre, Suzanne Champoux pour le Softball, Simon Hewitt pour le Cricket et Vinci Sato pour les dessins. La Dream Team s’est enrichi de rédacteurs connus, de correspondants en France et à l’étranger, de photographes amateurs qui venaient se frotter (avec bonheur) aux photos de Vandystadt.

En juin 1989 est paru le Numéro 1 de STRIKE LE MAGAZINE DU BASEBALL. Et je dois dire que pendant plus de 6 ans, l’aventure aura été formidable. Nous avons couvert les grandes compétitions mondiales, depuis l’Eurobaseball de 89 jusqu’au All Star Game de Baltimore en 1993, les JO de Barcelone en 1992, les championnats internationaux en Italie, Belgique, Pays-Bas, Espagne, les Spring Training en Floride en 1991, tous les championnats de France, etc. Imaginez qu’on a fini un soir dans le vestiaire des Orioles assis à côté de Barry Bonds, Cal Ripken, Joe Carter et… Michael Jordan ! Je pourrais raconter mille anecdoctes sur les gens exceptionnels qu’on a rencontré en Europe à la CEBA, à l’IBA, en MLB, les plus grands joueurs, les lieux mythiques, les voyages en classe éco, les nuits blanches, la course au fric pour payer l’imprimeur. On tirait entre 10 et 12.000 exemplaires et, malgré cela, aujourd’hui les Strike sont des collectors. Ce fut un crève-cœur lorsque le dernier numéro paru, le 18 en mars 1995, a fait place au N°19 qui bien qu’en cours de construction n’a pas pu paraitre, faute de disponibilité et de moyens financiers.

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Number One – crédit : Didier Huon

Thierry XUEREB : J’étais dans le métro et dessinais une ébauche d’affiche pour le Championnat de Baseball afin d’attirer du public lors de nos matchs à Pershing, lorsque qu’un voisin m’a remarqué et a engagé la conversation avec moi. Après une brève discussion, il m’a proposé de me présenter à un ami qui avait pour projet la réalisation d’un magazine sur les 4 sports majeurs américains.

Quelques jours plus tard je rencontrais Didier Huon et un petit groupe de personne intéressées par son projet qui s’était alors recentré sur un seul sport, le Baseball. Son assurance et sa grande détermination sur ce projet m’ont séduit. Je me suis également rendu compte qu’il avait une capacité indéniable pour écrire.

Pour ma part, j’avais l’expérience et la connaissances du milieu du Baseball français et international, et j’avais soif de faire reconnaitre ce sport qui me passionne et qui souffrait alors d’un manque cruel de médiatisation. Ainsi, suite à cette rencontre, a commencé l’aventure du magazine STRIKE, dans la joie et la bonne humeur.

TSO : Concrètement, comment se déroulait la création du magazine ? Quelles étaient les difficultés que vous rencontriez le plus ?

Didier HUON : A part le premier numéro qui fut pour nous une découverte complète du « métier », les autres numéros ont tous été du « fait maison ! ». Au fil des numéros, le chemin de fer (le déroulé du magazine) s‘est calé. A la sortie de chaque numéro, nous dessinions avec Thierry et le noyau dur de la rédaction, le sommaire du numéro suivant. A partir de là, on mobilisait les rédacteurs sur leurs thèmes préférés, les correspondants en province et à l’étranger car nous avons couvert beaucoup de compétitions internationales, les historiens et les techniciens, les illustrateurs et les photographes… Peu à peu et ainsi, les pages se remplissaient comme un puzzle ! A M-1, on passait chez Vandystadt récupérer les photos d’agence, Thierry faisait le shootting du shopping et des livres.

Pour ma part, je gérais tout l’aspect organisationnel et le business ! Conclure les échanges-marchandises, trouver les annonceurs, échanger avec tous les acteurs du baseball (MLB, IBA, clubs, Fédé, etc.), négocier les prix de fabrication, les NMPP ; gérer les abonnements. Un magazine, c’est 100 trucs différents à gérer.

Le plus dur a toujours été de trouver l’équilibre financier pour chaque numéro, car STRIKE n’a jamais été une affaire commerciale rentable. C’est à cause de ça que certains numéros sont sortis avec une pagination réduite, en N&B plutôt qu’en couleurs, à des dates décalées…

Thierry XUEREB : La plus grande difficulté, pour être cash : l’argent ! Didier gérait cette partie vitale pour le bon fonctionnement d’un support de communication. Par chance, nous avons pu bénéficier en partie du soutien publicitaire de Hitachi. Une partie des deals avec les autres annonceurs était plutôt axés sur des échanges marchandises.

Nous avons aussi appris à réduire au maximum les coûts de fabrication du magazine en mélangeant des pages noir et blanc avec les pages couleurs, un bel exercice de style. Le choix des emplacements de distribution dans les kiosques des villes où les licenciés étaient les plus nombreux avait aussi son importance. Les abonnements également aidaient à faire vivre le magazine. Enfin, Didier un jour m’a aussi avoué y avoir laissé une partie de ses économies personnelles avant de prendre la décision de ne plus paraître. Strike était en quelque sorte « sa danseuse ».

L’autre grande difficulté que nous avons pu rencontrer était la disponibilité du temps à y consacrer. Nous avions tous une activité professionnelle en dehors du magazine. Il était donc assez difficile de travailler à plein temps dessus. Nous avancions petit à petit sur le prochain numéro et quand on voyait arrivait la date de publication, on redoublait d’effort pour rester dans le timing. Il est clair que nous avons donc passé quelques nuits blanches pour pouvoir respecter les délais, mais ça en valait la peine et cela nous motivait quand, par la suite, nous recevions les encouragements et les félicitations du « courrier des lecteurs ».

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Les co-fondateurs de Strike aux London Series 2019 – crédit : Didier Huon

TSO : Comment expliquer que vous ayez pu durer si longtemps dans un contexte difficile pour le baseball en France, confiné à l’anonymat ?

Didier HUON : STRIKE a duré que parce qu’il était fait par une équipe nombreuse derrière un petit noyau dur. Le noyau a duré du numéro 1 au 18. Solide, talentueux et intelligent.

Cette équipe, c’était plus d’une quinzaine de photographes et illustrateurs et près de 100 personnes qui ont, dans un numéro ou un autre, écrit sur le baseball, le softball ou le cricket ! Certains nous ont aussi aidé et accueilli lors de nos déplacements à l’étranger, pistonné pour avoir des laissez-passer, vanté pour avoir de la publicité, offert des trucs qu’on aurait dû payer, etc. Comme je vous le disais, STRIKE n’était pas rentable financièrement, mais quel enrichissement personnel pour tous ceux qui y ont contribué, sans toucher un centime !

Pour tenir, le challenge était dès le début de se démarquer du Baseball de l’époque pour le tirer vers le haut. Un vrai magazine, pas un fanzine. En couleurs et sur papier glacé, pas en N et B sur papier A4. Diffusé en kiosques et par abonnement et dans le monde francophone. Et vendu, pas donné, sinon il n’aurait eu finalement aucune valeur .J’ai toujours considéré qu’en toutes choses, il faut trouver ses propres moyens. Jamais STRIKE n’a bénéficié d’argent public, de subvention ou d’aides fédérales quelquefois venimeuses… Le challenge mettait était à l’époque la barre très haute. Nous l’avons dépassé tous les trimestres pendant plus de 6 ans. Depuis, personne n’a pu faire pareil ou mieux.

Thierry XUEREB : Il va sans dire… grâce à la détermination de Didier ! Il a su rassembler tout au long de l’aventure toutes les personnes qui participaient de près ou de loin au magazine mais, surtout, il a su alimenter et contenir au prix de grands efforts, l’aspect financier qui était le nerf de la guerre pour pouvoir paraître. Et effectivement, puisque le Baseball était confiné à l’anonymat, notre volonté première était de faire tout notre possible pour informer notre communauté de passionnés et faire parler le plus possible de ce sport hors du commun.

TSO : Quelles furent les plus belles réussites de Strike ?

Didier HUON : Les plus belles réussites auront été POUR le Baseball d’abord. Assurément, STRIKE lui a offert une vitrine de qualité et aura suscité fierté, curiosité et intérêt.

Avec STRIKE, on avait un magazine sportif à thématique baseball, mais avec des rubriques grand public, histoire, technique, chronique, billets d’humeur, belles photos, un poster, de vrais pages de pub. Avec STRIKE, le baseball était en kiosques comme tous les vrais sports, 10.000 exemplaires en moyenne en France et même à l’étranger, Europe francophone et Canada. Partout en France, les « baseball’s fans » (collaborateurs, lecteurs, abonnés, clubs, joueurs, amateurs, etc) attendaient STRIKE avec impatience pour y lire l’actualité sportive, voir les plus belles photos, s’instruire « inside baseball ». 30 ans après on en reparle encore et les exemplaires du magazine sont « collectors ». En un mot, STRIKE c’était un vrai « canard » !

Au-delà de la réussite collective du magazine, il a permis à des photographes amateurs et des illustrateurs de voir leur photos et dessins publiés, à des journalistes débutants (et pas des moindres…) de faire leurs premières armes, à de nombreux acteurs de notre sport de décrire et rendre compte du Baseball d’avant l’an 2000, sens critique inclus ! Tous les collaborateurs de STRIKE auront été les ambassadeurs et les meilleurs soutiens du baseball en France. Avec eux, STRIKE interviewait le ministre des Sports Roger Bambuck, rencontrait les instances européennes du Baseball, les plus grands joueurs au monde, les célébrités du « world baseball »… et soutenait les tournois de Régional et le Broken Arms Team ! La classe internationale !

Pour ma part, je vois une grande fierté d’avoir couvert pour STRIKE, en VIP et « in situ » de grands événements comme les J.O., les World Series, le All Star Game, les Spring Training et tant de compétitions françaises, européennes et américaines. STRIKE est allé la tête haute à New York au siège de la MLB, dans les bureaux de Sainte « l’Equipe », les allées du Yankees Stadium et du Shea Stadium, plus modestement dans l’usine Rawlings d’Haïti, sur les gradins des stades français, belges, hollandais, allemands, suisses, espagnols, italiens… Il me reste un pincement au cœur quand j’ai souvenir qu’en 1992 à Baltimore, avant le All Star Game, Cal Ripken nous a commandé 200 exemplaires du numéro 12 sur lequel il était en couverture ! Alors que la veille et que pour l’inauguration du Camden Yards, nous avons remis en mains propres plusieurs STRIKE aux représentants du Hall of Fame de Cooperstown. Ils y sont toujours et  pour l’éternité ! C’est pas beau ça ?

Thierry XUEREB : Pour ma part, ma situation actuelle. En effet, à travers cette aventure je me suis orienté de plus en plus vers le métier de la PAO (Publication Assistée par Ordinateur). Et afin de me parfaire, j’ai appris utiliser et à maitriser des outils qui sont devenus par la suite mes outils de travail.

Avec Didier, nous avons pu accéder aux zones réservées aux journalistes afin de relater des évènements comme les jeux Olympiques de Barcelona en 1992, ou bien le All Star Game de Baltimore en 1993.

Mais je pense surtout, que la plus belle réussite de Strike est d’avoir pu contribuer, le temps d’un instant (6 ans quand même), à informer les lecteurs de l’époque de ce qu’il se passait en France et dans le reste du monde du Baseball.

Merci à Didier Huon et Thierry Xuereb d’avoir répondu à nos questions.

Pour retrouver les archives du magazine STRIKE sur TSO, cliquez ici.


4 réflexions sur “Entretien croisé Didier Huon et Thierry Xuereb, créateurs du magazine STRIKE : « STRIKE a offert une vitrine de qualité au baseball »

    1. Salut Charbo…. nier Alexis je suppose ? Ouais comme tu dis sacré flash back. Merci à toi d’avoir partagé l’aventure. Bon réponse tardive mais jamais trop tard pour bein faire ! Bon oeil !

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    1. Salut Pol…. Réponse tardive mais jamais trop tard pour bien faire ! Je possède aussi tu t’en doutes la collection complète de STRIKE et qqes exemplaires en double. A l’occasion j’en chope un ou deux sur Le Bon Coin. Ainsi le jour où s’ouvrira le Hall Of Fame du Baseball français, je ferais don d’une série complète. Bon oeil !

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