Nouvelles règles : la MLB remplace-t-elle le baseball par un nouveau sport ?

Il y a quelques mois, je posais la question ici même de l’aseptisation du baseball après les changements de règle sur les charges au marbre et les slides en seconde base. Mea culpa ! La MLB n’essaie pas d’aseptiser le baseball. Elle crée carrément un nouveau sport. Le volontarisme novateur du commissaire du baseball Rob Manfred était plaisant à ses débuts mais il en devient aujourd’hui inquiétant. À trop réformer le baseball, il risque de le déformer.

En effet, on vient d’apprendre que la MLB envisage de nouvelles règles afin d’accélérer le jeu. Ou plutôt ce qu’elle considère les temps morts du jeu. Objectif : dynamiser les rencontres en les écourtant notamment. Pour cela, elle propose plusieurs mesures comme rendre les arbitrages vidéo plus rapides, limiter les temps de visites au monticule, installer des « pitch clocks » pour les lanceurs, rétrécir la zone de strike. Mais les mesures qui font surtout bondir de nombreux fans du jeu sont les nouvelles règles pour les matchs avec extra-innings et les « intentional walks » ou « buts sur balle intentionnels » (BBI).

Comme le prévoit l’accord entre la MLB et la MLBPA, l’union des joueurs professionnels des Ligues Majeures, les changements de règles doivent être entérinés par cette dernière. Or, la MLB n’a pas trouvé d’accord avec les représentants de la MLBPA à une exception : la nouvelle règle sur les BBI. Résultat, les autres mesures devront attendre 2018. La MLB présentera certainement un préavis d’un an à la MLBPA pour le changement de règles et pourra ainsi les appliquer la saison prochaine.

Nous allons donc avoir un avant-goût en 2017 avec la nouvelle procédure des BBI. Un but sur balle intentionnel est le fait de faire marcher le frappeur jusqu’à la première base. Le lanceur lance quatre mauvaises balles, c’est à dire en dehors de la zone de strike, au receveur afin que le batteur ne puisse pas frapper la balle. On utilise souvent cette technique pour éviter un batteur trop fort, notamment lors de matchs serrés, ou pour remplir les bases quand la première est disponible, créant ainsi un jeu forcé, facilitant le jeu de la défense.

Le changement de règle prévoit que le lanceur n’aura plus à lancer les quatre balles au receveur. Il suffira d’un signe du coach dans le dugout et le batteur pourra avancer directement en première base. La règle des quatre balles permettant de rejoindre automatiquement la première base date de 1889 et est l’une des plus anciennes règles du baseball moderne. En 1880, il fallait huit balles, six en 1884 et cinq en 1887.

En 2018, devrait arriver une autre règle que les quelques fans de D1 française connaissent bien et que l’on retrouve également à la World Baseball Classic, la « extra-inning rule » ou, comme on l’appelle en France, la règle du tie-break. Ici, l’objectif est d’écourter rapidement un match qui va en prolongation. On place des coureurs en première et deuxième bases afin d’augmenter les chances de scorer. En D1, la règle s’applique dès la 10ème manche. En WBC, elle s’appliquait à la 13ème manche mais, pour l’édition 2017, elle le sera dès la 11ème. Selon les informations du moment, la MLB souhaiterait l’appliquer à partir de la 10ème manche mais seulement avec un coureur en deuxième base.

Mais pourquoi la MLB enchaîne-t-elle les hérésies ? Plusieurs études ont démontré que l’âge moyen des téléspectateurs américains regardant des matchs de baseball dépassait la cinquantaine. Ce phénomène a également été observé dans les stades. La MLB souhaite donc rajeunir son audience en créant plus d’actions et en raccourcissant la durée des matchs. En 2015, avec des premières règles sur le timing de certaines actions, comme les lancers d’échauffement ou la musique accueillant un joueur, avaient permis à la MLB de gagner… 6 minutes !

En 2015, la durée moyenne d’un match était de 02h56. Celle-ci est remontée à 03h00 en 2016. Et il faut compter 24 minutes de plus en playoffs avec des breaks commerciaux plus longs. Les « pitch clocks », ces horloges placées à la vue du lanceur et des arbitres, indiquant au premier le nombre de seconde entre chaque lancer, ont été testées depuis 2015 dans deux ligues mineures, en AA et AAA. Chaque lanceur a 20 secondes pour effectuer un lancer. Cela a fait gagner entre 12 et 16 minutes par match. Le remède miracle pour la MLB ? La MLBPA est sceptique. Pour son représentant, Tony Clark, qui a évolué dans les Majeures de 1995 à 2009 avec une participation au All-Star Game 2001, « le jeu [en MLB] est fondamentalement différent. » Ce qui est bon pour les Ligues Mineures ne l’est pas forcément pour la MLB.

L’introduction de la règle du « tie-break » dès la 10ème manche participe à cette quête de matchs MLB raccourcis, et ce d’une manière drastique. Pourtant, la MLB s’attaque là à un non-problème puisque cela concerne peu de rencontres. Pour la saison écoulée, 185 matchs en extra-innings ont eu lieu soit 7,6 % des 2428 matchs de la saison régulière. Les deux tiers de ces matchs ne sont pas allés au-delà de la 11ème manche et seulement 16 % des matchs ont atteint ou dépassé la 13ème manche. Les rencontres qui ont passé la barre des 14 manches furent au nombre de huit en 2016.

Bien entendu, cette nouvelle règle va poser problème si elle est appliquée dans les Majeures car, à vouloir résoudre un problème inexistant, elle va piétiner tant l’histoire que l’essence du jeu. Le Baseball Majeur est une course d’endurance de 162 matchs de saison régulière mais aussi au sein de chaque rencontre où un vainqueur doit sortir, que ce soit en 9 manches ou en 26 comme en 1920 entre les Boston Braves et Brooklyn Dodgers. Ce match record dans les Majeures avait été arrêté par manque de luminosité et un match nul fut décidé. C’est donc une course d’endurance avec tout ce que cela sous-entend en terme de stratégie (gestion des lanceurs, des frappeurs, choix défensifs ou offensifs), de mental et de constance dans la performance sportive mais aussi d’héroïsme pour celui qui produit l’action décisive, surtout s’il vient de rentrer en jeu.

Les matchs en extra-inning font partie de la légende de la MLB. Prenez le top 5, 10 ou 20 des meilleurs matchs de son histoire, de la Postseason, des World Series ou tout simplement d’une saison régulière, vous aurez toujours de nombreux matchs à prolongation dans le classement. Ils fondent la mythologie du baseball en créant des exploits, des situations insolites, en exacerbant les qualités physiques, mentales et stratégiques des joueurs et des managers.

Or, en plaçant un coureur en seconde base dès la 10ème manche, vous ôtez toute la beauté de ce jeu qui est que, justement, il est très difficile, face aux meilleurs releveurs de l’équipe adverse, de placer un joueur sur base. Prendre une base face à un Mariano Rivera était très compliqué. Mais même si un frappeur arrivait sur base face à lui, vous saviez que derrière, il y avait peu de chance que le miracle se reproduise. Avec cette règle, prendre un point décisif aux meilleurs releveurs ou closers sera grandement facilité. Sans compter que le walk-off single, ce coup de batte décisif qui donne la victoire, perdra de sa valeur s’il est le fruit d’une règle et non de l’opiniâtreté et du talent d’une équipe.

Joe Torre, le chef des opérations de la MLB, souhaite avec cette règle protéger les équipes et leurs personnels de lanceurs. Pour lui, voir un joueur de champ prendre le monticule, « ce n’est pas amusant ». Quoi ? Ce n’est pas amusant de voir un Ichiro monter sur la butte ? Même si c’était en fin de 8ème manche, c’était génial de voir cette superstar devenir lanceur en MLB. En 2016, 26 positions players ont lancé sur un monticule des Ligues Majeures. Cette pratique a débuté dès 1871 et plusieurs Hall of Famers se sont prêtés à l’exercice comme King Kelly, Ty Cobb, Tris Speaker, Stan Musial, Ted Williams et Wade Boggs. De voir de grandes stars devenir lanceurs d’un soir, ou même des joueurs d’une moindre envergure, c’est typiquement le genre de petites histoires, d’anecdotes qui font du baseball un sport à part.

Il en est de même pour la règle du but sur balle intentionnel. Pour un gain de temps plus qu’anecdotique, on condamne le baseball à devenir un jeu sans exploit, sans insolite et, in fine, sans saveur. Pour la saison 2016, 932 ont été recensés en saison régulière soit 3728 lancers hors zone. C’est une moyenne car un certain nombre de ces lancers donnés à l’adversaire ont lieu avec un compte de 2-0, 3-0 ou 3-1 selon les circonstances de jeu. Les BBI ne concernent pas toutes les parties et, généralement, on ne l’utilise qu’une fois voir deux dans un match. Pour 2016, cela a représenté un BBI toutes les 2,6 parties. Le gain de temps n’est que de quelques secondes, les estimations allant de 14 à 38 secondes selon les calculs. Anecdotique !

En revanche, c’est aussi un renoncement à l’exploit individuel, l’une des bases fondamentales de la beauté du baseball, car il arrive que sur ces lancers hors zone un coup sûr surgisse. C’est rare mais c’est cette rareté qui donne son sens à l’exploit. La Society for American Baseball Research a établi la liste des frappes sur un BBI dans les Ligues Majeures. Seulement seize joueurs ont réussi cette performance selon leurs recherches dont les légendes Willie Mays, Ty Cobb et Pete Rose. Les deux derniers en date sont Miguel Cabrera en 2006 et Gary Sanchez en 2016. Sur ces seize frappes, treize ont donné un résultat positif (coup sûr, sacrifice fly, point produit, etc) et neuf ont produit un point ou plus. Et cinq de ces frappes ont eu lieu en extra-inning !

Liste des frappes sur un but sur balle intentionnel en MLB - crédits : SABR
Liste des frappes sur un but sur balle intentionnel en MLB – crédits : SABR

De plus, cette mesure pourrait être annulée par une autre : la réduction de la zone de strike. La MLB souhaite revenir à la situation d’avant 1996 quand la zone de strike débutait en haut des genoux, avec le risque que les frappeurs laissent passer encore plus de balles. Il faudra un certain temps pour que batteurs, lanceurs et arbitres prennent l’habitude d’une zone plus réduite. Difficile d’appréhender l’impact de cette mesure. À long terme, elle pourrait se révéler efficace mais rien n’est certain.

Si l’idée est de permettre aux batteurs de frapper plus de balles, et plus de coups sûrs surtout, face aux lanceurs actuels de la MLB, dont la vitesse moyenne semble plus importante que jamais, rien n’assure que le but soit atteint puisque de nombreux facteurs interviennent comme le comportement des batteurs ou la strike zone des arbitres qui est, par nature, changeante. Ainsi, une étude du site Hardball a démontré que la zone de strike avait augmenté de 5 % depuis 2010.

La zone de strike au niveau des genoux est la plus difficile à frapper. Or, si elle est exclue de la zone de strike mais qu’elle le devient tout de même avec l’augmentation « arbitrale » de la zone, les frappeurs risquent d’avoir du mal à juger et à frapper, surtout face à des lanceurs de plus en plus rapides en moyenne, pouvant user de diverses balles plongeantes à haute vitesse. Au lieu d’avoir plus de frappes et plus de coups sûrs, on pourrait avoir une nouvelle ère de domination des lanceurs. Seulement, les ères de domination des lanceurs ont souvent été un frein à l’enthousiasme populaire, comme celle de la fin des années 60 qui conduisit à la création du DH en American League en 1973 puis à la Steroïd Era afin de catapulter plus de homeruns dans le Show.

«Je me demande simplement à quel point on dénature le baseball » a déclaré récemment la star québécoise des Blue Jays de Toronto, Russell Martin, ajoutant « est-ce si important d’accélérer le jeu? ». Effectivement, doit-on dénaturer le baseball pour quelques secondes, quelques minutes dans un jeu qui s’est toujours abstrait de cette notion de temps. Est-ce vraiment cela qui attirera un nouveau public, plus jeune ? Noah « Thor » Syndergaard, top lanceur des New York Mets, a réagi à ses nouvelles mesures sur son compte Twitter avec un fracassant « NOPE ». Rares sont les sports où les joueurs sont si attachés à l’esprit du jeu, à ses traditions. Le baseball en fait partie.

Le cricket vit une situation similaire. Recherchant un second souffle et souhaitant attirer un public plus jeune, l’International Cricket Council a lancé le format T20 au niveau professionnel en 2003. Un format qui donne des matchs de trois heures comme au baseball. C’est un succès ! Le problème est que ce format nuit au Test Cricket, qui était la référence sur un plan sportif, économique et médiatique depuis un siècle et demi. Mais qui, surtout, transmettait le mieux ce que l’on nomme l’Esprit du Cricket, l’essence de ce jeu, avec ses traditions, ses lunch et tea times, ses matchs à rallonge. Une autre idée du temps, du sport et de la vie. Aujourd’hui, le Test Cricket est en péril, en partie à cause du T20. Et c’est l’esprit du jeu qui est en danger, transformant irrémédiablement le cricket en un simple business.

Ce même danger guette le baseball. Un danger finalement bien pire que l’aseptisation du jeu. Une mort lente pour laisser place à un nouveau sport qui n’aura de baseball que le nom. Or, ces règles cachent une bien laide hypocrisie . Ce sont des règles de business qui dénaturent le jeu alors même qu’il y aurait une manière bien plus simple de gagner du temps et de dynamiser les rencontres : réduire le temps des publicités entre les manches et demi-manches.

Mais on préfère toucher à l’esprit du jeu plutôt qu’aux revenus. Le baseball est-il vraiment la priorité de la MLB ? À regarder le gain symbolique des mesures proposées sur le temps et le dynamisme des rencontres, on comprend bien que la symbolique est ailleurs. Ces mesures ont peu à voir avec le jeu du baseball, ce National Pastime inscrit dans les gênes de la nation américaine. Elles nous préparent à un nouveau sport spectacle, dépouillé d’une grande partie des coutumes et règles du baseball pour ne conserver que celles qui seront exploitables économiquement, telles des goodies vendues dans une boutique de souvenir.

Laisser en l’état ces règles, c’est préserver l’essence du jeu : jusqu’au dernier retrait de la dernière manche, tout est possible. Le baseball est une allégorie de la vie où les difficultés s’enchaînent mais où il est possible de toujours se relever pour celui qui persévère. Le baseball est donc affaire de convictions et les règles actuelles du baseball sont faites pour tester la conviction du joueur, du manager et du spectateur. Sans elles, le baseball perdra la mémoire de ce qu’il est réellement, un ensemble cohérent ludique, sportif, culturel et mythologique. Sans elles, il deviendra inintéressant. C’est ma conviction.


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