World Series : Cleveland, Chicago, et les Démons du Passé

Après 2429 matchs de saison régulière, 28 matchs de postseason, près de 6000 Home Runs et 40000 strikeouts, tout commence véritablement ce soir au Progressive Field de Cleveland, Ohio. Les huit prochains jours vont voir s’opposer les Cleveland Indians, champions de l’American League, aux Chicago Cubs, champions de National League. Sur fond de malédictions, d’espoirs fous et de décennies de disette, les Cubs mettront-ils enfin un terme à 108 ans d’attente ? Ou est-ce que les Indians les stopperont à nouveau pour atteindre leur propre Graal, après 78 automnes de désespoir?

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Les Cleveland Indians, entre progression logique et miracle automnal

Si l’on vous avait demandé, au printemps dernier, de nommer les deux équipes qui allaient s’affronter lors des World Series 2016, vous auriez probablement eu au moins un sérieux penchant pour les Chicago Cubs en National League, tant l’effort consenti pour renforcer un effectif déjà étincelant l’an dernier semblait parfaitement mené et réfléchi. Mais auriez-vous un instant pensé à inclure les Cleveland Indians dans votre sélection finale ?
Il faut dire qu’avec la masse de prétendants que comportait l’American League, des Astros aux Blue Jays, des Rangers aux Royals, sans oublier les Yankees, Mariners, Tigers et autre Orioles, les Indians n’avaient rien de véritablement impressionnant, si ce n’est un pitching composé de lanceurs qui « pourraient se faire une place dans un plus grand club ».

Avec un effectif sans véritable star, la 28ème masse salariale de la Ligue au terme de la saison dernière (la 22ème maintenant, $114.7m), et un dernier titre qui remonte à 1948, les Indians avaient tout pour perpétuer la triste tradition de la ville de Cleveland (147 saisons cumulées sans titres dans les sports majeurs) et venir finir la saison sans véritable émotion en troisième place de l’AL Central, comme en 2014 et 2015.
Oui mais voilà : la malédiction s’est envolée et avec elle les inhibitions du tout Cleveland. Les Cavs ont ouvert la voie en accomplissant l’impossible, les Indians ont répondu en devenant intouchables : depuis le 19 juin, et le début d’une série de 14 victoires, les coéquipiers de Jason Kipnis ont tout simplement le meilleur bilan des Ligues Majeures, saison régulière et postseason confondues : 56-37 puis 7-1, contre 56-38 et 7-3 pour les Cubs (NLCS en cours).

Mais résumer le parcours remarquable des Indians à l’onde de choc du succès des Cavaliers serait accorder bien peu de crédit à Terry Francona et à ses hommes, qui ont sur vaincre l’adversité, les coups durs et les blessures pour aujourd’hui venir se battre pour le titre suprême.  C’est quinze années de travail par le front-office des Indians et quatre par l’ancien stratège des Red Sox qui paient pour la franchise de l’Ohio.
Une construction basée sur la maitrise de l’effectif et de la masse salariale d’un côté, et l’approche minutieuse de Terry Francona de l’autre : comme à Boston, il a su combiner à la perfection le management traditionnel et les outils statistiques modernes pour arriver à ses fins. Il a aussi su poser une base solide : En 12 saisons depuis 2004 (8 à Boston, 4 à Cleveland), Francona a toujours rendu un bilan de fin de saison positif, un atout non négligeable pour aller chercher une place en postseason : et à partir de là, tout est possible…

Les Cubs, implacable machine à gagner ?

En face, il y a les Chicago Cubs de Joe Maddon. Une équipe bâtie sur une combinaison de jeunesse triomphante et d’acquisitions parfaitement calculées. Une équipe qui arrive déjà à maturité et a toutes les armes, Manager en tête, pour s’offrir une période de domination similaires à celles récentes des New York Yankees ou des San Francisco Giants. Une équipe qui semble devoir être, tout simplement, celle qui tordra le cou aux légendes et autres malédictions, et boucler plus d’un siècle d’attente d’un titre suprême à Wrigley Field.
Et quelque chose nous dit que même si ce n’est pas pour cette année, même si les Cleveland Indians brisent une fois encore le cœur de Bill Murray et de tous les supporters des Cubbies, Kris Bryant et ses coéquipiers ressemblent en tout point à cette génération héroïque qui mettra fin à l’aberration sportive qui touche la franchise du Nord de Chicago (désolé Gaétan!).

Lors de la saison 2016, les Chicago Cubs ont quasiment fait carton plein en affichant le meilleur bilan des Ligues Majeures sur la saison régulière (103-58), le meilleur ERA (3.15) , le meilleur Ratio d’Efficacité Défensive (DER, .731), et le troisième rendement offensif (808 R, OPS : .772), rien que ça… Et si l’on pourrait discuter longtemps des critères de sélection par vote populaire du All Star Game, aucun des quatre membres du champ intérieur (Rizzo, Zobrist, Russell, Bryant) des Cubs n’a volé sa place de titulaire au Petco Park de San Diego.

On l’a bien compris, au vu de la saison régulière : les Chicago Cubs planent au-dessus des Ligues Majeures. Ils ont les meilleurs joueurs, le meilleur pitching staff, et dominent absolument tous les secteurs du jeu. Pourtant, les séries face aux Giants et aux Dodgers ont montré quelques fissures derrière l’apparence d’extrême confiance des hommes de Joe Maddon. Le rendement offensif n’a pas été au niveau habituel, le bullpen a connu quelques soubresauts, et les Cubbies ont souffert face aux as de San Francisco (Bumgarner, Cueto) puis face à Kershaw, avant de prendre sa mesure (et celle des séries) dans le Match 6.
Face à Terry Francona, qui y connait en rayon en termes de « miracles » et de géants renversés, les Cubs savent que toutes leurs forces et faiblesses seront passées au crible, et que toutes les erreurs se paieront au prix fort : comme les Red Sox et les Blue Jays, favoris de leurs séries, les Cubs peuvent s’attendre à faire face à un adversaire remonté à bloc et fort de cette énergie qui a envahi l’Ohio depuis le Printemps : « Cleveland Against the World »

Bilan de la postseason : Cleveland sur la défensive, Chicago sur sa lancée

Si les Chicago Cubs ont retrouvé leurs battes sur la fin de leurs Championship Series face aux Dodgers, une tendance lourde s’est affirmée au cours de cette postsason. De Syndergaard à Estrada, de Jansen à Bumgarner, de Cueto à Kershaw, de Lester à Miller, les lanceurs se sont imposés comme les grands gagnants de cette postseason. Et à ce petit jeu, ce sont les Indians qui ont le mieux tire leur épingle du jeu puisqu’ils sont réussi pas moins de 3 blanchissages en huits matchs disputés, dont les premiers et derniers (1 et 5) matchs de leur série face aux Toronto Blue Jays.

Il n’y a qu’à comparer quelques statistiques de la saison régulière et de la postseason pour comprendre ou se situent les priorités de Terry Francona au cours de ce parcours quasi parfait de la tribu vers les World Series. En plus d’un niveau de performance au lancer sans égal parmi les huit derniers candidats au titre, Cleveland a spectaculairement haussé le niveau de son effort défensif en termes de Fielding percentage (0.997 en postseason) mais surtout d’évitement des erreurs : une seule en huit matches (l’œuvre du releveur Bryan Shaw sur une balle mal transmise de l’infield au premier but). Une concentration de tous les instants, sans prise de risque insensée, qui leur a permis d’accompagner idéalement l’effort des lanceurs partants et d’un bullpen étincelant, emmené par le MVP indiscutable des American League Championship Series, Andrew Miller.

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Si les Indians ont vu une progression spectaculaire de leur performance offensive (et une régression significative de leur production offensive), les Chicago Cubs ont suivi le mouvement de manière beaucoup plus modérée, restant très proches en tous points de leurs niveaux de performance de la saison régulière.
Certes, la production offensive et la moyenne au bâton ont quelque-peu régressé, mais on n’en attendait pas moins lors de séries face aux escouades de Kershaw et Bumgarner. Certes, les Cubs ont amélioré de quelques centièmes leur ERA et leur WHIP, mais l’ensemble du pitching staff de Chicago a tenu un rythme constant et un standard tellement haut toute la saison que les gains dans ce domaine ne peuvent être que limités.

C’est dans l’effort défensif cependant, que les Cubs ont montré quelques failles avec pas moins de huit erreurs en dix matchs de postseason. Seul les Dodgers ont fait pire (9 en 11 matchs). Mais les Cubs sont aussi, et de loin, l’equipe qui a pris le plus de risques défensivement avec notamment, 10 double-jeux réussis lors de ces séries (Cleveland suit avec 6). Toujours est-il que face à des Indians qui n’ont rien à perdre et se sont promis de ne rien lâcher, les erreurs de Contreras (4) et de ses coéquipiers pourraient couter cher. Car une fois devant au tableau d’affichage, les Indians ont une arme fatale : leur bullpen !

Le bullpen, unité d’élite contre équipe de relève ?

Le bullpen est peut-être le secteur du jeu dans lequel le contraste est le plus saisissant entre les champions de l’American League et ceux de la National League. D’un côté, le bullpen des Indians, une unité surpuissante que l’on aurait tort de résumer à sa superstar, Andrew Miller. De l’autre, celui des Cubs, une équipe qui assure le prolongement du travail de ses excellents lanceurs partants sans pour autant se montrer dominante sous la pression, la superstar Aroldis Chapman y compris.

On note à ce point que les fans des Yankees peuvent légitimement se demander ce qu’il en aurait été si, à la fin aout, un effectif rajeuni et retrouvant un second souffle pour se mêler à la course à la Wild Card, avait pu compter sur Miller et Chapman, qui composaient jusqu’à la fermeture du marché des transferts le Big 3 des Yankees… Mais avec des Si… on s’égare. Chapman a rejoint les Cubs le 26 juillet dernier, principalement pour pallier aux limites du closer Hector Rondon. Andrew Miller a rejoint les Indians cinq jours plus tard, ajoutant un bras d’élite à un bullpen déjà performant, et le reste est de l’Histoire, comme le disent nos amis anglophones.

Lors de ces playoffs, les releveurs de Chicago ont alterné le chaud et le froid : Aroldis Chapman a déjà deux sabotages à son actif (3 sur 5) contre trois sur l’ensemble de la saison régulière (36/39). Cependant, il a aussi su se montrer dominant et sans pitié quand il s’est agi, par exemple, de boucler les NLDS face aux Giants (vidéo ci-dessus). Mike Montgomery a concédé quelques points cruciaux, notamment celui qui a donné la victoire et l’espoir aux Giants dans le Game 3 des NLDS.
Hector Rondon et Pedro Strop partagent un ERA de 4.91 reflétant bien leur statut général de bons soldats sans véritable capacité à mettre un match à l’abri, tout comme Justin Grimm (7.71). Au rayon des satisfactions, tout de même, on notera les performances du rookie Carl Edwards Jr. (3.2 IP, 0.00) et de Travis Wood (4.2 IP, 1.93) qui s’est offert le luxe de prendre la victoire ET de frapper un Home Run pour le match 2 des Division Series face aux Giants.
Une unité capable de protéger les intérêts des Cubs, donc, mais pas forcément une assurance tout risque, si les battes de Cleveland venaient à prendre vie lors de ces World Series.

A l’inverse, le bullpen des Indians semble totalement intouchable une fois que la balle leur est confiée avec une avance, fut-elle minime, à protéger. Cody Allen a converti les cinq opportunités de sauvetage qui lui ont été confiées sans concéder le moindre run (7.1 IP, 0.00, 12K), souvent en relais de l’intouchable Andrew Miller et de son slider dévastateur. Un des tous meilleurs releveurs des Ligues Majeures, Miller (11.2 IP, 0.00, 5H, 2BB, 21K) est dans une forme qui lui permet de lancer ce qui semble être le même pitch, match après match, sans que ses adversaires n’arrivent à le lire, à le comprendre ou à le frapper. Mais le MVP des ALCS sera-t-il capable d’amener cette confiance et cette dominance avec lui pour les World Series ? Cette capacité ou non à répéter un niveau de performance quasi-inhumain sera un facteur déterminant lors du Fall Classic (souvenez-vous de l’effondrement inattendu de Jeurys Familia lors des World Series 2015).

Derrière les deux as du bullpen, Cleveland propose une base plus que solide avec Dan Otero (3.1 IP, 2.70) et Bryan Shaw qui s’il a concédé quatre points lors de ces séries (5.2 IP, 4.76) s’est tout de même imposé comme un élément important dans les instants cruciaux. Et puis, Francona s’offre un joli joker avec le retour de Danny Salazar (11-6, 3.87 en saison régulière), qui devrait être disponible pour le bullpen s’il n’est pas lance directement dans le grand bain pour le Match 4. S’il est difficile d’estimer l’état de forme de Salazar et sa capacité à s’intégrer rapidement dans ce bullpen, il restera une munition utile et à même de faire gamberger le banc et le lineup des Cubs s’il devait entrer en jeu dans une situation à haute tension.

 

Alors, les Cubs pourront-ils continuer leur cheminement imperturbable pour enfin arracher ce titre suprême qui leur échappe depuis plus d’un siècle ? Seront-ils capables de maitriser la tempête comme ils ont pu le faire lorsque les Series auraient pu tourner face aux Giants et aux Dodgers. Nul doute que le Match 1 de ces Series qui opposera Jon Lester à Corey Kluber, potentiellement les deux vainqueurs du Cy Young pour la saison 2016, sera riche d’enseignements en vue des épisodes suivants de ces World Series. Mais entre deux équipes programmées pour gagner, le combat sera sans pitié jusqu’au dernier out. Préparez-vous à une semaine de folie sur les rives des Lacs Erie et Illinois !
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