Journal de Bord d’un Oriole de Fortune: Episode 1 – La Rencontre

En l’absence de véritable baseball ou même de l’illusion d’une date de reprise, c’est vers nos amis de Out of the Park Baseball que nous nous tournons pour notre fix de petite balle blanche. Un monde merveilleux où les Dodgers peuvent gagner les World Series, où les Mets peuvent réaliser une saison entière sans maladies infantiles ou blessures dues à des sangliers et où même les Orioles peuvent remporter les World Series… Ouais, bon, ok, n’exagérons rien, mais le défi valait d’être relevé. Me voila donc, entraineur dilettante et parfaitement inepte des divisions inférieures dominicaines, à la tête de la franchise de Baltimore. Objectif, ne pas me faire virer tout de suite, gagner des matchs, m’imposer dans l’une des divisions les plus compétitives du baseball et aller chercher LE Titre. Tout commence dans une chaise longue, au bord d’une piscine de Punta Cana, un cocktail à la main et ce téléphone qui ne cesse de sonner

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18 Mars 2020 – Bzzzzzz, Bzzzzzz… Numéro inconnu, encore, le troisième appel ce matin ! J’ai pourtant tout fait pour que mon numéro de portable soit indisponibles aux rebouteux, aux démarcheurs, aux arnaqueurs de tout poil, mais rien n’y fait… Bzzzzz… Bzzzzz… Allez c’est bon, je prends l’appel ils vont m’entendre ces manches à…

  • Ouais !
  • Puchkin LeGrom ?
  • Ouais, tu veux quoi ?
  • Peter Angelos à l’appareil

Le coup dur… plus sournois qu’un démarcheur à l’assurance vie, plus vicieux que l’isolation à un euro, le propriétaire des Orioles et l’opportunité d’une vie qui se présentent à l’improviste. Celle de gâcher ma carrière avant même qu’elle ne commence. Les Baltimore Orioles qui veulent me recruter, moi, me sortir de la Dominican League comme ça et faire de moi leur GM ET Manager ?  Si ça passe, je deviens une superstar, si ça foire je vais me retrouver à coacher des Juniors en Championnat de Bretagne.

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Ewwww… Droite ou Gauche pour le Stade des Orioles?

J’avais cherché les problèmes, c’est sûr, au bout du compte j’étais le seul candidat pour le job… pour les deux jobs même, visiblement. Mais tout s’est passé beaucoup trop vite pour moi, et l’entretien s’est déroulé comme vous pouvez l’imaginer. Peter… son daron est arrivé de Grèce dans les années 50, il était barman. Peter est devenu avocat, membre du conseil de la ville de Baltimore, éleveur de chevaux et puis propriétaire des Orioles. Vous voyez le tableau? Il a 90 ans, ok, mais ce n’est pas le genre de mec à qui tu dis non quand il te fait une offre « que tu ne peux pas refuser », si tu vois ce que je veux dire.

Dans la fumée des cigares, le palpitant à 300 à l’heure sous le reflet de ce qui semblait un million de costumes et de lunettes noires, j’ai pris le stylo et j’ai signé. Le tweet est parti avant même que je ne pose le L de LeGrom: j’étais le taulier des Orioles et, le temps d’une poignée de main aussi glaciale que terrifiante, deux gorilles me jetaient dans l’ascenseur. Quelques minutes plus tard, tandis que je me ruais vers le premier train vers la Pennsylvanie, le drame qui se jouait en moi prenait véritablement corps.

J’étais en charge des Baltimore Orioles. Je devais en faire une franchise respectable… Construire sur le long terme… Retrouver les playoffs… exploiter le Farm System… Ah ouais ! Alors bien sûr, vous le savez, il y a Adley Rutschman et c’est du solide… Mais bon c’est un Catcher (no offence les Catchers qui nous lisent), et derrière je fais quoi, moi ? Dans l’Amtrack vers Philadelphie, je regarde la photo de ma famille, souriante et radieuse, un matin d’automne en République dominicaine. Si je veux les revoir sourire, je devrais en passer par là. Je m’appelle Puchkin LeGrom, j’ai 37 ans, et je suis à partir de ce matin aux manettes des Baltimores Orioles.

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24 Mars 2020 – Quatre jours après le coup de fil fatidique, me voila à Sarasota, Floride, pour les dernières du camp d’entrainement des Orioles. Le Spring Training ! J’en garde un souvenir ému, en tant que joueur des Ligues Mineures vers la fin des années 90. 1999 peut-être. J’étais un jeune espoir sans grand espoir des Expos, en A-Rookie, je sortais du camp d’entrainement, traversant le parking, quand la chaude voix d’Orlando Cabrera s’est fait entendre derrière moi. Quelques secondes après, j’étais au sol, la mâchoire de travers et la gueule réalignée. Mon sac avait touché son rétroviseur, erreur impardonnable. Vingt-quatre heures plus tard, les Expos décidaient de me libérer, et me conseillaient de me diriger vers le coaching. Treize ans de travail acharné pour devenir Manager d’une équipe de Rookie League dominicaine, et puis ce coup de fil.

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« Hey Connard ! » Cette voix qui s’époumone dans mon dos me rappelle un peu plus ma courte existence de Minor League. Je me retourne, et une espèce de géant au volant d’une Mini Cooper frappe son Klaxon d’une main frénétique. Je finis de traverser la route et passe par la blanchisserie du centre d’entrainement des Orioles. Je récupère ma tenue officielle – ils ont forcé sur l’Orange les cochons – et déjà il est temps de passer aux présentations.

Pour cette première entrevue avec le roster, ce n’est pas Peter qui me présente aux joueurs mais son fils, John Angelos. Avez-vous croisé un petit fils de barman, fils de… euh… businessman touche-à-tout, Graduate de Duke University et lui-même dirigeant à poigne avec une gueule de mannequin sorti d’un bouquin de Bret Easton Ellis ? voilà, c’est John, et c’est lui qui me présente, pour commencer, au capitaine… le putain de géant à la Mini Cooper : Chris Davis. Je me tourne vers John :

  • Lui il dégage
  • Mais c’est le capitaine, il nous coute 23 millions par an
  • M’en fous ! On le bazarde
  • On ne peut pas, personne n’en veut à ce prix-là !
  • Mouarf… vous avez de la place aux Archives du Stade
  • Au moins, faites le jouer tous les 3 matchs, histoire de…
  • Si ca peut vous faire plaisir….

Pendant ce temps, sous le regard de ses coéquipiers, Big Chris suit la conversation sans un mot, caché derrière son regard impassible. Première information de cette présaison: ce sera lui ou moi ! Ou alors on deviendra potes plus tard, j’ai vu ca dans plein de livres, et des films, et d’autres trucs. Pour l’instant ranafout’ . Dans le dugout, je repère un gamin, numéro 87, qui discute avec mon bench coach, Fredi Gonzalez.

« Ramon Urias », me chuchote John à l’oreille. « St Louis l’a pioché dans les Ligues Mexicaines, on l’a pioché à Saint Louis… pour faire le nombre ». « Ce sera mon Designated Hitter ». John pâlit, ses yeux font un backflip inattendu avant de se remettre en orbites. Il bégaye un « mais… », regarde son téléphone, il s’en va.

Ramon Urias sera mon Designated Hitter pour l’Opening Day face aux Yankees et à Gerrit Cole. Pas le temps de réfléchir plus en profondeur, l’info tourne vite, et un journaliste star du Baltimore Sun propose déjà, une heure plus tard, une analyse approfondie de mon choix sous un prisme sabermétrique, psychologique et sportif… S’il savait, s’ils savaient que je n’ai absolument aucune idée de ce que je fous ici.

Une fois les présentations terminées, je donne quartier libre aux joueurs pour le reste de la journée, on reprend l’avion pour le Maryland ce soir. Demain, c’est conférence de presse à Camden Yards avant le Season Opener contre les Yankees, et je n’ai absolument aucune putain d’idée de ce que je vais bien pouvoir leur raconter. « Te fais pas de bile vieux », me lâche Fredi dans un clin d’œil, « de toutes façons tu n’arriveras à rien ici… choisis quelques mots dans un bouquin d’analytics, prends une gueule convaincante et ils te foutront la paix jusqu’au All Star Game. » J’aurais peut-être du prévenir Ramon Urias avant qu’il ne découvre son nouveau job dans la presse…

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Lineup
Gagner plus de 60 matchs avec ce roster…et pourquoi pas remplir Tropicana Field pendant qu’on y est?
Publié dans MLB

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