Au coeur de l’été, alors que l’on s’apprêtait à vivre une soirée baseball comme tant d’autres, un communiqué des Los Angeles Angels plonge le monde de la MLB et ses suiveurs dans l’effroi : le lanceur Tyler Skaggs est mort. Après l’émotion, les questions, à mesure que les informations tombent sur les causes de la mort du joueur. The Strike Out fait un point sur l’enquête en cours.

Les faits
Tyler Skaggs doit fêter son 28e anniversaire le 13 juillet. Le 1er juillet, à quelques heures du premier des quatre matchs d’une série qui doit opposer les Angels aux Rangers, le lanceur est retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel de la ville de Southlake au Texas.
Angels statement on the passing of Tyler Skaggs. pic.twitter.com/6XA2Vu1uWV
— Los Angeles Angels (@Angels) July 1, 2019
Les premières infos en provenance de la police locale nous apprennent que les hypothèses d’un crime ou d’un suicide ne sont pas privilégiées pour le moment. Le match 1 de la série est reporté, les Angels comme les Rangers n’étant bien sûr pas prêts à rentrer sur le terrain après l’annonce de ce drame. A Los Angeles, les supporters viennent déposer des fleurs devant le Angel Stadium…

… Les autres matchs de cette soirée du 1er juillet débutent avec un moment de recueillement en hommage à Tyler comme ci-dessous au Petco Park des San Diego Padres.

La MLB en deuil
L’annonce du décès du joueur plonge la MLB dans l’effroi. Ses coéquipiers et anciens coéquipiers expriment leur émotion devant la presse. Les hommages se multiplient sur le terrain. Pour son start du 2 juillet, soit au lendemain de l’annonce, Patrick Corbin, ami très proche de Skaggs, obtient l’autorisation de troquer son n°46 habituel pour le n°45 que portait le joueur défunt.

C’est aussi le 2 juillet que les Angels retrouvent le terrain. Le maillot de Skaggs les accompagne dans le dugout. Le coeur lourd mais déterminés à honorer leur coéquipier, leur ami, les joueurs de Brad Ausmus s’imposent face aux Rangers 9-4. A l’issue de la rencontre, Mike Trout prend la parole devant la presse… Un moment très très fort.
Les hommages à Skaggs continuent au All-Star Game qui a lieu quelques jours plus tard à Cleveland, les joueurs sélectionnés portent un patch numéro 45. Le 12 juillet, les Angels disputent leur premier match à domicile depuis la tragédie. Ses proches sont là, sa mère lance le first pitch et tous les joueurs Angelinos portent le numéro 45. Portés par leur étoile, les lanceurs Taylor Cole et Felix Pena se relaient pour réaliser un “no-hitter” lors d’une victoire 13-0 face aux Mariners… Le monticule du Angel Stadium est terre de recueillement.

Les premières rumeurs
La MLB est sous le choc en ce 1er juillet et la police texane elle poursuit son enquête. Très peu d’informations filtrent dans les heures suivant le drame, laissant place aux spéculations. Comment un joueur de 27 ans suivi au quotidien par un staff médical peut-il décéder aussi brutalement? On pense en premier lieu à un arrêt cardiaque, mais face à l’absence d’explication officielle une autre théorie ne peut s’empêcher d’émerger : la possibilité d’une overdose. Elle est publiquement mise en avant dans un article en ligne du Santa Monica Observer, dès le 3 juillet. Il est fait mention d’une mort par overdose suite à la prise d’opioïdes*. Les critiques ne tardent pas, en premier lieu de la part des Angels.
“The Santa Monica Observer story is categorically incorrect. The cause of death is still under investigation. This sort of reckless reporting from Tyler’s hometown paper is disappointing and harmful.” – Marie Garvey, porte-parole des Angels.
Mais aussi de la part de la police qui explique qu’aucune thèse ne peut être avancée à ce moment de l’enquête, et que les résultats des tests toxicologiques et autres réalisés lors de l’autopsie de Tyler Skaggs ne seront pas connus avant 90 jours. Face à la polémique, la mention de l’overdose est retirée de l’article et il est précisé que c’était une spéculation de l’auteur.
Le rapport d’autopsie
La police avait évoqué une attente nécessaire de 90 jours pour en savoir plus sur les causes de la mort de Skaggs, mais c’est finalement le 30 août que le rapport d’autopsie est rendu public. Le jeune homme est mort le 1er juillet après s’être étouffé dans son vomi après avoir ingéré de nombreuses substances : alcool, fentanyl et oxycodone. Une terrible nouvelle qui confirme en fait les premières rumeurs qui faisaient état d’une overdose. Face à ces révélations, la famille du défunt s’interroge publiquement sur la façon dont Tyler Skaggs s’est procuré ces substances, et réagit au fait qu’un employé des Angels pourrait être impliqué. Skaggs est mort lors d’un déplacement donc il a soit emmené les drogues dans ses bagages personnels, soit elles ont été achetées sur place et dans ce cas “comment? à qui? avec l’aide de qui?”.
“We were shocked to learn that it may involve an employee of the Los Angeles Angels. We will not rest until we learn the truth about how Tyler came into possession of these narcotics, including who supplied them.” – Communiqué de la famille de Tyler Skaggs.
Côté Angels, le GM Billy Eppler refuse de faire tout commentaire puisque l’enquête est toujours en cours. Il précise que le club collabore avec les autorités sans pour autant confirmer ou infirmer le lancement d’une enquête interne.
Le témoignage clé
Nouveau rebondissement dans l’enquête le 12 octobre : T.J. Quinn, journaliste pour le groupe ESPN, publie un article, une longue investigation pendant laquelle il a eu accès aux rapports d’auditions.
BREAKING: Angels employee tells DEA about extensive opioid use with Tyler Skaggs, that he told two team officials about Skaggs’ abuse, and named other players as having used opioids, sources tell OTL.https://t.co/YGmF58mX7M
— T.J. Quinn (@TJQuinnESPN) October 12, 2019
LA grosse révélation c’est qu’un employé du département des relations publiques des Angels a avoué aux policiers avoir fourni de l’oxycodone à Skaggs et indiqué que le lanceur en prenait depuis des années! Cet homme a déclaré avoir donné trois comprimés d’oxycodone à Skaggs la veille ou l’avant-veille du départ de l’équipe vers le Texas. Il doute quand même sur le fait que ces pilules soient celles ingérées par le joueur le jour de sa mort car Skaggs avait – selon les dires de ce témoin – l’habitude de consommer ces pilules immédiatement après les avoir reçues. Skaggs aurait de nouveau contacté cet employé le jour du départ vers le Texas pour tenter d’obtenir d’avantage d’oxycodone… Une demande qui n’a pas trouvé suite.
Cet homme qui a longuement témoigné devant les enquêteurs n’est pas un inconnu dans l’organigramme du club : il s’appelle Eric Kay, employé dans l’organisation des Angels depuis 24 ans. Il a débuté comme stagiaire en communication du club avant de grimper dans la hiérarchie jusqu’à prendre la tête du service en 2014. Kay est actuellement suivi pour traiter sa propre addiction, et a été libéré de son contrat par les Angels.
Selon le journaliste, Kay a aussi informé les services de la DEA (Drug Enforcement Administration – Agence anti-drogues américaine) qu’il avait informé deux membres de l’organisation de la consommation de drogue de Skaggs avant sa mort. Hospitalisé pour une overdose en avril dernier, Kay reçoit à l’hôpital la visite de Tim Mead alors vice-président du département communication. La mère de Kay, présente au même moment, découvre sur le portable de son fils un texto de Skaggs lui demandant de lui fournir des comprimés. Elle aurait alors alerté Mead de la situation, citant nommément Skaggs. Kay a assuré aux enquêteurs de la DEA qu’il avait déjà informé Mead de la situation en 2017. Tim Mead a quitté ses fonctions chez les Angels en juin pour prendre la présidence du Baseball Hall of Fame and Museum. Il a lui aussi nié être au courant des pratiques du lanceur décédé.
Toujours selon le journaliste de ESPN, lors de son audition Eric Kay a donné aux agents de la DEA les noms de cinq autres joueurs des Angels qui, selon lui, utilisaient des opioïdes. Les noms des joueurs ne sont évidemment pas mentionnés dans l’article.
Les conséquences pour les Angels
A la parution de l’article de T.J. Quinn, les dirigeants de la franchise ont démenti en bloc toute accusation, assurant qu’ils n’étaient absolument pas au courant de la consommation de drogues de leur joueur. Ils rejettent en quelque sorte la responsabilité sur le seul Eric Kay.
On l’a dit dans la séction précédente, Eric Kay aurait donné aux enquêteurs les noms d’autres joueurs des Angels qui consommeraient des opioïdes. Un article du Los Angeles Times dans la foulée de celui de ESPN indique que la DEA a auditionné au moins six joueurs. Parmi eux : Noe Ramirez, Andrew Heaney et Trevor Cahill qui sont toujours dans le roster des Angels plus Matt Harvey qui a terminé la saison chez les A’s. Le quotidien californien apporte une précision importante : ces joueurs n’auraient pas été spécifiquement entendus sur la question de la consommation d’opioïdes mais dans le cadre général de l’enquête.
“The players interviewed were reportedly not being specifically targeted, suspected of using opiates, or otherwise implicated in criminal activity.” – Los Angeles Times
Même si l’organisation des Angels rejette pour le moment les accusations, la MLB suit bien évidemment le dossier. Selon T.J Quinn, la MLB n’aurait pas encore ouvert sa propre enquête, et attend les conclusions de celle de la DEA. Dans ce genre de cas, le règlement de la Ligue est clair : un employé d’une équipe – autre qu’un joueur – a obligation d’informer le Commissionaire s’il a un doute sur la prise actuelle ou passée de substances prohibées par un joueur.
Under MLB policy, any team employee who isn’t a player is obligated to inform the commissioner’s office of “any evidence or reason to believe that a Player … has used, possessed or distributed any substance prohibited” – Règlement MLB.
S’il est confirmé qu’un membre des Angels était au courant des problèmes d’addiction de Tyler Skaggs et ne l’a pas rapporté, le règlement permet à la MLB d’infliger une amende de deux millions de dollars au club. L’amende peut être beaucoup plus importante si il s’avère que plusieurs personnes étaient au courant. La MLB a également la possibilité d’exclure voire de bannir à vie tout employé de n’importe quelle franchise en cas de violation grave du règlement.
Il y a aussi la possible (probable?) question d’une plainte déposée par la famille de Skaggs. Ce pourrait être pour “négligence”, “dissimulation” voire “complicité” qui ont conduit à la mort du jeune homme (ces termes ne sont pas juridiques à proprement parler, mais la tradiction littérale des termes en anglais). Un autre aspect est pointé du doigt dans un article de Sports Illustrated : Skaggs est décédé dans sa chambre d’hôtel réservée par le club. Ce dernier est responsable de ses employés donc de ses joueurs pendant la saison officielle. Si Skaggs était décédé pendant l’intersaison, la situation serait différente. La sécurité des joueurs doit être assurée par le club : et si Kay n’a pas fourni de drogue à Skaggs le jour de sa mort, quelqu’un d’autre dans l’organisation l’a-t-il fait? Une personne venant de l’extérieur se serait-elle introduite dans la chambre d’hôtel de Skaggs?
Les conséquences pour la MLB
Si la famille de Tyler Skaggs dépose une plainte contre les Angels, elle peut aussi le faire contre la MLB, toujours autour de cette problématique “Qui était au courant, depuis quand…?”.
Cette affaire et la mort tragique de Tyler Skaggs posent aussi la question des contrôles anti-drogues en MLB, notamment en ce qui concerne les opioïdes qui sont un véritable fléau pour la société américaine (plus de 100 morts par jour par overdose). Le monde du baseball n’est pas une bulle isolée et rien ne permet de penser qu’il est totalement à l’abri de cette question. La MLB par la voix de l’un de ses responsables a cependant indiqué qu’aucun cas d’utilisation d’opioïdes n’a été remonté.
“We have not received from our medical community any information that would lead us to believe opioids are a widespread issue in baseball.” – Dave Halem cité dans un article de The Athletic.
Cela n’empêche pas la MLB de réfléchir à imposer des tests spécifiques aux opioïdes dès la saison prochaine. Aujourd’hui ces tests ne sont prévus que dans des cas très spécifiques. Des discussions seraient déjà entamées avec le syndicat des joueurs (MLBPA) qui devra obligatoirement donner son accord.
Talks are underway to implement opioid testing in Major League Baseball this offseason.https://t.co/yGt5QTsMeB
— Evan Drellich (@EvanDrellich) October 15, 2019
Il faut savoir que des tests anti-drogues plus poussés qu’en MLB sont réalisés en MiLB. Les responsables ont eux aussi expliqué que cette problématique des opioïdes n’avait – pour le moment – pas “infiltré” les Ligues Mineures.
Conclusion… loin d’être définitive
Après les révélations de ces derniers jours, le dossier Tyler Skaggs jette une ombre sur l’organisation des Angels, même si – encore une fois – des démentis ont été apportés. La DEA n’a pas encore terminé son enquête, d’autres informations pourraient sortir ces prochains jours/mois sur “l’implication” ou non du club dans la mort du joueur. La MLB lancera sa propre enquête dans la foulée. Le dossier est donc loin d’être clos. Quelles qu’en soient les conclusions, il n’est en aucun cas question chez TSO de minimiser l’importance et le choc qu’ont été pour tous la mort de Tyler Skaggs.
*Selon la définition du Larousse, un opioïde est une substance synthétique ayant des effets semblables à ceux de l’opium. Dans le langage commun, les opioïdes sont une catégorie de médicaments puissants qui sont généralement prescrits pour soulager les douleurs graves et qui entraînent une grave dépendance.
2 réflexions sur “Le dossier Tyler Skaggs”