Vous connaissez le film de Harold Ramis, Un jour sans fin, avec Bill Murray, ce fan des Chicago Cubs et accessoirement acteur talentueux et mythique ? Notre héros y vit et revit la même journée, encore et encore, et encore, et encore. Apparemment, c’est le storytelling choisi pour animer chaque année le championnat de France D1 de baseball. Chaque saison, c’est la même rengaine : Rouen est champion.
Il y a bien eu le bug de l’an 2014 où Sénart l’a enfin emporté, le PUC se chargeant d’éliminer Rouen en demi. Mais, hormis cette péripétie scénaristique, les Huskies enchaînent les titres. Et disons-le, comme chaque année, Rouen est le grandissime favori à sa propre succession. Ce n’est plus un spoiler ou une prédiction à ce niveau-là, mais un froid constat. Qu’ils dominent outrageusement la finale ou s’en sortent au bout d’un match 5 de folie (et polémique) comme en 2017, ils brandissent le trophée à la fin.
Ce dimanche 8 avril, la D1 reprend. The Strike Out vous présente les forces en présence. Un nouveau remake d’Un jour sans fin ?
Rouen est-il vraiment le grandissime favori ?
Les raisons qui font une nouvelle fois de Rouen le principal favori à sa propre succession ne manquent pas. Mais la première reste évidemment son pitching staff, qui allie la qualité à la quantité : Owen Ozanich (1.42, 9-1), Yoann Vaugelade (2.06, 3-2), Esteban Prioul (1.49, 6-0), Keino Perez (1.21, 2-0), Leo Cespedes (2,82, 1-0), Théophile Danne (2.43 en N1) auxquel s’ajoutent désormais le saint-martinois Franklin de la Rosa et l’import de la saison au poste de partant, le vénézuélien Gerwuins Velazco, ancien du système des Cardinals de Saint Louis. Comme chaque année, Rouen et son pitching staff sont l’indécence incarnée (ERA de collectif de 1.75 en 2017 !).
A cela, il faut bien entendu rajouter une ossature solide tant en défense qu’en attaque. Pour renforcer cette défensive sérieuse et cette puissante attaque (Dylan Gleeson, Maxime Lefèvre, David Gauthier, Kenji Hagiwara, Luc Piquet, etc), les Huskies compteront sur leurs trois imports. Velazco, déjà cité, joue également receveur et peut frapper au-dessus des .300 de moyenne. Les deux autres imports vénézuéliens, Miguel Mendez (SS/2B, frappant pour .325 chez les Reds Cincinnati en Rookie League de 2011 à 2014)) et Johan Carias (3B/2B), qui jouaient pros dans leur pays natal, apporteront puissance, expérience et vitesse à l’équipe afin de pallier au départ des deux meilleurs frappeurs de l’équipe en 2017, Jonathan Jaspe et Larry Infante.

Enfin, les Huskies ont recruté deux jeunes espoirs français, José Paula (OF), qui a passé deux ans en Rookie League avec les A’s d’Oakland, et Louis Brainville, qui évoluera en infield prioritairement (il est aussi lanceur). Sans compter les autres espoirs du club (Luc Viger, Auguste Guern, Rodrigue Louvry, etc) qui évolueront en D2 cette saison, mais à même de renforcer l’équipe si nécessaire.
Les Huskies ont construit une équipe pour dominer la saison régulière, remporter le Challenge de France, devenir quasiment injouables en playoffs et s’imposer au niveau européen. Un Rouen en mode ogre. Et la meute, en prenant un match au champion d’Europe, le Neptunus de Rotterdam, le week-end dernier, a lancé un signal fort : toujours plus fort, toujours plus haut !
Qui pour battre les Huskies ?
Difficile à dire. Sur le papier, Rouen, par la qualité de son effectif, sa culture de la gagne et son mental, domine. Mais Sénart a bousculé cette certitude par deux fois en 2017. Tout d’abord, en éliminant les Huskies en demi-finale du Challenge de France, devant le public rouennais, tout en maîtrisant parfaitement le match. Puis lors de folles French Series, en poussant notamment Rouen dans les prolongations d’un match 5 fou et polémique. Sénart, dont le mental était parfois le point faible face à Rouen, a gagné des points sur cet aspect-là et, avec l’esprit de revanche, devrait encore se présenter en premier challenger.
Surtout que Sénart s’est bien renforcé pour posséder une attaque plus redoutable encore que celle de la saison dernière, où l’international français Félix Brown avait brillé (.419, 3HR). Au rayon « belles prises », les Templiers ont signé deux joueurs des Barracudas, l’international français Jorge Hereaud (.280) et le vénézuélien Alexander Perdomo (.295). Ils récupèrent également Brice Lorienne (.306, 1HR). Le joueur-coach de Clermont, relégué en D2, retrouve Sénart. Trois recrues très solides. A cela, ils compteront un jeune receveur français, formé à Saint Martin, Luis Delogu. Pensez que ces noms s’additionnent aux Florian Peyrichou, Pierrick Lemestre ou Matthieu Brelle-Andrade. Les Templiers veulent sonner la charge.
Deux imports vénézuéliens (pays très en vogue dans le baseball français) pour renforcer le monticule : le lanceur partant Robert Palencia, ancien des Reds de Cincinnati, qui a joué pro au Vénézuela, en première division italienne et au Panama où il a été élu meilleur joueur du championnat en 2017. Il sera combiné à un closer, compatriote, Hector Mayora, également professionnel. Néanmoins, Sénart a perdu trois lanceurs. Antoine Villard, parti en college US, retournera à Montpellier en cours de saison. Haywood Wise repart à Montigny. Et Jonathan Mottay (2.77, 8-2), l’un de leurs meilleurs partants, après une saison hivernale en Australie, a rejoint le championnat allemand. Trois départs qui pourraient peser lourd, notamment en playoffs.

L’autre challenger habituel, c’est Montpellier. En 2017, les Barracudas, qui visaient la victoire finale, ont connu un très mauvais départ. Après avoir été finalistes du Challenge de France, ils ont remonté la pente sans pouvoir rattraper leur retard sur Rouen et Sénart en termes de niveau de jeu. Que leur réservera la saison 2018 ? L’intersaison a été compliquée car les sudistes ont enregistré les départs de Jorge Hereaud, Alex Perdomo et Bastien Dagneau chez des concurrents directs. Trois battes majeures de la saison dernière. L’équipe pourrait également devoir se passer de Fred Walter et de Mael Zan, ce dernier partant jouer en college américain en septembre. Autre départ assuré, le jeune lanceur Lilian Amoros, qui retourne à son club d’origine Savigny où il retrouvera son frère Axel.
Pour les bonnes nouvelles, Montpellier récupérera en cours de saison le lanceur international Antoine Villard (3.77, 5-2), qui a passé la saison dernière à Sénart et qui joue actuellement en college US. Autre retour, celui du receveur américain Alex Carter (.400, 1HR), une des meilleures battes de la D1 2017. Enfin, leur lanceur étranger sera australien. Jeremy Young, vice-champion du monde U23 en 2016, a joué quatre saisons pros en Australian Baseball League avec les Aces de Melbourne mais essentiellement comme releveur. Sera-t-il au niveau pour permettre à Montpellier de concurrencer Rouen et Sénart, lui qui a connu un hiver 2017-2018 difficile (ERA 29.45 en 5 matchs et 3.2 manches) ? Montpellier devra plutôt regarder derrière son épaule en 2018.
Car il y a un club qui ambitionne de bouleverser l’habituel Top 3 voir de titiller le champion, Montigny. Les Cougars ont été très tôt très actif dans le mercato. Bastien Dagneau (.322, 4HR) ne sera pas resté longtemps dans le sud puisqu’il quitte Montpellier pour revenir dans son club formateur. Une batte puissante qui va faire du bien aux Cougars. Autre sudiste, un ancien des Barracudas et des Chevaliers de Beaucaire, Simon Vicente. International français, capable de frapper au-delà des .300, Vicente est un renfort de poids pour l’ancien promu qui va perdre plusieurs « anciens », comme Alex Couton (.294), qui vont désormais évoluer en réserve.
Avec cette nécessité de solidifier l’équipe, les Cougars sont allés chercher Gabriel Do Carmo des Jimmers de Saint Lo. Le receveur brésilien arrive de D2 avec une belle ligne de stats (.373, 1HR) pour découvrir l’élite du baseball français. Il n’arrive pas seul puisque son coéquipier Antoine Rault le suit à Montigny. Autre renfort de Normandie, Maxime Nutte débarque de Rouen. A 22 ans, Montigny sera tout de même son cinquième club de l’élite.
En revanche, l’ace 2017, Tomas Cabaniel ne revient pas cette saison mais les Cougars lui ont trouvé un successeur, le vénézuélien Yorfrank Lopez, qui a passé 6 ans en Ligues Mineures avec les Tigers de Détroit, qui a connu les championnats pros du Venezuela avant de jouer brillamment en Italie et en Espagne. Un lanceur dominant qui pourrait rendre les Cougars très dangereux dans le haut du tableau. Il ne serait pas étonnant de voir une ou deux autres recrues étrangères débarquer prochainement et gonfler la puissance d’attaque des Cougars.
Quelles équipes peuvent prétendre aux playoffs derrière le top 4 ?
Rouen, Sénart, Montpellier, Montigny. Le quatuor devrait composer la première moitié du championnat, voir les demi-finales de la D1. Mais derrière, on pourrait assister à une lutte pour les playoffs à quatre. La raison : beaucoup de recrues étrangères qui vont booster ces équipes, y compris le promu, La Rochelle.
La Rochelle va vivre sa première saison en D1. Club dynamique, qui a gravi rapidement les échelons, les Boucaniers ont fait le plein d’imports. En premier lieu, le retour de leurs trois américains : le lanceur Daniel Blum (2.42, 6-0), le 3ème base et releveur Chris Buitron (.371, 1HR, 1.65, 0-1) et le joueur/coach Forrest Crawford, le frappeur le plus régulier des Boucaniers en 2017 (.374). Ils pourront également compter sur le lanceur chilien Pablo Ossandon (1.38, 9-0), un ancien des Huskies qui revient donc en D1.

À ce déjà casting séduisant, se sont ajoutés le canadien Matthew Gee-Kung Ing (UP), le saint-martinois David James (1B), en provenance des Toulouse Tigers, et surtout l’ancien minor leaguer des Tampa Bay Rays, le dominicain Ariel Soriano (OF/2B/SS, .258 et 16HR en six saisons de Ligues Mineures). Du lourd pour le promu qui a garni son roster de joueurs rôdés de D2/N1 (Nicolas Dejean, Jean Pascal Furet, Nicolas Antoine, Cyrian Pigoury).
La Rochelle pourrait donc poser de gros problèmes en attaque grâce à ses imports mais manquera de consistance dans le pitching staff pour vraiment concurrencer le Top 4. Néanmoins, avec un tel recrutement, les playoffs sont un objectif à leur portée pour leur première saison en D1.
Savigny a procédé très tôt à son recrutement d’imports, affichant dès cet hiver de vraies ambitions. On commence par Yeixon Ruiz (OF/IF), qui a passé huit saisons en Ligues Mineures avec les New York Mets avant d’évoluer en Indy Leagues, en Can-Am et en Frontier League (.262, 16HR en 8 saisons nord-américaines). Le dominicain sera accompagné d’un américain et d’un australien. Le premier s’appelle Tim Mansfield, champ extérieur ayant évolué en NCAA D1 avec la High Point University (.311, 2HR en 2017). Le second est un lanceur de 2m01 et 118kgs, coéquipier de Tim Mansfield en NCAA puis professionnel avec le Heat de Perth en Australian Baseball League, Conor Lourey (3.22, 1-2 en ABL 2016-2017). Et, tout comme le lanceur de Montpellier, vice-champion du monde U23 en 2016.
La saison 2018 étant celle des retours, les Lions en enregistre deux : le jeune lanceur Lilian Amoros (5.68, 1-1) et le vétéran Christopher Morel, connaisseur de la D1. Deux retours qui, couplés aux imports et à une équipe de Savigny 6ème de la saison dernière, pourrait encore une fois s’assurer une place en postseason.
Cela dit, une équipe est bien décidée à se qualifier aussi en playoffs après une saison 2017 compliquée. Les Ducks de Saint Just Saint Rambert ambitionnaient un premier championnat D1 plus explosif. Ils ont au contraire souffert, particulièrement en première partie de saison. Ils devraient se montrer plus compétitifs en 2018 malgré le départ de Douglas Rodriguez et d’Harvey Garcia notamment. Deux vénézuéliens s’en vont, quatre autres arrivent. Keivy Rojas (2.58, 6-3), le partant de Montpellier en 2017, va amener de la solidité sur la butte des Ducks. Autre lanceur du Venezuela, José Martinez arrive avec un beau CV, lui qui a joué en Ligues Mineures pour les Reds de Cincinnati et en championnat pro au pays. Dernier vénézuélien sur la butte, le lanceur Rayner Oliveros qui revient en France, après deux saisons avec les French Cubs de Chartres en D1 (2015-2016). Ce trio sur la butte peut être redoutable même face aux grosses cylindrées.
Cela dit, la plus belle prise de Saint Just est assurément Larry Infante (.393, 3HR), une batte puissante et constante, qui a fait des ravages au PUC puis à Rouen. L’un des meilleurs joueurs de la D1 depuis 2014 pourrait faire passer un cap aux Ducks. À côté de ça, le retour côté Saint Just s’appelle Nicolas Martin (5.74, 3-5). Le lanceur quitte le PUC et retrouve l’un de ses deux frères, amenant une solution supplémentaire au pitching. Et ce n’est pas fini ! Jean Scavo Diaz des Toulouse Tigers, ancien du championnat italien, Gilberto Berry Rivera, franco-dominicain formé en République Dominicaine, Loïc Patry, Rahim Saidi et Clément Noblet, tous trois passés par le Pôle France, seront des éléments qui donneront de la profondeur à une formation qui devrait offrir un nouveau visage cette saison, du genre chirurgie esthétique lourde.
L’inconnue 2018, c’est le Paris Université Club. Les pucistes récupèrent leur joueur vedette, Douglas Rodriguez (.305, 2HR), après trois saisons loin du bercail. Rodriguez a connu des débuts très difficiles avec Saint Just avant de revenir à son niveau. Au PUC, il va redevenir le patron, rôle qu’il a su merveilleusement tenir après son arrivée en 2007. Il arrive accompagné d’Harvey Garcia (4.84, 4-7), l’ancien Major Leaguer, qui n’est plus aussi dominant qu’à son époque américaine mais qui reste un lanceur utile face aux équipes de la seconde moitié du classement. Les parisiens, qui aiment donner le poste d’arrêt-court à une recrue étrangère, ne dérogent pas à la règle cette saison avec le dominicain Rafael Lora, en provenance de Mulhouse et qui a évolué à Grosseto en Italian Baseball League.

Nicolas Martin sera remplacé sur la butte par le saint-martinois David Van Heyningen. Passé par Toulouse, ex-lanceur international, le français fait donc son retour en D1. Au bon moment pour offrir une sérieuse solution au PUC en ce début de saison 2018. Derrière, le PUC a fait le choix de la jeunesse avec quelques jeunes pousses des pôles France et Espoir : Erwan Prieur, Arthaud Poupard, Kevin Khemache, Ismaël Pontiac. En ayant une équipe en D2, le PUC adopte la même stratégie de développement que Rouen. Autre joueur recruté, Harry Tyler, qui a connu la D1 entre 2013 et 2015 (.250 en 2015 avec Toulouse).
L’ombre au tableau, Pierre Turettes (.281, 2.54, 6-0) ne retournerait pas au PUC. Frappeur et lanceur adroit, ce serait une vraie mauvaise nouvelle pour les pucistes. L’impact des performances des imports présents, et à venir éventuellement, ainsi que celle de Van Heyningen détermineront la possibilité du PUC à participer à la bataille pour l’accès aux playoffs.
Une saison de transition
Paradoxe ? Mauvais timing ? Alors que la D1 pourrait enfin offrir un championnat plus relevé, avec un supplément de suspens tant en haut du tableau qu’en bas, la voilà qui se prépare à s’agrandir. Dès 2019, douze équipes, réparties en deux poules, concourront au sein de l’élite. Avec le risque de voir une D1 à trois ou quatre vitesses.
Pour les équipes de la seconde moitié de tableau, cette nouvelle formule est une aubaine. Aucune relégation. La garantie de rester en première division en 2019, voire au-delà car l’accès à la D1 sera plus difficile. Et une saison sans relégation est une saison où on peut jouer sans pression. Un élément qui pourrait donner des ailes à certaines équipes, de lâcher les chevaux et de jouer pour le plaisir tout en préparant sereinement l’avenir.
La saison 2018 sera donc une rampe de lancement. Pour Rouen, l’objectif principal sera l’Europe. Pour Sénart, ce sera Rouen… et son titre. Pour Montpellier, ce sera de maintenir sa position dans le top 3. Pour Montigny, ce sera de bousculer ce top 3 et s’offrir une finale. Et derrière, les historiques, le PUC et Savigny, qui ont connu la gloire en D1, travailleront à consolider leurs positions pour la conquérir de nouveau. Mais ils devront regarder derrière car Saint Just et La Rochelle comptent bien jouer les premiers rôles à terme.
2018, une rampe de lancement vers une D1 à 12 qui, dès l’année prochaine, pourrait bouleverser le haut niveau du baseball français.
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