WBC 2023 – Cuba : le lent déclin de la pelota

Du 8 au 21 mars prochains, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO. Pour ouvrir le bal, nous voyageons dans une des plus grandes nations de l’histoire du baseball, Cuba.

Statue du légendaire fan Armandito “El Tintero” au Estadio Latinoamericano de La Havane, Cuba – crédits : Boris Luis Cabrera Acosta

Il n’y a pas si longtemps, Cuba faisait office d’ogre du baseball mondial, collectionnant tous les titres internationaux dont trois médailles d’or aux Jeux Olympiques. Mais depuis plus d’une dizaine d’années, la « pelota » a entamé un lent déclin, que ce soit sur l’île de Cuba ou sur la scène internationale. Ses performances à la World Baseball Classic en témoignent. Après une finale perdue contre la Japon lors de la première édition en 2006, Cuba a été sortie au second tour dans tous les autres tournois de la WBC. Concurrence du football, sous-médiatisation et problèmes structurels sont quelques unes des raisons avancées pour expliquer les déboires du baseball cubain. The Strike Out est allé à la rencontre de Boris Luis Cabrera Acosta, journaliste à la Tribuna de la Habana, et de Phil Selig, fondateur du site et de la chaîne Youtube Cuba Dugout, pour tenter de comprendre les défis auxquels le baseball cubain fait face.

C’est un événement qui vient de se produire à Cuba. Le 24 janvier, la Fédération Cubaine de Baseball a annoncé le roster pour la prochaine World Baseball Classic, la compétition reine du baseball international, qui se déroulera du 8 au 21 mars prochains. Dans ce roster, pour la première fois, des joueurs cubains exilés en Major League Baseball pourront revêtir la tunique de l’équipe nationale. Jusqu’à présent, les joueurs qui avaient émigré aux États-Unis et rejoint la grande ligue professionnelle américaine, se retrouvaient exclus de la sélection nationale, même si certains en avaient déjà été membres. Pour les autorités cubaines, il était hors de question que ceux qui avaient rejoint l’ennemi Yankee puissent représenter Cuba. Le fait de voir des stars de la MLB, comme Luis Robert et Yoan Moncada, coéquipiers aux White Sox de Chicago, participer à la compétition avec Cuba s’apparente à une petite révolution et pourrait redonner des couleurs à un baseball cubain morose.

« L’époque où Cuba était une puissance internationale du baseball a disparu depuis longtemps »

Car le baseball cubain ne va pas bien. « L’époque où Cuba était une puissance internationale [du baseball] a disparu depuis longtemps » analyse lucidement Phil Selig, fondateur de Cuba Dugout. Un constat sans appel quand on consulte le palmarès de l’équipe nationale et les résultats depuis 10 ans. Cinq finales aux Jeux Olympiques entre 1992 et 2008 pour trois médailles d’or, 25 titres de champions du monde, des dizaines de titres dans les compétitions continentales et une deuxième place lors de la première édition de la World Baseball Classic 2006, remportée par le Japon. Mais depuis les années 2010, Cuba a lentement pris place dans le groupe des second couteaux, vivotant entre la 5ème et 7ème place des WBC suivantes. Sa dernière médaille mondiale ? 2011, dans la dernière coupe du monde amateur (désormais, la WBC fait office de coupe du monde, co-gérée par la MLB et la World Baseball Softball Confederation), battue en finale par une surprenante équipe des Pays-Bas. Mais le pire était à venir. Pour le retour du baseball aux JO à Tokyo, Cuba en fut absente, ratant son tournoi de qualification et perdant quelques uns de ses meilleurs joueurs dans d’habituelles défections. Un drame pour le pays qui trônait en haut du baseball olympique et mondial, partageant l’étiquette de superpuissance de la discipline avec les États-Unis et le Japon. Désormais, Cuba est à la 8ème place du ranking WBSC (9ème en 2021).

Comment expliquer un tel recul pour une nation où le baseball reste, officiellement, le sport roi ? Les raisons sont multiples et profondément liées entre elles. Une de ces raisons tient à des problèmes structurels, tant pour le baseball que l’ensemble de la société : le manque de moyens, conséquence d’un pays en proie à d’importantes difficultés économiques. Développer le baseball à grande échelle et cultiver le très haut niveau, cela coûte de l’argent. Il faut du matériel et des infrastructures. Or, l’achat de matériel se révèle difficile pour les pratiquants. Un gant de baseball, seul, coûte en moyenne l’équivalent du salaire moyen de l’île. Certes, les Cubains ont appris à développer un baseball de rue sans gant et sans batte, le cuatro esquinas, pratique qui a donné depuis le Baseball5, mais cela ne permet pas de palier ces difficultés. Côté infrastructures, les stades de baseball sont vieillissants et les terrains pas toujours en état pour faire jouer les jeunes. « Les ressources se font rares et les athlètes ont de nombreux besoins en matériel et en terrains adaptés, notamment dans les catégories jeunes. Les autorités ne peuvent pas faire grand-chose car ce sport coûte cher, et sans argent, il est très difficile de le développer », commente le journaliste cubain Boris Luis Cabrera Acosta, « les enfants et adolescents jouent peu en compétition et ils accèdent en première division avec beaucoup de carences et peu d’expérience. Cuba continue de jouer au baseball à l’ancienne, loin de la science et des nouvelles tendances, et il y a peu de formation pour les entraîneurs.  ». Phil Selig abonde dans ce sens « les facilités et le matériel d’entraînement font souvent défaut et cela semble impacter davantage la formation des lanceurs. Les vitesses stagnent ou n’ont pas progressé comme du côté des États-Unis, et c’est pourquoi nous avons eu plus de frappeurs ayant de succès en quittant l’île que de lanceurs ces dernières années ».

Un baseball bloqué un siècle en arrière

Au-delà des questions d’argent, de formation et d’infrastructures, c’est aussi l’incapacité du baseball cubain à faire sa mue que pointent de nombreux spécialistes. A l’ère des statistiques avancées et de l’amélioration des préparations athlétiques et techniques de manière scientifique, Cuba semble figée au 20ème siècle. La fédération a bien tenté de trouver des solutions mais, pour nos deux experts, elles ont soit échoué soit eu peu de conséquences positives, comme le montre les résultats internationaux mais aussi la baisse de compétitivité de la première division cubaine. Ou plutôt, depuis 2022, des premières divisions. Après le succès de la révolution castriste en 1959, un nouveau championnat national voit le jour en 1961, la Serie Nacional de Beisbol, ou National Cuban Series. Longtemps, ce championnat fut considéré comme l’un des tous meilleurs au monde, antichambre de la puissante équipe nationale mais aussi de futures stars de la MLB, avant leur exil. Mais ça, c’était avant. Pour contrer cette perte de vitesse, les dirigeants du baseball cubain ont créé une nouvelle ligue en 2022. Historiquement, la Serie Nacional se jouait en hiver. Désormais, ce championnat se déroule au printemps, une nouvelle ligue, la Cuban Elite League, remplaçant son aînée lors de la période hivernale. Ainsi, l’atout numéro un de Cuba, la capacité de pouvoir jouer au baseball toute l’année est maximisé, permettant de donner plus de temps de jeu aux athlètes.

Mais cela sera-t-il suffisant pour rehausser le niveau de jeu alors que les défis sont immenses ? En plus des problèmes évoqués plus haut, le baseball cubain doit faire face à la fuite des talents. « Cuba n’a jamais produit autant de talents. Malheureusement, la plupart d’entre eux quitte l’île » signale Phil Selig. De nombreux joueurs s’exilent pour aller jouer à l’étranger, et ce dès l’adolescence. A cette perte de talent, s’ajoute celle réalisée sous le parrainage de la fédération quand les joueurs s’engagent dans des championnats professionnels comme la Nippon Pro Baseball ou la Ligue Dominicaine (LIDOM). D’autres rejoignent aussi le Mexique, le Panama ou le Canada. Autant de talents qui font le bonheur de la MLB mais aussi d’autres pays, telle la France avec l’exemple d’Andy Paz-Garriga, international français originaire de Cuba, arrivé adolescent en France et passé par les ligues mineures (il évolua notamment en AA soit la 3ème division dans le système MLB, premier français à atteindre ce niveau) dans le farm-system des Athletics d’Oakland, après avoir poursuivi sa formation en Pôle France et en D1 française. Pour Phil Selig « cela peut représenter une meilleure voie de développement pour certains joueurs et pour d’autres, une chance de changer la vie en gagnant plus d’argent et en le ramenant sur l’île ». Une solution serait donc que la fédération cubaine s’ouvre pleinement au monde du baseball professionnel, ce qui n’est pas encore le cas, comme le constate Boris Luis Cabrera Acosta « les contrats dans les ligues d’autres pays sont encore peu nombreux et la pyramide sportive, d’où viennent les talents, s’est fragmentée car ils émigrent dès le plus jeune âge ».

Un premier pas vers le changement ? 

L’ouverture du roster cubain aux exilés évoluant en MLB pourrait être le signe d’un retour à un partenariat entre la fédération cubaine et la MLB, comme en 2018. Cette année-là, les deux parties s’entendent sur un accord permettant aux franchises MLB de signer des joueurs de 25 ans ou plus, ayant déjà joué six ans dans la ligue cubaine. Cela rappelait l’accord existant entre la NPB et la MLB pour protéger la ligue japonaise tout en permettant aux meilleurs talents japonais de tenter leur chance en MLB, voire d’y briller comme Shohei Ohtani actuellement. En échange, la fédération cubaine doit toucher une somme d’argent pour chaque joueur présenté à la signature d’un contrat. L’accord de 2018 arrive après trois ans de négociations, impliquant également l’association des joueurs MLB, et il fait suite à un dégel des relations diplomatiques avec les États-Unis, sous la présidence de Barack Obama d’un côté et la reprise du pouvoir par Raul Castro de l’autre, son frère Fidel n’étant plus en capacité de présider aux destinées du pays. D’ailleurs, dès 2013, Raul Castro autorise des joueurs cubains à signer des contrats professionnels, notamment en NPB. Symbole de cette période de rapprochement, le match exhibition qui a lieu en mars 2016 entre l’équipe nationale cubaine et les Tampa Bay Rays à La Havane, en présence d’Obama et Raul Castro. Avant cela, en décembre 2015, plusieurs Cubains de la MLB revenaient sur l’île, dont José Abreu et Yasiel Puig, chose impensable depuis la révolution castriste.

Pourtant, comme le dit l’adage populaire, toute bonne chose a une fin. L’élection de Donald Trump a conduit à geler de nouveau les relations entre les deux pays et l’administration Trump dénonça l’accord de 2018, considérant qu’il allait permettre de financer le régime cubain, toujours sous embargo. Avec Joe Biden à la Maison Blanche et la décision de la fédération cubaine de sélectionner des major leaguers, le baseball cubain peut-il espérer un véritable renouveau ? « C’est une étape très positive, sans aucun doute, s’accorde à dire Boris Luis Cabrera Acosta, la glace est déjà rompue et c’est très important. Les dirigeants cubains ont ouvert une porte qui était close pendant de nombreuses années. Mais il reste encore de nombreux aspects extra-sportifs qui influencent l’appel à des joueurs cubains et que les dirigeants doivent encore résoudre. Avoir des athlètes MLB pour la WBC 2023 peut raviver l’espoir de reprendre un accord qui sera bénéfique pour les deux parties. Cette ouverture est une solide étape vers la réalisation de cet objectif et démontre qu’il est possible d’avoir des relations pacifiques où le baseball gagne et où les intérêts politiques des deux pays sont laissés de côté ».

De son côté, Phil Selig se montre plus circonspect. S’il souhaite que cette ouverture soit « un point d’appui pour une détente politique significative », pour lui, « il pourrait y avoir trop d’entités politiques impliquées pour vraiment y parvenir ». Il est vrai que les Républicains tendance trumpiste restent très hostile à Cuba, portés notamment par un puissant lobby de Cubains issus de l’exil. Lors de la dernière World Baseball Classic, en 2017, certains d’entre-eux exhibèrent des pancartes aux slogans hostiles au régime cubain durant les matchs de la sélection nationale. Côté Cuba et de son nouveau président de la République, Miguel Diaz-Canel, se pose la question d’ouvrir le baseball cubain et le pays sans perdre le contrôle de ce dernier, sur le plan politique et économique, particulièrement après les importantes manifestations, farouchement réprimées, qui ont éclaté en juillet 2021 pour dénoncer la situation économique et sanitaire sur l’île.

Et, comme le rappelle Phil Selig, la MLB peut faire appel aux plus grands talents de l’île sans passer par un tel accord, via les défections et les autres moyens de fuir l’île. Des réseaux existent pour permettre l’exil et la mise en relation des talents avec l’univers de la MLB. Pour lui, il est donc de la responsabilité de la fédération cubaine que de rendre un tel accord attractif pour la MLB et les joueurs cubains, dont les salaires, bien que récemment augmentés, restent faibles et sans commune mesure avec ce qu’ils peuvent gagner en MLB mais aussi dans les autres grands championnats professionnels. Selig conclut sur la question avec un peu d’optimisme : « L’inclusion des major leaguers cubains dans le roster WBC n’est peut-être que du théâtre ou trop peu et trop tard, mais c’est un pas dans la bonne direction. C’est un grand pas au moins dans la politique de la Fédération Cubaine de Baseball ».

La fédération internationale à la rescousse 

La route semble donc encore longue pour le baseball cubain mais ce dernier peut compter sur l’appui de la fédération internationale, la World Baseball Softball Confederation, qui travaille depuis 2019 à accompagner la fédération cubaine dans ses projets pour lui faire retrouver son lustre d’antan. Objectif : favoriser et sécuriser les contrats des joueurs dans des ligues professionnelles à l’étranger et dynamiser la pratique du baseball sur l’île. Un travail commun que la WBSC et la fédération cubaine ont formalisé dans un accord en mai 2022 lors de la visite sur l’île de Riccardo Fraccari, président de la fédération internationale. Conscient de l’importance historique de Cuba pour le baseball mondial, Fraccari y a réaffirmé le soutien de la WBSC et le souhait de voir la création d’une académie internationale de baseball à Cuba, prévu par l’accord, tout en espérant revoir le pays organiser à nouveau de grands événements internationaux voire même créer sa propre ligue professionnelle. Un rêve irréalisable pour Boris Luis Cabrera Acosta pour qui « le rêve de la plupart des fans de ce sport est de créer une ligue professionnelle à Cuba. Mais je peux vous dire honnêtement, à la vue des conditions économiques et du système social qui prévaut dans le pays, je pense que cela va être difficile pour le moment. Il n’y a aucune condition réunie. Il poursuit : La Fédération Cubaine de Baseball doit être une organisation indépendante de l’État, le sport doit être considéré comme une entreprise sans violer ses principes de base, et de nombreuses barrières mentales doivent être brisées qui, au fil des ans, ont considéré le professionnalisme comme une menace pour le système social. Je pense que les souhaits de Fraccari sont irréalistes».

En tout cas, Phil Selig voit dans Fraccari une des raisons des rares bonnes nouvelles actuelles du baseball cubain « je soupçonne que Fraccari a joué un rôle clé en agissant comme arbitre dans une grande partie des progrès actuels avec l’inclusion des pros cubains dans le roster WBC et la réintroduction de Cuba dans les Caribbean Series ». Quoique, le retour de Cuba dans les Caribbean Series 2023, ou Serie del Caribe, ne semble pas une si bonne nouvelle à un mois de la Classique Mondiale. Après avoir perdue sa place en 2020, pour des problèmes de visa rendant compliqué l’organisation de la compétition avec les équipes cubaines, l’ancienne place forte du baseball mondial s’est vue réintégrée dans ce mini-championnat composé par les équipes championnes de République Dominicaine, du Mexique, du Panama, de Puerto Rico, du Venezuela et de Colombie, nation qui profita d’ailleurs du retrait cubain pour prendre place dans la compétition. Malheureusement, le retour de Cuba a été source de malaise. Les Agricultores de Las Tulas ont terminé a une piteuse dernière place, obtenant leur seule victoire face à Curaçao, équipe invitée, et sombrant totalement face aux Leones del Caracas, les champions vénézuéliens, 20 à 3. L’équipe pourra se consoler légèrement avec quelques défaites serrées.

Jeu au marbre lors de la série finale de la Cuban Elite League. En vert fluo, un joueur de l’équipe championne des Agricultores de Las Tulas – crédits : Boris Luis Cabrera Acosta

Mais les Agricultores, avec la pire performance cubaine en Caribbean Series, ont fait la démonstration de tous les maux du baseball cubain et de la faiblesse actuelle du championnat national. Pas de quoi ravir les fans et, surtout, pas de quoi attiser la passion dans la jeunesse cubaine qui, désormais, porte son attention sur un autre sport : le football.

Le football à l’attaque du baseball

Dans un article de novembre 2018, l’Agence France Presse débutait par les mots de Humberto Nicolas Reyes, ancien coach de baseball : « le football, ici, n’avait aucune importance et maintenant, il dépasse le sport national ». Un cri du cœur pour ce passionné de 69 ans mais aussi un constat. Alors que le baseball décline, le football progresse. Plus facile d’accès financièrement, contrairement aux chers équipements du baseball, il possède aussi l’avantage d’une meilleure médiatisation que le sport national. Un fait qui peut sembler étrange. « Le baseball cubain fait face à une concurrence pour l’attention des jeunes au niveau des écrans. En grande partie des écrans de téléphones portables mais aussi des écrans de télévision sur l’île. Le football international est de plus en plus vu sur ces écrans. Bien que les enfants grandissent avec une affinité pour les joueurs de l’équipe nationale de baseball et de la série nationale, ces joueurs et équipes ne sont vraiment pas des marques. Promenez-vous dans La Havane, vous verrez des maillots de Barcelone, des maillots Messi plus que des casquettes et des chemises Industriales ou Santiago (deux des équipes les plus titrées et populaires, NDLR). Une des raisons à cela est une plus grande disponibilité car la plupart de ces équipements sont des cadeaux de l’étranger, mais le facteur cool penche vers le football » détaille Phil Selig, ajoutant « la rareté des ressources, qui a entraîné des réductions du calendrier des séries nationales et l’élimination effective des matchs nocturnes, signifie également que les créneaux télévisés aux heures de grande écoute sont souvent remplis de matchs de football internationaux. Via les médias sociaux, j’ai vu beaucoup plus de personnes partager des photos de rencontres de la finale de la Coupe du monde [de football] que de la série finale de la Cuban Elite League ».

Même son de cloche chez Boris Luis Cabrera Acosta, « le baseball a perdu du terrain. Dans les médias, en particulier à la télévision, il existe de nombreux programmes de football qui attirent par la quantité d’informations et d’images, ce qui n’est pas le cas de notre sport national », avant de tempérer son propos et de dessiner une solution : « pourtant, à l’approche des playoffs, les fans de chaque territoire remplissent les stades car le baseball est dans leur ADN. Il suffit de leur proposer une offre de qualité, de leur apporter le meilleur baseball du monde et de les tenir informés des performances de leurs principaux joueurs évoluant dans des ligues étrangères ». Pour le moment, le compte n’y est pas.

La ferveur est toujours là durant la finale de la Cuban Elite League – crédits : Boris Luis Cabrera Acosta

« Le baseball peut-être perçu comme le jeu de votre père »

Malgré la concurrence du football, le baseball est-il toujours le sport numéro un de Cuba ? C’est ce que croît Phil Selig mais cette situation semble précaire : « le baseball est toujours numéro un et je pense que c’est un peu forcé par la longue histoire et la quantité de talents qui continue d’augmenter aujourd’hui. Cependant, vous ne pouvez pas tenir le fan de baseball pour acquis comme vous le pouviez autrefois. Comme mentionné avec le facteur cool pour le football, le baseball est peut-être perçu comme le jeu de votre père ou, avec la descente de Cuba sur la scène mondiale, le sport d’une époque révolue. Je pense que le fait qu’il soit toujours populaire de jouer dans la rue et sur les terrains locaux signifie que chaque enfant l’essayera, mais de plus en plus, si cet enfant ne montre pas une aptitude précoce ou n’entre pas dans un système de développement, il est plus susceptible de se tourner vers football pour les loisirs. Assister culturellement aux grands matchs dans les stades de la série nationale est toujours un rite de passage, mais il y a eu de moins en moins de grands matchs et de grands moments à mesure que l’aura de la série nationale s’est estompée. À ce titre, les fans de sport cubains ne sont pas différents du reste du monde, dans la mesure où un produit inférieur ou perdant mettra à l’épreuve leur engagement ».

Outre les résultats décevants du baseball cubain, sur l’île ou sur la scène internationale, les fans se voient priver du meilleur baseball au monde, celui de la Major League Baseball. Une des conséquences du dégel diplomatique de l’ère Obama/R. Castro fut de revoir des matchs MLB sur la télévision cubaine, mais seulement en petit nombre, parfois en différé, comme les World Series 2017, et seulement les matchs sans Cubains exilés. Que ce soit la ligue nationale, la MLB ou les autres grands championnats professionnels, voir du baseball à la télévision cubaine se révèle un chemin de croix. Ce qui n’est pas le cas du meilleur du football mondial, comme le regrette Boris Luis Cabrera Acosta « la concurrence entre le baseball et le football à Cuba n’est pas égale. Les meilleures ligues de ce sport au monde sont diffusées à la télévision et vous ne pouvez pas voir les matchs des ligues majeures (MLB) ou d’autres ligues professionnelles comme celles du Japon ou des Caraïbes. Tout cela, ajouté au grand marketing qui se cache derrière le football, a fait tomber amoureux les nouvelles générations ».

Les Cubaines se mettent aussi au football – crédits : Boris Luis Cabrera Acosta

Comme le souligne Phil Selig, les fans ont, tout de même, les moyens de suivre le meilleur du baseball via les smartphones. Mais cela peut-il suffire à redorer le blason du baseball alors que les jeunes cubains portent leur attention vers un sport mondialisé, les grands championnats européens et la Ligue des Champions ? Curieuse ironie de l’histoire pour un sport qui, à l’origine, devait combattre l’hégémonie culturelle venue d’Europe. Quand le baseball est introduit sur l’île dans les années 1860 par des étudiants cubains revenant des États-Unis, il devient rapidement un symbole culturel de résistance au colon espagnol. Ce dernier l’interdira en 1869 après la première guerre d’indépendance cubaine. Cependant, le baseball continuera de croître à mesure que le peuple cubain exigera sa liberté, se rapprochant des États-Unis avant d’en devenir un satellite sous la dictature de Batista. Puis, le baseball deviendra le moyen de défier l’ennemi américain après la prise de pouvoir par Fidel Castro, en développant un baseball puissant à l’écart du sport professionnel. Aujourd’hui, le baseball est perçu comme le sport d’un régime autoritaire d’un autre temps, plus comme un symbole de résistance et de liberté. Les aspirations de la jeunesse cubaine, qui a massivement manifesté contre le pouvoir à l’été 2021, mais aussi contre l’embargo américain, sont résolument tournées vers les sociétés connectées et ouvertes de 2023, et le football, plus que le baseball, semble répondre à ces aspirations de liberté et d’ouverture au monde.

Une équipe nationale encore trop juste ? 

Après ce tableau assez sombre et à la vue des résultats des champions cubains aux Caribbean Series, difficile d’imaginer Cuba briller à la WBC d’ici un mois alors que le niveau international n’a cessé d’augmenter à mesure que celui des Cubains régressait. C’est peut-être cette situation précaire qui a conduit la fédération cubaine à ouvrir la sélection nationale aux joueurs évoluant en MLB. Dans le roster, six joueurs des Ligues Majeures. Luis Robert et Yoan Moncada, des Chicago White Sox, seront les deux grandes stars de l’équipe. Les quatre autres major leaguers sont Andy Ibanez des Detroit Tigers, Ronald Bolanos des Kansas City Royals, Luis Romero des A’s d’Oakland et Roenis Elias des Chicago Cubs. Toutefois, les major leaguers ne sont pas les seuls à élever le niveau de jeu de la sélection, qui pourra compter sur d’autres joueurs professionnels. En premier lieu, on pense à Yoenis Cespedes, qui évolue actuellement en ligue dominicaine et qui joua sept saisons en MLB. Ou encore aux Cubains qui sont passés par la Nippon Pro Baseball, comme le slugger vétéran Alfredo Despaigne, ou qui en font encore partie, tels l’excellent closer des Chunichi Dragons Raidel Martinez et un autre excellent releveur de la NPB, Livan Moinelo des Softbank Fukuoka Hawks, avec lesquels il a été plusieurs fois champion. Sur le papier, le roster est de taille à affronter le top mondial, voire à titiller ce qui s’annonce comme le Big Three de la compétition : USA, Japon et République Dominicaine. Dans la réalité, nos deux experts nuancent.

« C’est encore tôt pour ça, prévient Boris Luis Cabrera Acosta. Ce mélange augmente le niveau de Cuba mais pour rivaliser avec ces puissances, il est nécessaire d’avoir les meilleurs athlètes cubains qui jouent dans d’autres ligues. Si nous analysons la composition de cette équipe, seuls Luis Robert et Yoan Moncada, et quelques lanceurs qui jouent au Japon (Raidel Martínez et Liván Moinelo), feraient partie d’une équipe cubaine idéale si toutes ses stars étaient appelées. Cette équipe a l’air solide, grandement améliorée par rapport aux autres tournois, mais elle est encore loin du niveau des équipes de ces pays. Il reste encore de nombreuses barrières à briser ». Quant à Phil Selig, il estime que plusieurs équipes, derrière les trois favoris, peuvent faire du bruit : « je compte Cuba dans cette catégorie. Les trois équipes mentionnées sont au top et le prochain tiers, avec le Venezuela, Puerto Rico et la Corée n’est pas en reste. Cuba se positionne probablement au 6ème rang, et s’ils peuvent avancer jusqu’aux demi-finales et être dans le top 4, je pense néanmoins que c’est un objectif atteignable mais pas garanti. Leur tout premier match du tournoi est contre les Pays-Bas, une équipe plus forte que la plupart ne le pensent et qui a été leur ennemi juré au cours de la dernière décennie. Une victoire réelle et morale contre les Néerlandais est le premier obstacle ».

Un beau parcours de cette équipe cubaine d’un type nouveau redonnerait probablement le sourire à des fans actuellement dépités et qui ne voient pas dans la fédération et l’Etat le changement qu’ils attendent pour la « pelota ». Car, plus qu’un beau parcours, le baseball cubain a besoin d’une profonde remise en question et d’un renouveau pour entrer pleinement dans le 21ème siècle. Mais peut-être est-il le reflet d’un État et d’une société à la croisée des chemins. Comme durant les années 1990, où elle a dû gérer l’effondrement du bloc soviétique en adoptant un capitalisme d’État, Cuba vit un nouveau moment de choix cruciaux. Que ce soit pour le baseball ou la conduite du pays, les autorités ont, à l’heure actuelle, du mal à suivre le mouvement, arc-boutés sur le passé et leurs positions dominantes. Le résultat de cette situation, une jeunesse qui délaisse le baseball pour le football dans le domaine sportif, et une jeunesse qui conteste le gouvernement politiquement. Si le baseball cubain veut faire partie de l’avenir de cette société en mutation, il devra être un moteur du changement. Sinon, la petite balle blanche à coutures rouges risque de finir dans l’ombre du ballon rond.


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