La beauté du baseball se conjugue au présent, au futur, mais aussi et – presque surtout – au passé. Simple ou composé, quelquefois plus-que-parfait et parfois bien plus qu’imparfait . Un siècle et demi d’histoire du National Pastime a semé des milliers d’histoires, parfois merveilleuses et parfois tragiques, de trajectoires météoriques et de destins brisés. Tout autant d’épisodes de la grande comédie sportive et humaine que fut et qu’est le baseball. Alors, chaque semaine, nous allons nous détourner quelque temps des Trout et deGrom, des Tatis et autres Kershaw, pour rendre visite aux légendes du jeu. Un voyage à travers le temps et les différentes époques du baseball. Aujourd’hui, on vous emmène sur les pas d’un gamin de Porto Rico devenu l’idole de Pittsburgh et l’un des plus grands et nobles héros du sport américain : Roberto Clemente.
« Il a donné au terme « complet » un nouveau sens, Le mot superstar semble inadéquat le concernant. Il y avait en lui cette air de royauté. » Bowie Kuhn, 5e commissionner de la MLB.
La légende de Roberto Clemente dépasse le diamant, ou la ville de Pittsburgh. Sa carrière peut être définie par des chiffres, mais l’influence du Great One va au-delà des statistiques et, même du monde du baseball.
Né à Porto Rico le 18 aout 1934, Roberto était le petit dernier d’une famille de 7 enfants. Du fait de ressources limités, les enfants commencèrent à travailler tôt et Roberto accompagna son père Melchor dans les champs de canne à sucre, chargeant et déchargeant les camions.
Cette activité physique régulière, liée à l’éducation physique scolaire, lui permirent très tôt de développer de grandes qualités athlétiques. Il était même très doué au saut en hauteur et au javelot, considéré même par certains sur l’île comme potentiel athlète olympique. Quand on lui demandait d’où lui venait la puissance de son bras, si c’était le fruit d’entraînements spécifiques, il répondait que non, pas spécialement, c’était naturel dans la famille, et que sa mère, Luisa, avait un bras puissant elle aussi, forgé par des années de labeurs, et d’éducation d’enfants turbulents.
“When I was a little kid, I wanted to be a baseball player. This is something I think about. The more I think about it, I’m convinced that God wanted me to play baseball.” -Roberto Clemente
Mais la vraie passion de Roberto, c’était le baseball.
Et l’idole de Roberto était Monte Irvin, left fielder pour les Newark Eagles dans les Negro League, et pressenti pour être le premier à briser la barrière raciale. Mais, malgré les appels du pied de Branch Rickey à Brooklyn, Monte ne sentait pas de jouer et endurer la pression des Majors si tôt après la guerre, souffrant de syndromes post-traumatique.
A la place, Monte se reconstruisit psychologiquement en participant à la Caribean Winter League en 45 et 46. Il y rencontra alors le jeune Roberto Clemente, âgé de 10 ans, et suiveur des San Juan Senators, où jouait Irvin.
« On laissait les gamins porter nos sacs gratuitement, Roberto et Orlando (Cepeda) étaient toujours là ensemble » Monte Irvin, interview avec Tom Singer, 2001
Le jeune Roberto ne lâchait pas Monte Irvin, lui expliquant qu’il avait développé son lancer car il admirait celui d’Irvin. Monte se prit d’affection pour le gamin et lui fit cadeau d’un gant et d’une batte. Ce fut le début d’une amitié qui reprit à l’arrivée de Roberto en MLB.
L’influence de Monte Irvin et de sa mère Luisa modela le jeune Roberto, qui devint professionnel à 17 ans au sein des Santurce Cangrejeros. Il y joua même avec un certain Willy Mays durant l’hiver 1954-55. Le phénomène était en marche, et commençait à faire parler de lui.
Les Brooklyn Dodgers envoyèrent leur scout Al Campanis à Porto Rico pour superviser plusieurs joueurs. Quand celui-ci rentra à New York, il pressa le club de signer « le meilleur athlète free agent jamais vu ». Malgré une approche plus lucrative faite par les Braves, Roberto resta fidèle à sa parole et signa avec les Dodgers.
Roberto avait 18 ans et partit seul pour les Etats Unis. Le long et difficile chemin vers les Majors et la gloire commençait pour lui.
“To the people here, we are outsiders. Foreigners.” -Roberto Clemente
A son arrivée, Roberto ne parlait pas très bien anglais, et, bien qu’étant citoyen américain à part entière (Porto Rico est un territoire non incorporé des USA), il ne se sentait pas intégré. De plus, le fait d’être envoyé en International League, à Montréal, déçut le jeune Roberto. La règle en vigueur à l’époque voulait que les jeunes rookies fussent conditionnés en ligue de développement avant de pouvoir participer à un match de majeur. On dit volontiers que Roberto était « caché » des autres équipes à Montréal, pour ne pas le perdre lors de la rookie draft de fin de saison (les rookies n’ayant pas disputés de matchs en majeurs de la saison pouvaient être récupérés par d’autres clubs).
La vérité se situe sûrement plus dans le fait que le jeune Roberto était trop vert pour évoluer dans l’outfiled des Dodgers (qui comprenait entre autres Jackie Robinson ou Duke Snider) et que les exécutifs étaient frileux quant à mettre sur le terrain « trop de minorités », de peur de vexer les spectateurs et les joueurs blancs de l’équipe à l’époque.
Lors de la saison 1954 à Montréal, ce furent les déplacements dans le Deep South des Etats Unis qui marquèrent profondément Roberto. Il y fit face aux lois Jim Crow ségrégationnistes. Alors que la ségrégation était très peu présente à Montréal, les déplacements de l’équipe dans le sud des Etats-Unis obligeaient les noirs à dormir dans des hôtels séparés des blancs, à manger dans le bus au lieu du restaurant, … De plus, lui qui avait grandi sur une île tolérante, vénérant les stars des Negro League, il se rendait compte du complet dédain de la population blanche américaine envers les stars noires du National Pastime, et ceci huit ans après l’arrivée de Jackie Robinson dans la MLB et la toute symbolique fin de la barrière raciale. Le traitement infligé à son ami Vic Pellot (Power), alors joueur au Philadelphia Athletics, traîné hors du bus de l’équipe par la police pour avoir acheté un Coca dans une station-service réservée au blancs, l’outragea. Dès lors, et même si son anglais approximatif était sujet de moquerie de la part des journalistes, il décida de choisir la franchise comme deuxième langue.
La fin de la saison 1954 vit la fin de son aventure chez les Dodgers, et Branch Rickey, alors GM pour les Pittsburgh Pirates le choisit en première position de la rookie draft.
“In a way, I was born twice. I was born in 1934 and again in 1955 when I came to Pittsburgh. I am thankful to say that I lived two lives.” – Roberto Clemente
Ses débuts en majeur arrivèrent en 1955. Cette saison en tant que rookie fut difficile pour Roberto, frustré par les tensions raciales et ethniques dont il était victime, raillé par les médias à cause de son anglais approximatif. Ce traitement « de citoyen de deuxième classe » poursuivit Roberto toute sa vie. Malgré cela, il continua d’exprimer le fond de sa pensée, froissant les mentalités de certains propriétaires, spectateurs et journalistes de l’époque, et devenant de plus en plus populaire à Porto Rico et en Amérique Latine.
Porto Rico justement, était le havre de paix de Roberto. Dès le début de sa carrière, il y passa tous les hivers, jouant dans la Caribbean Winter League et profitant de sa présence pour superviser et participer aux projets humanitaires qu’il développait. Cependant, il interrompit cette tradition une seule fois, durant l’hiver 1958-59, au cours duquel il servit dans le corps de réserve des US Marines. En tant que citoyen américain, il était soumis aux règles de conscription en cours à l’époque et partit pour 6 mois au Camp Lejeune, à Parris Island, NC.
L’entraînement à la dure lui permit de parfaire son physique, de gagner 5 kg de muscles et de faire disparaître son mal de dos récurrent depuis son accident de voiture en 1954. Comme dans chaque lieu où il passa, Roberto noua des amitiés avec ses compagnons, quelles que fussent leurs couleurs ou religions, ouvrant son esprit autant que celui des autres. Il fut libéré quelques jours en avance, afin de pouvoir participer au Spring Training 1959.
“I am more valuable to my team hitting .330 then swinging for home runs.”
-Roberto Clemente
National League Most Valuable Player, 1966
A partir de 1959, et jusqu’à la fin de sa carrière en 1972, Roberto devint une superstar ainsi qu’un joueur ultra dominateur, remportant quatre titres de batteurs, deux World Series, douze Gold Gloves pour ses performances défensives dans le champ gauche et quinze fois All-Star. Sa domination au bâton et sa rigueur défensive aidèrent à changer le statut des Pirates, d’équipe de fond de classement à prétendant au titre, qu’il décrocha en 1960.
Mais là encore, plus que ces accomplissements sur le terrain, c’est en dehors que son impact fut le plus grand, n’hésitant pas à se faire le porte-parole anti-discrimination, et même le moteur du changement. Dans les Etats Unis des années 60, exprimer ses opinions quand on était noir et latino, c’était aussi s’exposer à la vindicte populaire, et surtout à celles des journalistes sportifs, qui le snobèrent du vote de MVP de nombreuses fois, excepté en 1966.
« Everyone knows I’ve been struggling all my life. I believe that every human being is equal, but one has to fight hard all the time to maintain that equality. »
-Roberto Clemente
Encore en 1966, lors du Spring Training dans le sud des Etats Unis, les joueurs blancs des Pirates dormaient à l’hôtel alors que les joueurs de couleur devaient rester dans des familles d’accueil, les joueurs de couleurs ne mangeaient que lorsque les joueurs blancs leurs apportaient de la nourriture dans le bus, … Roberto fut celui qui força la main de l’exécutif des Pirates pour une abolition de ses situations. Ses participations dans les marches pour les droits civils, son amitié avec Martin Luther King, Jr, sa personnalité extravertie et attachante en firent une figure respectée du vestiaire des Pirates, avec Willie « Pops » Stargell.
Preuve de leur influence, les deux compères obtinrent le soutien des onze joueurs noirs de l’effectif pour demander, et obtenir, le déplacement de l’Opening Day de 1968 au 10 avril, pour que celui-ci ne fût pas le jour de l’enterrement de Martin Luther King, le 8 avril.
Sous l’impulsion de Roberto, et en moins de cinq ans, l’organisation des Pirates évolua vers un lineup entièrement composé de joueurs issus de minorités lors du match 1 des World Series 1971.

Constamment soucieux de rester proche de ses racines, Roberto Clemente fut toujours à l’écoute des minorités, même celle insoupçonnée comme les débutants de l’équipe. Lors de l’installation dans le nouveau centre d’entraînement des Pirates, les vétérans mangeaient dans une salle séparée des rookies et joueurs mineurs. Mais saison après saison, Roberto s’asseyait dans la salle des rookies. Quand on lui demandait pourquoi, sa réponse était toujours la même. Il ne voulait pas que les jeunes qui arrivaient, en particulier les jeunes étrangers, ne subissent ce que lui avait subi en arrivant dans le baseball professionnel, l’ostracisation à cause de la couleur, de la langue.
“I want to be remembered as a ballplayer who gave all he had to give.”
-Roberto Clemente
Cette volonté d’aider son prochain en plus du combat pour l’égalité, se retrouvait dans les œuvres de charité de Roberto. Additionné à ses œuvres à Porto Rico, Roberto était très actif pour aider les plus défavorisés, que ce fût dans toute l’Amérique Latine, ou à Pittsburgh.
C’est après le tremblement de terre au Nicaragua en décembre 1972, que Roberto décida de se rendre sur place à la veille du jour de l’an, avec un chargement trop lourd de matériel de secours. Son avion disparut au large de San Juan de Porto Rico, le 30 décembre 1972.
“If you have the chance to make things better for people coming behind you and you don’t, you are wasting your time on earth.”– Roberto Clemente
L’héritage culturelle et social de Roberto Clemente, son impact sur le baseball, est encore vivace de nos jours. Son introduction au Hall of Fame en 1973 marqua un changement de règle dans les admissions, une personne décédée pouvant intégrer Cooperstown six mois après sa disparition.
De plus, le Commissionner Award devint le Roberto Clemente Award, et récompensa le joueur présentant un excellent niveau de baseball et personnellement impliqué dans les œuvres communautaires.
Au cours des saisons, et des différents changements dans le paysage social et politique des Etats Unis, on put voir les exemples nombreux de joueurs qui furent initiateurs de changements, ou qui exprimèrent à haute voix les problèmes raciaux, et pour qui Roberto Clemente, par son courage et son franc-parler, fut un modèle :
- Sammy Sosa gardait une figurine de Roberto dans son casier et donna énormément à sa communauté dans Chicago et en République Dominicaine.
- Carlos Delgado, outfielder pour les BlueJays qui protesta contre l’invasion de l’Irak en restant dans le dugout durant « God Bless America », prit en modèle Roberto Clemente, son humanisme et sa volonté de se battre pour ses droits.
C’est aussi pour cela que la communauté du baseball l’honore tous les ans depuis une vingtaine d’années avec le Roberto Clemente Day, le 9 septembre. C’est l’un des trois seuls joueurs honorés par un jour spécial dans la MLB, après Jackie Robinson et Lou Gehrig. Ce jour est spécial pour les joueurs portoricains qui peuvent arborer le numéro 21 de Roberto sur leur maillot, et autour de la MLB, les actions sociales et associatives menées par les joueurs et la ligue sont mises en avant.
Près de 40 ans après son décès, Roberto est toujours une icône en Amérique Latine, à Porto Rico, où il a été désigné athlète du XXe siècle. Sa famille y maintient son héritage en développant toujours des projets de soutien aux communautés locales.
« J’ai grandi avec des gens qui ont eu des difficultés pour survivre » dit Roberto lors de sa dernière interview. C’est certainement en ayant toujours cela à l’esprit qu’il mena une vie à se battre pour leur donner une voix, bâtissant une légende plus grande que le sport.
2 réflexions sur “The Strike Out Looking N° 4 – Roberto Clemente : A la poursuite de l’excellence”