Des Negro Leagues au World Series, de sa naissance dans les ghettos d’Alabama a sa domination de la MLB sous le maillot des Giants, de la Cote Est a la Cote Ouest, l’histoire de Willie Mays est celle d’un ouragan qui emporte avec lui tous les préjugés, les ségrégations et les relents de haine. Comment ne pas aimer ce qui est juste beau ? Pionnier du baseball noir et héros du baseball américain, à l’instar de Jackie Robinson et Hank Aaron, Willie Mays, bientôt 91 ans, est le dernier des Grands Fondateurs. Portrait.
“If somebody came up and hit .450, stole 100 bases, and performed a miracle in the field every day, I’d still look you right in the eye and tell you that Willie Mays was better. He could do the five things you have to do to be a superstar: hit, hit with power, run, throw and field. And he had the other magic ingredient that turns a superstar into a super Superstar. Charisma. He lit up a room when he came in. He was a joy to be around.” — Leo « the Lip » Durocher, manager New York Giants (1948-1955)*
A quelques semaines de son 91e anniversaire (il est né le 6 mai 1931), et après avoir reçu le trophée inaugural “Lifetime Achievement Award” du Baseball Digest en 2021, abordons un sujet important concernant Willie Mays, le Hall of Famer vivant le plus agé :
Est-ce le meilleur joueur ayant arpenté les terrains de la MLB ? L’archétype du “5 tool player” parfait ?
Sans vouloir entrer dans le débat sans fin qui l’oppose à Babe Ruth, ou bien à son filleul Barry Bonds, revenons sur la carrière du « Say Hey Kid » et tentons d’y voir plus clair.
Alabama son
Fils de William Howard Mays, surnommé Cat ou Kitty-Kat, et d’Anna Sattlewhite, Willie nait au sein d’une famille de sportifs. Cat est joueur de baseball semi-pro dans la ligue corporative Tennessee Coal and Iron League, en alternance avec son job à l’aciérie de Westfield, dans la banlieue de Birmingham, Alabama. Anna était une athlète émérite au lycée et a menée son équipe de basket à 3 titres d’états consécutifs.
Malgré les légendes qui veulent que Kitty-Kat ait mis une balle dans le berceau de son fils, ou qu’il lui ait appris à marcher à 6 mois, Willie assure que son père ne l’a jamais poussé vers le baseball. Mais le baseball a toujours eu une place importante dans la jeunesse de Willie, surtout après la séparation de ses parents et son départ de Westfield pour vivre avec son père à Fairfield, un autre ghetto de Birmingham.
Son père ayant changé de boulot pour devenir bagagiste sur la ligne de train Birmingham-Detroit, dès l’âge de 10 ans, Willie fut élevé principalement par 2 des sœurs de sa mère. Bien que Willie ne se plaigne jamais de sa jeunesse dans ces companytowns typique du Sud américain, grandir en étant afro-américain dans les années 40 en Alabama, ce n’était pas une sinécure. Et avec un père qui trime pour 2.60$ par jour, la tante Ernestine qui nettoie les tables au diner pour des clous et une flopée de cousins à nourrir, tout le monde est invité à mettre la main à la pâte très tôt.
Pour Willie, sa participation vient de ses capacités sportives. En plus d’être le quarterback et l’arrière des équipes de football et de basket du lycée Fairfield Industrial High (lycée pour afro-américains, essentiellement voué à l’apprentissage des métiers industriels, comme blanchisseur ou groom), il joue champ centre ou seconde base avec son père dans la Fairfield Industrial League, et semi-pro chez les Fairfield Gray Sox. Inutile de préciser que les deux équipes, leurs adversaires et la majorité du public (6000 personnes en moyenne) sont des afro-américains…
Negro League : le début de l’ascension
L’excellence de Willie dans la Fairfield Industrial League et durant la courte pige faite aux Chattanooga Choo-Choos (club ferme des Birmingham Black Barons) pousse son père à le présenter au manager des Black Barons, Piper Davis, en 1947.
A partir de cette rencontre, Piper Davis devient le mentor du jeune Mays. Et bien que 1947 soit l’année où Jackie Robinson brisa la barrière de couleur en Major League, Willie affirme toujours que la plus grande avancée fut obtenue en 1946, quand Jackie arriva dans le baseball blanc au sein des Montréal Royals en Minor League.
Mais quand un joueur bat les préjugés, les autres continuent de jouer dans une ligue entièrement noire, attendant patiemment les effets de l’intégration de Robinson en MLB. Willie, alors toujours au lycée, ne joue que les matchs du weekend pour les Black Barons. En effet, son père et Piper Davis insistent pour qu’il obtienne son diplôme secondaire malgré son arrivée au sein de la franchise de Negro American League.
A 16 ans, Willy joue dans le champ extérieur comme un vétéran. Piper Davis affirme que personne n’a jamais vu quelqu’un lancer la balle depuis l’extérieur aussi rapidement que lui.
Il obtient une moyenne de .262 à la batte avec un home run et une base volée en 28 rencontres lors de sa première saison. Et surtout il rencontre pour la première fois sur le diamant la légende Satchel Paige. Dans son autobiographie, Say Hey, il se rappelle la scène :
« During the first meeting with the legend, I got a double off Paige my very first time up. I stood on second, dusted myself off, feeling pretty good. Paige walked toward me. ‘That’s it, kid.’ … My next three times up I went whoosh, whoosh, whoosh. … » Willie Mays
Et bien qu’il ne soit même pas âgé de 17 ans fin 1947, Willie est déjà décisif. Lors des 3 premiers matchs des playoffs de la Negro American League, ses passages au bâton sont synonymes de victoires à domicile et d’un point des Blacks Barons face aux Kansas City Monarchs. Et lors du décisif match 7, Mays s’offre un triple et sera le dernier éliminé du match perdu par les Blacks Barons. Les prémices du Willie Mays clutch player sont là.
La saison suivante (1948, Willie a 17 ans) verra les Blacks Barons arriver en Negro League World Series face aux Homestead Grays. Ces World Series seront les dernières disputées en Negro League, et verront la défaite de Birmingham.
Mais là encore, lors du match 3, le jeune Mays est flamboyant défensivement, se permettant d’éliminer Bob Thurman dans la 4e manche, sur une fly chassée au fond du center field, et Buck Leonard, dans la 6e, qui essayait de passer de la première à la troisième base. Et son RBI single dans la 9e manche s’avère être le run permettant la victoire des Black Barons.
Buck Leonard se rapelle encore de ce jeune effronté de 17 ans : “He could run and he could throw. He wasn’t hitting so good, because at that time he couldn’t hit a curveball.”

Mais voilà, que ce soit en 1949, avec 75 matchs joués pour les Black Barons et une moyenne de .311 au bâton, ou bien au début de la saison 1950, avec une moyenne à .330, Willie est dominant en Negro Leagues, et commence à attirer l’attention de quelques franchises de MLB.
Après la saison 1949, Roy Campanella, receveur des Brooklyn Dodgers et en tournée avec son équipe de barnstorming dans le Sud, affronte les Black Barons. Il est impressionné par ce jeune culotté de Mays qui élimine Larry Dobby (Cleveland Indians, premier joueur noir intégré en American League) au marbre après avoir réceptionné une volante dans le champ centre. Campanella demande aux Dodgers d’envoyer un scout pour surveiller cela de plus près. Le rapport de supervision revient et fait écho à celui de Buck Leonard : « The kid can’t hit a curveball ».
Mais Eddie Montague, le scout des NY Giants, ne le voit pas du même œil. Alors qu’il était à Birmingham pour superviser le première base des Black Barons, Alonzo Perry, pour le club ferme des Giants à Sioux City, son attention est attiré par le champ centre Willie Mays. Son rapport à Leo Durocher, le manager des Giants, ne laisse que peu de place à l’imagination : “They got a kid playing center field practically barefooted that’s the best ballplayer I ever looked at. You better send somebody down there with a barrelful of money and grab this kid.”
Montague écrira plus tard à un journaliste : “This was the greatest young player I had ever seen in my life or my scouting career.”
Cela étant dit, les Giants débarquent effectivement à Fairfield avec un tonneau d’argent et signent Willie pour 4 000$ et un salaire de 250$ par mois. C’est le premier contrat pro de Willie, co-signé par son père, parce qu’il est encore mineur.
Minor League : l’apprentissage (rapide) à la dure
Alors que Mays doit partir pour l’équipe de Class-A de Sioux City, il est finalement envoyé en Class-B à Trenton, NJ. Les turpitudes liées à sa couleur de peau continuent d’influencer sa vie. En effet, l’équipe de Sioux City ne veut pas accueillir un joueur de couleur. Des violences ont éclaté en ville après l’enterrement d’un natif américain dans un cimetière « réservé aux blancs » et les dirigeants de l’équipe ne veulent pas faire de vagues.

Quoi qu’il en soit, Mays joue à Trenton, au sein d’une ligue qu’il juge faible en comparaison de la Negro League : “No league that included Satchel Paige and Josh Gibson was a Class B league”.
Puis arrive juin et le premier match à Hagerstown, Maryland. C’est le premier match de la saison au sud de la ligne Mason-Dixon, ligne qui marque la différence entre les Yankees du Nord et Dixie Land.
Ligne qui symbolise surtout le changement de mentalité de la population. Ligne qui impose la frontière au sud de laquelle les lois Jim Crow ont cours.
Lors d’une interview donnée en 1996, Willie se rappelle bien ce vendredi de juin à Hagerstown :
“I was the first black in that particular league. And we played in a town called Hagerstown, Maryland. I’ll never forget this day, on a Friday. And they call you all kind of names there, ‘nigger’ this, and ‘nigger’ that. I said to myself … ‘Hey, whatever they call you, they can’t touch you. Don’t talk back.’”
Et il se rappelle aussi être obligé de rester dans les hôtels ségrégués, à l’autre bout de la ville, avec 4 ou 5 de ses co-équipiers qui montent la garde pour qu’il ne se fasse pas agresser durant son sommeil. Willie souffre aussi de pertes de connaissances, liées à la fatigue, souvent après des doubleheaders. Son style de jeu énergique et flamboyant est très fatigant, mais lui-même avoue qu’il réfléchit trop et s’inquiète beaucoup, ce qui nuit à sa récupération. Quoiqu’il en soit, les médecins ne trouvent pas la raison de ces pertes de connaissances. La santé mentale des joueurs n’est pas un souci à l’époque.
Après être resté sans hit durant les 4 parties disputées à Hagerstown, Willie se reprend et enquille 108 hits en 81 matchs, avec une moyenne au bâton de .353 et 55 RBI. Clairement, le Kid est prêt pour un niveau plus exigeant.
Le ROY Willie
Lors du printemps 1951, Willie commence les entraînements avec le principal club ferme des Giants, les Minneapolis Millers. Bien qu’il était impossible aux joueurs de minor league de participer au camp de l’équipe phare, le manager des Giants, Léo Durocher, fut capable d’évaluer ses jeunes lors d’un match entre Minneapolis et Ottawa, l’autre club ferme des Giants.
Après un double et un home-run, Durocher devint le premier supporter de Mays et insista auprès de sa direction pour intégrer le jeune en Major League, ce qui fut refusé par le propriétaire Howard Stoneham. La crainte de le voir partir soudainement pour son service militaire fit que Willie commença la saison 1951 à Minneapolis.
Alors que les Giants ne décollaient pas en ce début de saison (11 défaites consécutives après les 3 premiers matchs victorieux de la saison), Willie, de son côté, ammassait 12 hits lors de sa première semaine. Le lobbying de Durocher pour intégrer Mays s’intensifia, sans que Willie ne le sache.
En mai, alors que les Giants ont un bilan de 17 v-19 d, Durocher appelle Willie et lui demande de rejoindre New York. Mays tergiverse et refuse, ne se sentant pas apte à affronter les pitchers de Major League. Durocher lui demande alors quelle est sa moyenne au bâton. « .477 » (Willie est sur une série de 16 matchs consécutifs avec un hit, un slugging % de .799 et est en passe de marquer 120 RBI). Durocher demande alors à Willie s’il se sent capable de frapper à .250. Willie acquiesce et le voilà dans le premier avion pour rejoindre les Giants.
C’est ainsi que Willie Mays apparaît pour la première en Major League le 25 mai 1951, contre les Phillies à Shibe Park. La série contre Philadelphie se passe bien pour New York avec 3 victoires, mais Willie est sans hit à ses 12 passages au bâton.
Au retour au Polo Grounds, lors de son premier match à domicile, Willie et les Giants affrontent les Boston Braves et leur lanceur gaucher légendaire Warren Spahn. Au premier passage au bâton, Willie s’offre son premier hit et home-run. S’ensuivra une triste série à 0-sur-13 passages, donnant une moyenne de .038. Willie craque et se retrouve en pleurs devant son casier, disant de nouveau à Durocher qu’il ne peut pas affronter les lanceurs de Major League. Durocher maintient sa confiance en Willie et lui donne comme conseil de remonter les jambes de son pantalon, afin de se donner une strike zone plus favorable. S’ensuit une série de 14 hits pour 33 passages au bâton (0.420).
Durant cette saison rookie, Willie est chaperonné par Monte Irvin, qui est aussi son colocataire. Les Giants prennent soin de leur diamant brut. Mais la vie New Yorkaise des années 50 permet quand même aux gamins de Harlem de jouer au stickball avec Willie et de finir au magasin de sodas avec lui après le match improvisé. Mays est même très impliqué dans ces matchs de rue, y frappant un homerun le lendemain d’un match à 2 HR contre les Pirates par exemple ! La vie est douce pour le Kid en compagnie de Monte Irvin, dans sa coloc à deux pas du Polo Grounds, au milieu d’un voisinage aux petits soins.
Mais autant Willie est un grand enfant en dehors du diamant, autant c’est un adulte performant et flamboyant défensivement pour la fin de la saison 1951. Les Giants finissent la saison sur un 37-7 et rejoignent les Dodgers pour une série de playoffs en 3 manches, ponctuée par le home run vainqueur de Bobby Thompson lors de la 9e manche du match 3. Les Giants et Willie vont en finale.
Ils y retrouvent les Yankees et l’un des idoles de Willie, Joe DiMaggio. Mais le miracle ne se produit pas et les Giants perdent en 6 matchs face aux puissants Yankees (DiMaggio, Berra, Mantle, Hank Bauer, Johnny Mize, Eddie Lopat,…)
Pour sa saison rookie, Mays aura tenu la promesse faite à Durocher avec une moyenne à la batte de .274, ajoutant 20 home-runs et 68 RBI en 121 matchs. Il est logiquement couronné Rookie Of The Year, son jeu défensif parachevant son œuvre. Et il fait l’unanimité dans le vestiaire.
« Rien que sa présence dans l’équipe et vous avez 30% du boulot déjà fait avant le début du match. Il n’existe qu’un ou deux joueurs par génération qui sont des gagnants naturels de part leurs abilités et leur… magnétisme ». – Léo Durocher
New York Giants
Une fois installé dans le lineup des Giants, plus question d’en ressortir. Mais en ce début de saison 1952, Willie a une moyenne de .236 en 34 matchs, ce qui est bien, mais pas top.
Et comme de coutume pour les jeunes américains de cette époque, Willie est appelé sous les drapeaux. Son déploiement à Fort Eustis consiste essentiellement à jouer au baseball. Durocher garde un œil sur son protégé, lui passant des coups de téléphone quand Willie s’engage un peu trop dans une glissade pour voler une base, ou quand il se casse le pied en jouant au basket. Les Giants ne sont pas la même équipe sans Mays, n’étant que l’ombre d’eux même durant la fin de la saison 1952 et la saison 1953.
Sa mère décède alors qu’il est au service militaire, et Willie est amer quand on lui refuse de réintégrer les Giants pour pouvoir supporter financièrement ses demi-frères et demi-sœurs.
Débarrassé de ses obligations militaires, Willie rejoint les Giants pour le Spring Training 1954. Il est un demi pouce plus grand (1.27 cm) et 5 kg plus costaud. Une vague d’optimisme submerge les suiveurs des Giants, qui ont le championnat en ligne de mire malgré la saison 1953 à 105 victoires des Dodgers.
Comment un joueur si jeune et si peu expérimenté (155 matchs, .266 de moyenne au bâton) peut faire basculer l’opinion au point de voir les Giants détrôner les Dodgers de Jackie Robinson, Duke Snider et autres Roy Campanella ?
Et bien, quand le jeune champ centre joue, les Giants remportent 69% de leurs matchs. Et l’échange du prédécesseur de Willie au centre, Bobby Thomson, a permit de recruter le jeune lanceur Johnny Antonelli.
Antonelli sera l’une des pierres angulaires de la saison 1954 à 97 victoires des Giants. Au début de la saison, Durocher avait prédit que Willie finirait avec une moyenne de .300 et 30 home runs. Sa seconde prédiction sera correcte… à la mi-saison ! Mais pour le bien de l’équipe, Durocher demande à Willie de calmer son swing pour atteindre plus souvent les bases. Après son 36e homer le 28 juillet, il n’en frappera plus que 5, mais sa moyenne passera de .360 à .379.

Les Giants se retrouvent de nouveau en World Series, avec un Willie Mays superstar et champion des batteurs, All-star pour la première fois et MVP. A 23 ans !
La légende continue de s’écrire au cours de ces World Series 1954 contre les Indians de Cleveland. Et le 29 septembre 1954, en haut de la 8e manche, THE CATCH, l’un de ces moments de légende, déjà nombreux, de l’histoire du baseball.
Les Giants gagnent le match en 10e manche, et gardent le momentum pour balayer les Indians en 4 matchs. Nombreux sont les co-équipiers de Mays d’accord pour dire que les jeux défensifs de Willie en 8e manche du premier match les ont galvanisés, et Durocher a été fin psychologue pour perpétuer cette mentalité de vainqueur durant 4 matchs.
Aussitôt la victoire fêtée, Willie ne s’arrête pas en chemin et s’en va disputer la saison d’hiver à Porto Rico, en jouant pour les Santurce Cangrejeros (Crabes de Santurce). Il n’est pas en territoire inconnu, Monte Irvin l’accompagne et l’équipe est managée par le coach des Giants, Herman Franks. Les Crabes finissent champions, Willie mène les batteurs avec une moyenne de .393, et un jeune athlète fait ses débuts dans le champ extérieur aux côtés de Willie, Roberto Clemente.
Finalement la fatigue rattrape Willie et, après avoir disputé 250 matchs (!) en 1954, il prend six semaines de vacances en prévision du retour au Spring Training 1955.
La saison 1955 ne se déroule pas comme prévu pour les champions, malgré les 51 home runs, 127 RBI et la moyenne de .319 de Willie. Ils tombent à la 3e place de la division. La personnalité exubérante de Durocher, tolérée tant que le succès est là, est vite mise à l’amende. The Lip prend la porte à la fin de la saison 1955, provoquant un vif émoi chez Mays. Son mentor ne sera plus là pour lui prodiguer ses conseils, l’oiseau va devoir voler de ses propres ailes.
Une saison encore plus ratée des Giants en 1956 et des statistiques offensives légèrement moins bonnes (36 home-runs, 84 RBIs, .296 tout de même) pour Willie n’entament pas le capital sympathie qu’ont les fans et les anciens du club pour leur champ centre. Son jeu défensif flamboyant et efficace y est pour beaucoup, ainsi que sa propension a voler des bases. Le vol de base, un fait de jeu remis au goût du jour depuis l’arrivée des anciens de Negro League, et qui s’avère prépondérant dans le jeu d’échecs que se livrent lanceurs et batteurs dans les 50’s et 60’s.
Ce jeu défensif si efficace sera à l’origine du premier de ses 12 Golden Glove en 1957. Malgré cela, les Giants continuent de végéter en fond de classement, avec tout de même un Willie à un niveau stratosphérique, en plus de devenir le 8e joueur de l’histoire à amasser en une saison plus de 20 doubles, 20 triples et 20 home-runs.
Une fin de saison en eau de boudin à domicile, et un départ de la franchise pour San Francisco, laisse les fans des New York Giants orphelins de leur équipe de National League et marque la fin d’un époque, celle du BIG THREE : Mays – Snider (Dodgers) – Mantle (Yankees), un trio légendaire de champ centre qui aura régné sur New York et la MLB durant les années 50 et propulsé le baseball comme sport n°1 aux USA.
San Francisco Giants
L’accueil de la ville pour son nouveau champ centre n’est pas des plus chaleureux. En plus de représenter tout ce que les Californiens n’aiment pas de New York, Willie joue champ centre au Seals Stadium (Candlestick est en construction), stade des premiers exploits en Minors de la légende locale, Joe DiMaggio.
Mais surtout, il est noir. Willie et sa femme ont toute les peines du monde à trouver une maison, les voisins faisant pression sur les agents immobiliers pour qu’ils retirent leurs offres. Et quand les Mays emménagent, la maison se fait caillasser lors de leur première nuit à l’intérieur.
Au niveau sportif, la pression n’est pas moindre en ce début de 1958, la relation avec son coach étant des plus froides. Coach Rigney met de l’huile sur le feu en assurant aux fans des Giants que Willie va battre le record de Babe Ruth de 60 home-runs en saison. La pression est au maximum sur Willie, augmentée par l’arrivée dans l’équipe du rookie première base Orlando Cepeda qui fait des étincelles et est élu Rookie of The Year et joueur préféré des fans. Un titre qui échappe à Willie “car les fans étaient décçus que je n’ai pas frappé 60 home-runs”. On parle quand même d’une saison à 29 HR, 96 RBI et une moyenne de .347 ! Dont une moyenne de 0.400 jusqu’en août, suivi d’une chute à 0.240 dû à la fatigue nerveuse qui le tourmentait en Minor et qui réapparaît..
Luttant toujours pour se sortir des dernières places quand ils étaient à New York, les Giants ambitionnent d’être beaucoup plus dominateurs. Ils intègrent donc des jeunes au fur et à mesure des années, Orlando Cepeda en 1958 (ROY), Willie McCovey en 1959 (ROY), puis Juan Marichal, Gaylord Perry, les frères Alou.
Cet alignement de futurs Hall of Famers amènera les Giants à un bilan de 902 victoires (pour 704 défaites) entre 1960 et 1969. La meilleure équipe de cette décennie, les Baltimore Orioles, est à 911 victoires. Mais, les Giants n’apparaisent qu’une seul fois en World Series dans cette période.
En début de saison 1963, l’augmentation de son salaire fait de lui le joueur le mieux payé des majeurs, devant Mickey Mantle. Ses performances sur le terrain justifient tout à fait cette augmentation, Willie finit 1963 avec une ligne de stats conforme à ses standards (157 matchs, 38HR, 103 RBIs, .314 de moyenne au bâton).

Devenu capitaine de l’équipe son influence se fait plus pregnante dans le vestiaire.
Alors quand le manager Alvin Dark commence à montrer son côté raciste, et à bien insister en juillet 1964 (Newsday “We have trouble [atrocious mistakes] because we have so many Spanish-speaking and Negro players on the team. They are just not able to perform up to the white ballplayer when it comes to mental alertness.”), c’est Willie qui réunit les joueurs pour les calmer et leur assurer que ne plus jouer n’est pas la meilleure idée. “Blackie” ne sera pas de retour la saison suivante.
Le changement de manager revigore l’équipe qui se bat pour la tête de la division pendant toute la saison, dans le sillage d’un Willie record, frappant 52 HR (17 en août !) cette saison, menant la NL à la moyenne au bâton et remportant son deuxième trophée de MVP. Mais les Dodgers souffleront le pennant en septembre, avec 13 victoires consécutives, finissant 2 victoires devant les Giants.
1966 sera la dernière immense saison de Willie Mays, à l’âge de 35 ans. 37 HR, 99 runs et 103 RBIs, pour une 8e saison consécutives à plus de 100 RBIs, mais sans jamais mener la catégorie en fin de saison !
Entre 1954 et 1965, Willie aura fini leader d’au moins une catégorie statistique en MLB chaque année, que ce soit la moyenne au bâton (1954), le nombre de HR (1955,1962, 1964, 1965), le nombre de coups sûrs (1960), le nombre de bases volées (de 1956 à 1959), et j’en passe.
A partir de 1965, Willie fait de la conquête du record de Babe Ruth du nombre de HR en carrière un objectif. En juin 1966, il devient à l’époque 2e derrière le Bambino, ayant frappé son 535e HR en carrière. Les Giants sont toujours dans la course à la tête de la division.
Willie, discret mais actif leader social, aide à prévenir une émeute à SF quand il incite la minorité noire en colère d’Hunter’s Point (San Francisco) à rester à l’intérieur pour le suivre à la radio ou à la TV, et encourager les Giants dans leur match décisif face aux Braves d’Hank Aaron. Willie participe aussi aux premières négociations avec la ligue après la création de la MLBPA, et participe en tant que représentant des joueurs aux négociations de la convention collective en 1970.
Les années 60 ont solidifié le statut de superstar de Willie, recevant de nouveau le trophée de MVP en 1965, et en étant toujours dans les favoris au titre, tant les saisons se suivent et se ressemblent au niveau statistiques. Il obtient le Golden Glove 12 fois consécutives, sachant que le trophée ne fut créé que lors de sa 5e saison pro.
24 fois All-Star, et même si les premières années 2 All-Star games étaient disputés (plus de bénéfices pour la caisse de retraite des joueurs), il fut 18 fois titulaires et termina le match 11 fois.
Fin de cycle
Frustration sera le mot clé de la fin de son cycle avec les Giants, finissant pendant 5 ans de suite 2e de la NL entre 1965 et 1969. La saison 1969 lui permet d’intégrer le club des 600HR en carrière, ainsi que celui des 300 bases volées. Ce qui fait de lui le premier des 2 membres du 600-300 clubs (avec son filleul Barry Bonds). Mais 1969 est aussi la première année durant laquelle il ne remporte pas le Golden Glove de champ centre. C’est un coup d’arrêt pour Willie, le Golden Glove représentant la seule récompense pour le travail défensif à chaque poste.
Les Giants n’étant plus compétitifs, Willie perd la flamme et traverse la saison 1970 mieux qu’en 1969, et au-délà des standards conventionnels (28HR, 83 RBIs, .271), mais comme une âme en peine. La chasse aux records illumine quelques peu les soirées d’été de Californie (3000 hits).
Cela fait deux saisons que l’ordre de frappe de Willie a été changé, passant de n°3 à leadoff (n°1). Mécontent, mais joueur d’équipe, Mays s’est acquitté de sa tâche sans broncher. Et alors qu’arrive 1971, une renaissance arrive quand le manager Charlie Fox demande à Willie d’être coach adjoint pour les outfielders.
S’ensuit une saison record (encore une !) pour Willie, qui du fait de ses 39 ans, adapte son jeu, est plus patient au marbre (leader de la ligue en walks) et joue 1 match sur 3 en première base pour reposer ses vieilles jambes.
Les Giants remportent leur division mais tombe face aux Pirates de Stargell et Clemente en NLCS.
A l’amorce de la saison 1972, le conflit entre les joueurs est la ligue retarde l’Opening Day. Willie, d’une nature toujours discrète, et réticent à parler des sujets sociétaux en public, est cette fois une des voix des joueurs en grève :
“I know it’s hard being away from the game and our paychecks and our normal life. I love this game. It’s been my whole life. But we made a decision … to stick together and until we’re satisfied, we have to stay together. … [If] I have played my last game, it will be painful. But if we don’t hang together, everything we’ve worked for will be lost.”
A maintenant 41 ans et avec le plus gros salaire de l’équipe, Willie souhaite un contrat à longue durée avec ses Giants. Ce contrat, le club n’est pas prêt à lui donner, et combiné avec un début de saison calamiteux (.184 de moyenne au bâton), l’échange aux New York Mets après un vingtaine de match.
Les Mets s’empressent de le signer et même de lui proposer un contrat pour son après carrière, un poste de coach dans l’équipe. Son premier match avec les Mets le voit affronter les Giants, et sera l’occasion de claquer son premier home run au Shea Stadium.
Bien que 1972 soit la plus mauvaise saison de Willie au niveau statistique (88 matchs, 8 HRs, 22 RBIs .250 moyenne, 35 runs), il est quand même dans le top 3 des batteurs des Mets. Le boulot du manager de l’époque, Yogi Berra, est immense pour créer cette alchimie victorieuse.
Une alchimie qui va apparaître et se créer tout au long de la saison 1973. Alors que Willie annonce à l’encadrement et à ses co-équipiers que cette saison serait la dernière, New York et Mays commencent difficilement l’année et sont vite à la cave. Mais une fin d’été incroyable des Amazin’ propulse Willie en postseason une dernière fois.
Willie ne joue pas beaucoup, est même pacifieur quand les Reds de Sparky Anderson retirent leur équipe du terrain lors du match 3 des NLCS. Mays, Berra et Tom Seaver persuadent alors la Big Red Machine de revenir, après avoir calmé la foule qui s’en prenait à Pete Rose, lui même initiateur d’une bagarre avec Bud Harrelson, le receveur des Mets.
Ses 2 erreurs défensives en champ centre lors du match deux des World Series contre les Athletics sonnent souvent comme un exemple du joueur qui n’a pas su s’arrêter assez tôt. C’est oublier sa feinte de grand-père dans la 12e manche, quand Willie s’adresse au receveur des A’s : “Ray (Fosse), j’espère qu’il ne me lancera pas de fastballs, c’est dur de les voir avec cet arrière plan”. Ray Fosse appelle une fastball, Rollie Fingers s’execute et Willie envoie la balle dans le champ centre pour inscrire le run vainqueur.
Malgré la défaite en 7 matchs, nombreux sont ses co-équipiers qui valorisent son impact sur le jeu et l’esprit de l’équipe.
L’heure de la retraite sonnant, Willie Mays reste proche du baseball en étant coach/ambassadeur des New York Mets, puis occupant divers poste de relations publics jusqu’à l’automne 1979. Après son intronisation au Hall of Fame, au premier tour d’éligibilité, il accepte à cette époque un poste de RP de luxe au Bally’s Casino d’Atlantic City. Son job est essentiellement d’acceuillir les clients, de jouer au golf avec eux et de raconter des anecdotes. Son contrat prévoit même une interdiction de parier dans un rayon de 160 km du casino. Mickey Mantle a un contrat de la même nature pour un autre casino.

Le commisionner de l’époque, Bowie Kuhn, estime que ces contrats sont contraire à la politique anti-jeu de la ligue et il exclut Mays et Mantle. Cela signifie qu’ils ne pourront plus obtenir de postes au sein des équipes du circuit majeur. L’exclusion est révoquée en 1985 avec l’arrivée du nouveau commissionner Peter Ueberroth.
Depuis 1985, Willie est devenu salarié des Giants, comme coach de Spring Training, puis comme légende du club, avec un contrat à vie. C’est lui qui poussera Barry Bonds et les Giants à se trouver, et sera toujours présent le long de la carrière de son filleul, quelles que soient les polémiques.

Héritage
Avec une carrière qui va de la ségrégation au début de la free agency, Willie Mays a connu le bannisement des ligues majeures à cause de la couleur de sa peau, jusqu’à voir la ligue se parer des oripaux du mouvement Black Live Matters.
Il a simplifié l’expansion de la MLB à l’Ouest, son charisme et son jeu de superstar propulsant les Giants de New York à San Francisco.
Il a frappé 660 home-runs et aurait battu le record de Babe Ruth avant Aaron s’il n’avait pas perdu 2 saisons à cause du service militaire, et s’il avait joué à domicile ailleurs qu’au Polo Field et au Candlestick Park, deux ballparks avec de profonds champs centre à plus de 420 yards.
Il a plus de saisons (6) avec un WAR supérieur à 10 que Mike Trout et son filleul Barry Bonds réunis.
La statuette de MVP des World Series a été renommée et modifiée après lui, alors qu’il ne la jamais remportée, le trophée ayant été créé en 1955, soit un an après sa performance magistrale lors des WS 1954.
Quand Jackie Robinson s’est vu attribuer la tâche de briser la barrière raciale, beaucoup l’ont haï. Willie Mays est arrivé pour emmener plus loin le combat, pour que les spectateurs de n’importe quelle origine et de n’importe quel âge puissent s’identifier au joueur, mais surtout, à l’Humain.
“You’d sit on the bench and watch Willie Mays, it was so exciting just to watch him. People did that with Jim Brown. They did that with the acrobatics and greatness of [Michael] Jordan. It’s like players today going to watch the pregame warm-ups of Steph Curry. To watch Willie warm up, to throw the ball underhand, to make a basket catch. The beauty and the grace. For the kids today, it was like watching Simone Biles. It was like watching [Mikhail] Baryshnikov. It was poetry in motion. It was so beautiful, so pretty, to watch this athlete just run on the field, catch a ball. I loved to play against Willie Mays because it meant that I got to watch Willie Mays.”
Reggie “Mr October” Jackson