Il y a quelques semaines, Yadier Molina a fêté une Milestone un peu particulière : il a débuté son 2000e match en tant que receveur des St Louis Cardinals. 2000 matchs donc, pour le légendaire receveur des Cardinals qui entame sa 18e (et peut-être dernière) saison chez les Red Birds. 2000 matchs. Ils sont cinq receveurs à avoir atteint cette milestone avant Yadi, et pas des moindres : Ivan Rodriguez, Carlton Fisk, Bob Boone, Gary Carter et Jason Kendall. 2000 matchs pour une seule équipe ; il n’y en a plus qu’un : Yadier Molina. Avec les Cardinals, Yadier Molina a tout vécu : deux victoires en World Series, 9 Gold Gloves et autant de voyages au All Star Game. Il ne lui aura manqué que le titre de MVP qu’il a touché des doigts en 2012 et 2013. Il est l’un des plus grands de l’histoire par son apport offensif et défensif, par sa présence, par son autorité. Mais dans la grande confrérie des receveurs, où Yadi se place-t-il par rapport à Gary, Johnny ou Yogi ? Une exploration en chiffres et en lettres.

Qu’est-ce qui définit les plus grands ? Vaste question. Il y a les titres bien sûr, on ne s’assoit pas avec les Johnny Bench et autres Yogi Berra sans avoir soulevé un Commissioner’s Trophy, ou alors en bout de table. Il y a la contribution à ces titres, la capacité à impacter une postseason comme celle à performer, saison après saison, au fil du grind de la saison régulière. Et pour un receveur, il y aussi l’œil, la capacité à diriger une partie depuis le marbre, à intercepter les coureurs et rentrer dans leur cerveau, à appeler les bons pitchs et influencer les arbitres… et la capacité à durer, saison après saison au poste le plus exigeant et le plus physique du baseball. MVP 2009 alors qu’il jouait encore principalement dans le rôle de receveur, Joe Mauer s’est progressivement éloigné du poste, au fil des ans et des blessures, lassé des chocs et des commotions subis au marbre. Lui aussi MVP, en 2012, Buster Posey a vu son niveau de performance réduire considérablement lors de ce qui s’annonçait comme son Prime, entre blessures et usure physique.
A 38 ans, c’est cela qui rend Yadier Molina exceptionnel : cette capacité à enchaîner saison après saison, à mener ses matchs, jour après jour comme s’il jouait sa première saison et à rentrer dans la tête de ses adversaires, aujourd’hui comme il y a 15 ans, en 2006. La réaction de l’outfielder des Reds, Nicholas Castellanos, après s’être retrouvé il y a quelques semaines dans une altercation avec le backstop des Cardinals en dit long sur la place qu’il occupe aujourd’hui dans l’imaginaire collectif du baseball : « Ce mec pourrait me mettre son poing dans la figure, et je lui demanderais quand même un maillot dédicacé » (“That guy could punch me in the face and I’d still ask him for a signed jersey”). Alors nous y voilà, si Molina est le plus grand des receveurs de son temps par son talent, son influence et sa capacité à durer, où se situe-t-il par rapport aux plus grands Catchers de l’histoire ?
Alors bien entendu, il y a certaines choses qui ne peuvent pas être mesurées, comme la différence entre les époques, le charisme ou l’influence d’un joueur sur son équipe et ses adversaires. Mais j’ai quand même voulu tenter le coup, creuser les ressources de Baseball Reference et Stathead, essayer de déterminer où se situe Yadi parmi les receveurs admis au Hall of Fame ainsi que les deux autres receveurs contemporains qui peuvent être vus, comme lui, comme des candidats crédibles à Cooperstown, Buster Posey et Joe Mauer.
Pour faciliter le travail, Yadi sera ici comparé avec « seulement » huit des seize immortels, le cut étant arrêté avec la seconde guerre mondiale. Exit donc Bill Dickey, Gaby Hartnett, Mickey Cochrane, Buck Ewing, Roger Bresnahan, Ernie Lombardi, Ray Schalk, Rick Ferrell (tous MLB) et Josh Gibson (Negro Leagues), sans que cela ne remette en compte leurs superbes carrières.
Nous voila donc avec 11 hommes, les plus grands receveurs de l’ère moderne pour leurs capacités offensives ou défensives, leur longévité ou leur participation aux titres de franchises de légende : entre ici Yadi, afin que nous te comparions à Johnny Bench, Gary Carter, Ivan Rodriguez, Carlton Fisk, Yogi Berra, Ted Simmons, Roy Campanella, Buster Posey et Joe Mauer.

Critère 1 – Longévité
Je le disais en introduction, Yadier Molina est le premier receveur à jouer 2000 matchs au poste pour une seule équipe. Au fil des carrières, des besoins sur le diamant et de l’usure physique, Ils sont cinq, seulement, à avoir joué plus des matchs que le receveur Portoricain des Cardinals au poste de receveur, dont trois Hall of Famers : Carlton Fisk, Gary Carter et Ivan Rodriguez.

* Roy Campanella n’a joué que 10 saisons en Major Leagues, rejoignant les Brooklyn Dodgers après 10 saisons entre les Negro Leagues, les Minor Leagues et la Ligue Mexicaine.
** Buster Posey, 34 ans, devrait sauf blessure(s) terminer entre Roy Campanella et Mike Piazza au nombre de matchs joués au poste.
*** Joe Mauer a abandonné le poste de receveur progressivement à partir de 2011 et entièrement après la saison 2013.
Critère 2 – Les titres : performances collectives
Puisqu’il faut départager les plus grands, il faut également un barème. Admettons qu’il soit le suivant : 10 points pour une victoire en World Series et 5 points pour une participation et 2 points pour une participation aux Championship Series.
Après une longue délibération du Jury, j’ai décidé que ce barème équilibrait correctement les différentes époques et de toutes façons, quels que soient les calculs, Yogi Berra explosera tout le monde !

Critère 3 – Récompenses Individuelles
Là encore, le barème est difficile à établir en prenant en compte les époques et les évolutions (Les Gold Gloves, par exemple, n’existent que depuis 1957, les Silver Slugger depuis 1980). J’ai décidé d’ignorer le Silver Slugger, qui reste une récompense secondaire, et d’inclure les Gold Gloves. Pour le cas de Yogi Berra et Roy Campanella, j’ai décidé d’adopter la méthodologie de cette page web qui a calculé les vainqueurs probables des Gold Gloves pré-1957 en divisant le Fielding Percentage du Receveur avec celui de l’ensemble des Receveurs de la Ligue. Cela permettra à Roy Campanella de remporter 5 Gold Gloves, contre 2 pour Yogi Berra, des résultats conformes à leurs réputations défensives. Le barème sera le suivant :
5 points pour un titre de MVP, 2 points pour un titre de Rookie of the Year et 1 point pour un titre de MVP des World Series, une participation au All Star Game, un Gold Glove ou un Batting Title :

Critère 4 – Performances Offensives
Sans surprise, l’apport offensif est le point faible de Yadier Molina dans ce classement, si l’on prend l’apport offensif sur des termes statistiques. Avec tout de même plus de 2000 hits et bientôt 1000 RBI au compteur, Yadi se retrouve en queue de peloton quand il s’agit de frapper, particulièrement quand il faut y ajouter la puissance. S’il est un aspect du jeu, et on sait combien il est important, qui peut barrer l’entrée de Coopertown à Molina, c’est son apport au bâton. Mais attention, tout d’abord on parle de dernière place dans une liste de Hall of Famers et Hall of Famers potentiels. Et on parle tout de même d’une moyenne au bâton de .282 sur 18 ans avec un OPS+ de 98, juste un poil en dessous de la moyenne ajustée de tous les Major Leaguers donc, ça reste pas vilain.
J’utiliserai ici les oWAR, OPS+ et nombres de hits des 11 joueurs pour refléter leur apport offensif général, leur capacité à bien frapper et leur capacité à bien frapper dans le temps.

*J’ai également pris la liberté d’attribuer à Buster Posey cinq saisons de oWAR et de hits supplémentaires, à partir de la saison 2021, indexés sur ses cinq dernières saisons (2015-2019) et avec un coefficient dégressif de 5 pour 2019, 4 pour 2018 etc… Cela ne change quasiment rien au classement final, sinon que Buster Posey dépasserait alors le total de hits actuels de Yadier Molina
Critère 5 – Performances en postseason
Vous connaissez l’histoire. Il y a les joueurs qui brillent en saison régulière, et ceux qui se transcendent au moment ou les matchs comptent vraiment et où la pression s’accumule. Et il y a ceux qui continuent leur petit bonhomme de chemin, sans se soucier de la scène ou de l’adversaire. Molina, recordman de hits en postseason pour un receveur et deuxième au nombre de matchs disputés derrière Jorge Posada, est de ceux-là.
Voyez plutôt, le natif de Bayamon affiche une slash-line de .281/.334/.367 en 99 matchs de postseason contre .282/.333/.406 en saison régulière. A part un recul au niveau du slugging percentage, le copier/coller est presque parfait. On notera que parmi les prétendants, seul Joe Mauer a une meilleure moyenne au bâton que Molina, avec 11 fois moins de matchs joués. Mais on utilisera ici la statistique WPA* ramenée à un niveau de performance sur 100 matchs disputés pour donner la palme au regretté Gary Carter.

* WPA, Win Probability Added : Le pourcentage de chances de remporter un match généré ou aliéné par l’action spécifique d’un joueur lors de chaque passage au bâton. Voir la définition complète et l’exemple pratique sur MLB.com

Critère 6 – Performances Défensives
On loue souvent, et à raison, Yadier Molina pour ses performances défensives, mais où se situe-t-il par rapport aux plus grands ? Et notamment par rapport à la référence ultime du poste, Ivan « Pudge » Rodriguez.
Encore une fois, difficile de faire une comparaison juste des époques puisque Yogi Berra et Roy Campanella ont profité d’une époque où la course sur bases était totalement délaissée au profit de la puissance brute avec un ratio de trois Home Runs pour une Base volée (Pour en savoir plus) , tandis qu’il est impossible de quantifier l’apport des plus anciens receveurs en termes de « Framing », un aspect de la défense dont on ne parlait simplement pas autrefois et qui est devenu fondamental en ce début de siècle.
J’ai donc choisi ici de prendre le WAR défensif (dWAR) comme valeur de base avec un coefficient de deux, et d’y associer le pourcentage de coureurs éliminés sur bases (CS %) ainsi que la variable « Rtot » qui permet de mesurer le nombre total de runs sauvés par les actions défensives d’un joueur, toutes les deux avec un coefficient de 1.

Critère 7 – Influence et Charisme
Alors oui… non… aucune chance! On peut s’amuser à mesurer toutes sortes de choses avec les données disponibles, mais rien ne permettra de chercher un semblant d’objectivité quand il faudra départager Yogi Berra, l’emblématique receveur des Yankees avec ses citations inoubliables ou Johnny Bench, l’icone des Cincinnati Reds.
Comment départager le merveilleux et sulfureux Ivan Rodriguez de Mike Piazza, l’icône du Queens et de l’Amérique post 9-11? Le « Don’t Run on Yadi » semble-t-il tout petit comparé à la carrière à la fois magnifique et tragique de Roy Campanella? On pourrait continuer longtemps mais au lieu de cela on va donner à nos 11 prétendants une médaille d’honneur et une accolade. Car nous voilà à l’heure des résultats !

Alors, Yadi Quoi ?
Vous connaissez ce feeling, quand vous avez passé des heures à tourner des données dans tous les sens sur un tableau Excel, à vous questionner au plus profond de vous-même sur la méthodologie adoptée et quand, au moment de compiler les classements finaux, les chiffres s’alignent comme par miracle sur le résultat que vous pensiez trouver ?
Voici donc deux classements basés sur les statistiques scrutées ci- dessus. Le premier fait la part belle aux catégories « reines » le plus souvent observées pour considérer si un joueur est, ou non, digne du Hall of Fame : ce sont les performances offensives, les performances en postseason, les titres et les récompenses individuelles. Ici, ces statistiques obtiennent un coefficient de 2 contre un pour les autres.
Sans surprise, les légendes Johnny Bench et Yogi Berra, très probablement les deux meilleurs receveurs de tous les temps, finissent ensemble en premières place, Yadier Molina finit lui en cinquième place, à égalité avec Gary Carter :

Si l’on exclut les coefficients pour se fixer sur la somme des six critères pris en considération, le résultat ne change pas spectaculairement si ce n’est qu’il honore bien entendu les rois de la défense. Ivan Rodriguez prend alors la première place devant Bench et Berra tandis que Carter et Molina, toujours ensemble, dépassent Carlton Fisk :

Mais la question, le postulat initial de cet article était de savoir où se situait Yadi Molina dans la hiérarchie historique des receveurs de Major League. Cette comparaison de Molina avec les autres stars du poste de ces derniers 70 ans n’est évidemment pas scientifique, mais je défie quiconque de prouver par des chiffres et des statistiques totalement indiscutables (et je dis bien TOTALEMENT indiscutables) les qualités comparées d’un joueur de 1950 et d’un autre de 2021.
Cette comparaison n’est pas sans failles donc, mais elle me satisfait à mon petit niveau de statisticien du dimanche pour affirmer que Yadier Molina, sur l’ensemble de son œuvre au sein des Saint Louis Cardinals, est sans aucun doute un futur Hall of Famer et peut-être même, tout aspects pris en compte, l’un des 10 plus grands receveurs de l’ère moderne.

Une réflexion sur “Yadier et les Immortels”