Playoffs modifiés, nouvelles règles et arbitres robots : le baseball en évolution ou en perdition ?

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Rob Manfred, le commissaire de la MLB, est-il l’Innovator qui va sauver le baseball ou le Terminator qui va précipiter sa chute ? – crédit AP

A peine remis du Blockbuster trade en deux actes entre les Red Sox et les Dodgers, et toujours noyé dans le scandale de triche des Astros, le monde de la MLB a vu une nouvelle bombe lui tomber dessus : le format des playoffs pourrait changer en 2022, avec, en autres, le passage de 10 à 14 équipes qualifiées pour le mois d’octobre. Peu de temps après, la MLB annonçait officiellement les nouvelles règles de la saison 2020, sur les lanceurs et les rosters, règles qui font débat. C’est également le cas de l’arrivée de plus en plus probable de l’arbitrage automatisé, qui sera testé durant le Spring Traing sur quelques rencontres. Trop de changement tue-t-il le changement ? Avec Rob Manfred, innovateur boulimique, le baseball est-il en pleine évolution ou en totale perdition ?

Le 10 février dernier, le journaliste du New York Post Joel Sherman annonçait que la MLB planchait sur un nouveau format des playoffs pour la saison 2022. La proposition est la suivante : élargissement du nombre de qualifiés à 7 équipes par ligue, disparition du wild card game au profit d’un premier tour au meilleur des trois matchs, premier tour dont sera dispensé le meilleur bilan de la ligue. Et ce n’est pas fini. Lors d’un show télévisé, les deux autres vainqueurs de division choisiront l’équipe qu’ils veulent affronter, les deux dernières équipes restantes après ce choix s’affrontant. Au final, les deux vainqueurs de division de ce premier tour accueilleront l’ensemble de la série ainsi que le meilleur bilan de la 3ème série. Vous avez suivi ?

L’intérêt pour la MLB serait triple. Premièrement, obliger les équipes à s’investir plus longtemps dans la saison avec ces deux chances supplémentaires de qualification en postseason, même avec des bilans corrects sans plus. Deuxièmement, dynamiser l’intérêt des fans en donnant à leurs équipes plus de chances de se qualifier en playoffs, surtout pour celles qui en sont souvent écartées, mais aussi avec l’idée d’apporter de la stratégie dans le choix des adversaires via le show télévisé pour intéresser le public. Troisièmement et c’est peut-être, malheureusement, le plus important, pour le business. Élargir le nombre de clubs, c’est augmenter le nombre de matchs à diffuser et s’ouvrir à de nouveaux marchés en postseason en permettant à des équipes du ventre mou, peu qualifiées en temps normal, de faire une apparition en octobre. On pense à des petits marchés comme les Rockies ou les D’backs mais aussi à de gros marchés comme Los Angeles avec l’addition des Angels, en plus des Dodgers, ou New York avec les Mets. C’est aussi la possibilité de voir le troisième plus gros marché de l’Amérique, Chicago, plus souvent dans les séries éliminatoires. La MLB espère ainsi booster l’intérêt des fans et des diffuseurs TV, et contrer les audiences nationales qui sont en baisse (bien que les audiences locales soient, elles, excellentes).

Quelques jours après l’info sortie par le New York Post, la MLB annonçait les nouvelles règles de la saison 2020. Des nouvelles règles connues depuis l’automne dernier mais dont l’impact avait sombré dans l’ombre du scandale des Astros. Cependant, la saison approchant, ces nouvelles règles résonnent avec le test des arbitres robots (qui consiste dans les faits à une aide aux arbitres humains avec un bip indiquant les strikes à l’arbitre de plaque) et le possible nouveau format des playoffs. Là encore, ces règles créent le débat dans la communauté baseball, particulièrement celle relative « aux trois batteurs ». Désormais, un lanceur devra affronter un minimum de trois batteurs, sauf si la manche se finit avant ou qu’il se blesse. Le but est d’éviter de recourir à des lanceurs spécialistes pour affronter un unique frappeur, ce qui occasionne plus de changements et de la perte de temps. La MLB espère ainsi gagner du temps pour faire baisser la durée des matchs et en accélérer le rythme. Bien entendu, une telle règle pourrait avoir un impact sur le jeu, forçant, par exemple, les managers à garder un lanceur de relève ayant des difficultés sur la butte, ce qui changerait la physionomie des matchs.

Les autres règles majeures pour l’année 2020 concernent les rosters. Une nouvelle fois, des règles qui vont bousculer les stratégies des franchises. Dans le bon ou le mauvais sens, c’est selon. Désormais, un roster MLB sera composé de 26 joueurs. Un joueur de plus afin de prendre en compte les stratégies actuelles qui misaient sur l’emploi de plus de lanceurs que de joueurs de position. Or, en cas de blessure, la marge de manœuvre était moindre pour les joueurs de position. Il y aura maintenant 13 lanceurs et 13 joueurs de position, avec la possibilité d’avoir des two-way players bien identifiés sous condition. Shohei Ohtani pourra donc continuer à nous régaler au bâton et sur le monticule. Ensuite, en septembre, le roster passera à 28 joueurs et non à 40, comme par le passé. Fini donc le turn-over pour ménager les joueurs ainsi que les prospects que l’on teste en septembre. Il faudra que les équipes anticipent leurs besoins pour la fin de saison, en choisissant bien leurs renforts : tenter sa chance avec un prospect ou prendre un joueur de AAA aguerri, ayant déjà fait quelques allers/retours en MLB ? Il sera intéressant de voir comment les franchises vont s’adapter.

Comme souvent, les idées du commissaire de la MLB, Rob Manfred, et de son équipe clivent le monde du baseball. Si l’élargissement du nombre d’équipes qualifiées est plutôt bien accueilli par de nombreux fans, il en interroge également beaucoup sur les risques de baisse de niveau que cela pourrait impliquer, tant en playoffs qu’en saison régulière, puisque les équipes pourraient espérer voir le mois d’octobre sans être obligées d’investir fortement dans leurs effectifs. L’autre risque est d’avoir des équipes moyennes sortir un favori sur une série de trois matchs, puisqu’en saison régulière, il arrive qu’une équipe de bas de classement remporte une série de trois face à une grosse écurie. Des séries pièges en playoffs ,injustes pour des favoris qui domineraient la dite série sur des séries en cinq ou sept matchs grâce à la profondeur de leurs rosters.

C’est aussi une question philosophique. Le baseball est supposé être l’un des sports collectifs les plus difficiles au monde. Une difficulté qui se voit dans tous les aspects du jeu et de son organisation, à l’instar de la saison marathon de 162 matchs en MLB ou le dur chemin pour y accéder dans les ligues mineures. Cette difficulté se retrouve également dans le format de playoffs de la MLB, le plus restreint, avec la NFL, des cinq grandes ligues professionnelles américaines (MLS incluse). Un format qui fut d’ailleurs élargi à cinq équipes récemment puisque la deuxième wild card date seulement de 2012. Ce débat n’est pas l’apanage des fans puisque des joueurs MLB se sont exprimés dessus avec deux positions notables contre ce nouveau format, celles de l’inimitable Trevor Bauer et du sage Sean Doolittle. Pour ces deux lanceurs stars, cette proposition dénature le baseball. Le premier intervient régulièrement sur les réseaux sociaux pour s’insuger, parfois de manière désobligeante, contre les réformes proposées ou mises en place par Manfred. Quant au second, il estime que la MLB tape à côté avec sa réforme, arguant qu’il vaudrait mieux mettre fin au système de blackout qui empêche les fans, y compris les plus jeunes, d’accéder aux matchs de la MLB sur le net et les applis.

Ce type de réactions accompagne la mandature de Rob Manfred depuis son accession au poste de commissaire en 2015. Depuis sa prise de fonction, il n’a de cesse de proposer, d’expérimenter ou de règlementer pour faire évoluer le baseball. On lui doit ainsi la fin des glissades dangereuses sur les bases ou la règle sur le but sur balles intentionnels automatiques. C’est lui qui a lancé les expérimentations des pitch clocks pour les lanceurs ou de l’arbitrage automatisé, dit arbitres robots (sans parler de la menace d’un DH généralisé à toute la MLB). Quelques exemples dans les nombreux projets qui ont été lancés et testés en ligues mineures ou dans la ligue indépendante Atlantic lors de la saison dernière. Sans connaître de véritables levées de boucliers, ces innovations ont suscité des reproches et des interrogations. Clayton Kershaw, l’ace des Dodgers, s’est ainsi montré critique vis à vis de l’arbitrage automatisé des « strikes and balls », avec des questionnements à la fois pratiques sur l’impact dans le jeu mais aussi philosophiques sur un baseball de moins en moins humain. Le test effectué en Atlantic League durant la saison 2019, sans être parfait, aurait constitué un succès selon la MLB, qui testera le système sur neuf matchs de Spring Training et dans quelques ballparks de ligues mineures en 2020. Mais il faudra encore attendre quelques années avant de le voir en MLB, si cela se concrétise.

L’accusation qui revient le plus souvent dans la conversation, quand on parle des idées de Manfred, c’est celle de dénaturer le baseball.

Je me suis moi-même, à plusieurs reprises, posé la question au travers de plusieurs billets sur The Strike Out. C’est une interrogation qui traverse tout fan de baseball quand survient le changement. Le baseball a toujours été pris entre deux feux, entre le marteau de l’innovation et l’enclume de la tradition. Le baseball est un jeu conservateur et moderne, où la nostalgie se confronte à l’évolution. Un paradoxe d’autant plus fort que la nostalgie et la tradition sont des concepts qui ont structuré la culture baseball alors même qu’ils étaient, pour une grande part, des inventions culturelles plus que des réalités. Car la réalité est que le baseball n’a eu de cesse d’évoluer, de se métamorphoser au gré des événements ou des nécessités. Et, en même temps, nombreux sont les changements qui ont été conduits pour des raisons de pur business, imposant au fans un baseball dédié aux dividendes. Entre une nostalgie factice et une évolution capitaliste, le romantisme en prend un coup.

Pourtant, le baseball est bien un sport romantique dans laquelle tradition et changement ont aussi acquis leurs lettres de noblesse, que l’on parle de Babe Ruth transformant le baseball, de l’année des lanceurs , en 1968, où la domination des cannoniers sur la butte conduit à des changements de règle, ou encore de la temporalité du baseball qui n’a eu de cesse de braver l’accélération du monde pour mieux narguer sa folie. Les paradoxes de ce jeu ont offert une histoire riche au monde du sport. Donc, Rob Manfred dénature-t-il vraiment le baseball ? La règle des trois batteurs est intéressante à analyser pour répondre à cette question, si tenté que l’on peut vraiment y répondre.

De nombreux fans et spécialistes crient au scandale devant une règle qui enlèverait la part de stratégie qui fait l’essence même du baseball, notamment la gestion des releveurs. Effectivement, par rapport à ce qui se fait en MLB depuis des décennies, c’est une injure à la tradition du jeu. Mais le baseball n’a pas toujours été ce jeu que nous connaissons. De sa codification en 1845 jusqu’aux années 1860, c’était un jeu de balle donné où les grandes stars étaient les défenseurs. Puis le baseball s’est transformé peu à peu en duel lanceur-batteur pour devenir un jeu plus offensif mais aussi plus stratégique, fait de courses sur bases, de points construits par des amortis et des coups sûrs dans le terrain. Puis Babe Ruth et la règle des balles changées en match arrivèrent en 1920, nous embarquant dans un baseball de puissance où le homerun se fait moins rare. Dans le même temps, les matchs complets, qui représentaient 87 % des matchs en 1904, tombent à 55 % en 1914 puis à 45 % au milieu des années 40, ce taux baissant à chaque décennie, sauf durant les années 70, pour approcher les 2 % désormais. Prévention des blessures des lanceurs partants chèrement payés et stratégies toujours plus fines dans l’utilisation des releveurs ont conduit le baseball à changer radicalement en un siècle. Pourtant, à l’origine, la nature du baseball voulait qu’un lanceur lance tout un match, y compris en extra-inning comme le grand Babe le fit lors des World Series 1916, en officiant durant les 14 manches d’un match dans lequel il concéda un seul petit point, pour une victoire 2 à 1. A l’époque, il était honteux qu’un lanceur abandonne la butte sauf à être blessé ou vraiment trop mauvais. Les releveurs formaient un groupe restreint et le closer n’existait pas.

Ces quelques exemples démontrent que la nature du baseball a bien changé depuis sa codification par Alexander Cartwright en 1845. On aurait également pu parler de l’époque où on jouait sans gants, puis avec des gants sans les poches d’aujourd’hui, des évolutions techniques qui ont elles aussi modifié la manière de jouer au baseball. Le « c’était mieux avant » est souvent un mythe, même s’il contient quelques parcelles de vérité. Certaines évolutions ont été bénéfiques au baseball, d’autres non. Mais ces évolutions s’apprécient aussi au regard des générations qui se créent leur propre tradition vis à vis d’un baseball qu’elles ont connu à une certaine époque de leur vie. Le baseball traditionnel n’était pas pensé et apprécié de la même manière selon que l’on ait découvert ce sport durant la Dead Ball Era ou avec Babe Ruth dans les années 1920 ou 1930. Il ne s’apprécie pas de la même manière qu’on ait grandi avec Willie Mays, Sandy Koufax, Bob Gibson, Pete Rose, Gregg Maddux, Derek Jeter, Clayton Kershaw ou Mike Trout.

Il semble difficile de reprocher à la MLB de faire ce qu’elle fait depuis toujours, faire évoluer le jeu ou accompagner les changements apparus dans les coulisses des franchises, sur le terrain ou dans le développement des technologies. Non, ce que l’on peut reprocher à Rob Manfred, c’est d’être dans l’excès. Les changements ou projets de changement s’accumulent et s’accélèrent, ne permettant pas aux jeunes générations de bâtir leur propre tradition du jeu et aux générations déjà aguerries de se reconnaître dans ce baseball en plein formatage. Cette urgence à réformer le baseball inquiète. Rob Manfred veut-il sauver le baseball d’un déclin annoncé (ou qui aurait déjà commencé) ou veut-il simplement sauver le business, en créant un nouveau baseball, voir un nouveau sport ?

Le commissaire du baseball ne doit pas oublier que la MLB est double. Certes, c’est un vieux business encore florissant qui doit penser à sa vitalité économique présente et future, mais elle est aussi la première gardienne du jeu et de son esprit, tant elle domine le monde du baseball. Tant que l’équilibre est assuré entre business et beauté du jeu, le fan s’y retrouve. Mais si la beauté du jeu devient un accessoire marketing, les solutions de la MLB pour répondre aux défis du baseball ne seront que des échecs. Changer le format des playoffs pour espérer plus de droits TV ne répondra pas aux défis d’attirer le public, de séduire les plus jeunes et de rendre le jeu accessible, au sens propre et figuré. La MLB doit s’atteler à démontrer la beauté du baseball au plus grand nombre, sa nature profonde. Cette nature que résume très bien le personnage Jimmy Dugan, joué par Tom Hanks, dans le film Une Équipe hors du commun, quand l’héroïne et joueuse de baseball Dottie Hinson (Geena Davis), lui déclare que le baseball est difficile : « C’est supposé être difficile. Si ce n’était pas difficile, tout le monde pourrait le faire. La grandeur provient de la difficulté ».

Brader le baseball à la simplicité, voilà une évolution qui le dénaturerait dangereusement.


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