C’est un séisme qui a secoué la ville d’Oakland lundi 31 juillet 2017 sur les coups de 15h, heure locale. Non répertorié sur l’échelle de Richter, la magnitude de ce dernier se mesure différemment. Dans les cœurs. Ce tremblement, ce sont bien les fans des A’s, qui l’ont ressenti en lisant ce tweet insipide de Jeff Passan. Quatre mots en anglais auront suffi à venir à bout de nos espoirs de voir Sonny Gray continuer à lancer pour Oakland. « Gray to Yankees done ». Ou comment ponctuer une histoire d’amour longue de cinq ans. Brutalement. Sèchement. Et on a beau le savoir dès le premier jour, ou premier pitch c’est selon, on y laisse toujours un petit soupir, empli d’amertume.
Qu’il est déroutant dans le sport de haut niveau de constater, par soi-même, ce fossé entre l’émotion éprouvée par le fan – en l’occurrence votre serviteur – et l’information journalistique, si abrupte et brutale que nous la considérions presque impolie, voire insolente une fois parvenue sous sa forme la plus primitive qu’elle soit à nos tendres oreilles. Après tout, le baseball n’est-il pas un sport furieusement romantique ? L’affection portée par un fan envers sa star ne mérite-t-elle pas un peu plus de douceur ? Doux rêveurs, redescendez, la réponse est non, bien évidemment.
Sonny Gray a donc été tradé aux Yankees et il est bien inutile de se lamenter plus longuement. En échange, Oakland reçoit trois joueurs classés dans le top 15 du farm system des Pinstripers. À savoir l’OF Dustin Fowler (4e), le Shortstop Jorge Mateo (9e) et le lanceur Kaprelian (12e). À première vue, et je ne vais pas vous le cacher, on se dit que NY ressort grand gagnant de ce trade surtout lorsque l’on sait que Fowler et Kaprelian sont tous deux out jusqu’à la fin de saison. En lisant ces lignes, on comprend mieux pourquoi Billy Beane n’avait plus réalisé de transactions avec ces voleurs de NY depuis 14 ans ! Une fois les cartes posées sur la table, et avec un peu de recul, on s’aperçoit que le grand Billy Beane, pionnier de l’approche sabermetrics du baseball mise en place au début des années 2000’s, est en train de changer de stratégie.

« Le problème auquel nous faisons face, c’est qu’il y a les équipes riches et puis les pauvres. Ensuite il y a dix mètres de merde et nous on est là-dessous. C’est un jeu inéquitable ». Brad Pitt dans le rôle de Billy Beane – Moneyball
En baseball, tout est histoire de “cycle”. Une équipe se construit ainsi sur plusieurs années, voire décennies, avant de venir briller en postseason sur un laps de temps plus ou moins long. On parle en moyenne d’une période dorée de deux à cinq ans. Ce “cycle”, appelé outre-Atlantique “rebuild” – ou “reconstruction” en français – est la norme. Dans cette case-là, ne rentrent évidemment pas les franchises comme les Yankees, Red Sox ou autres Dodgers aux mallettes remplies de billets verts pour qui la “rebuild strategy” n’est qu’un lointain et vulgaire précepte. Non, ici, on vous parle bien de l’équipe au budget “moyen” des Majors ayant pour but de bâtir une équipe solide à coup de prospect et de patience. Parfois même avec beaucoup, beaucoup, beauuuuucouuuuup de patience… Ainsi les Mets (13e payroll MLB) ont dû patienter près de dix ans sans playoffs (2006-2015), les Pirates (25e) plus de deux décennies avant les play-offs 2013, quant aux Royals (14e budget), l’attente s’est éternisée près de trente ans avant de vivre la magie d’un mois d’octobre en 2014, c’est dire !
La fin du “reload” et le début du “rebuild”
Billy Beane, lui, a toujours catégoriquement refusé d’employer ce mot et pour cause. GM des “cols verts” depuis 1998, l’ex joueur MLB a basé la réussite de sa franchise sur les fameuses sabermetrics. Pour faire simple, Beane a toujours cherché à construire non pas la meilleure équipe mais la plus complète. Et ce avec des moyens financiers bien inférieurs aux autres équipes – avant-dernier élève des Majors au rang des valises pleines – en se basant sur des données statistiques (pour aller plus loin, voir Moneyball de Bennett Miller). Non, le truc de Billy, c’était le “reload” ou “retool”. Traduction : Billy Beane cherchait non pas à reconstruire mais à “recharger” son équipe en trouvant toujours le joueur lambda qui permettrait à son équipe d’être complète. Une petite nuance mais qui a fait la gloire des A’s. Entre 98 et 2016, les Oaklanders n’ont ainsi jamais connu plus de cinq années sans billetterie du Coliseum ouverte en octobre. Une anomalie dans un sport basé sur la patience et la “reconstruction”.
La grande force de Billy Beane consistait donc à trouver le joueur qui fallait à l’instant-T pour Oakland. Et force est de reconnaître qu’avec cette stratégie on a été gâtés. Sans remonter bien loin et fouiner dans les glorieuses des années 80’s-90’s, le fan des Swingin’ A’s a quand même vu des beaux joueurs sur son diamant. Donaldson, Cespy, Reddick ou Zobrist côté batteurs, Kazmir, Lester, Samardzija ou Sonny Gray sur la butte. Il y a pire pour un 29e budget MLB. Mais en juillet 2017, micro-évènement en conférence de presse suite au trade de Doolittle et Madson, lorsque pour la première fois, Billy Beane emploie le mot “rebuild” pour décrire le plan mis en place à Oakland. Pour la première fois sous l’ère Billy Beane, les “Verts et Or” n’ont plus une stratégie à court terme. Le board d’Oakland a décidé d’y aller à son tour pour le fameux cycle de reconstruction. Celui qui prend des années, voire plus, et qui se bâtit à coup de trades bien sentis pour solidifier le farm system tout en s’armant de patience…
Nouveau stade, nouvelle vision
Car si trouver les bons joueurs n’a jamais été un problème pour Billy Beane, les conserver, là, oui ! À tel point qu’aujourd’hui il est coutume de dire qu’un véritable fan des A’s n’achète jamais une tunique floquée au nom d’un joueur car il sait pertinemment que ce dernier ne sera sans doute plus sur la côte ouest l’été prochain… Vice-président des opérations baseball depuis 2015, Billy Beane a décidé de changer son fusil d’épaule…
“Vraiment, ce qui nous a manqué depuis 20 ans, c’est de garder nos joueurs. La frustration n’est pas que nous ayons eu du succès. La frustration vient du fait qu’après chaque succès, nous ne les avons pas gardés. Et nous devons changer ce récit en créant une bonne équipe et finalement en nous engageant à les garder, de sorte que lorsque les gens achètent un billet, ils sauront que l’équipe sera là pendant quelques années”.
Billy Beane – Juillet 2017 au San Francisco Chronicle
Si cette nouvelle politique sportive est évoquée ainsi par “l’homme d’Oakland”, elle a auparavant été longuement débattue en interne, dans le bureau du “board”. D’un côté Billy Beane, et son fidèle lieutenant depuis 12 ans, David Forst, aujourd’hui General Manager des “Éléphants Blancs”. Au bout de la table, Dave Kaval, le président des opérations baseball d’Oakland depuis novembre. Deux décisions vont alors découler des négociations. Beane et Forst vont d’abord réussir à convaincre leur président du bien-fondé de cette nouvelle stratégie. De son côté Kaval va prendre à coeur le problème du stade à Oakland.
Le Coliseum étant le stade le plus vétuste des Majors, Kaval promet une nouvelle enceinte sans pour autant annoncer de date. Mais le 7e président des A’s tient une promesse : Les Athletics ne déménageront pas d’Oakland. Marqué par le départ annoncé des Raiders (NFL) et la volonté des Warriors (NBA) de rejoindre San-Francisco, Kaval réplique et lance une féroce campagne publicitaire. Une équipe de sport restera à Oakland et il est bien décidé à ce que cette équipe soit la sienne, les Athletics. Cette bataille est marquée par le slogan : Rooted In Oakland (Enracinés à Oakland, Oak signifiant aussi Chêne en anglais).
Rendez-vous en 2021 ?
Et même si quitter le Coliseum va être un véritable crève-coeur pour les supporters, dans le fond, Oakland n’a plus le choix. Si elle veut sauver sa ville d’une extinction de toute équipe sportive majeure, alors Oakland tient en Dave Kaval son dernier espoir de voir ses Athletics, présents à Oakland depuis 1968, rester au pays du chêne.
En voilà une vidéo qui me donne envie de me lever et d’aller planter des chênes un peu partout…
En deux semaines Billy Beane aura donc mené son début de révolution. Exit Sonny Gray, Doolittle ou Madson, welcome to the prospects Luzardo, Neuse, Fowler, Mateo et Kaprelian. Oui Oakland ne sort surement pas vainqueur du Big Deal avec les Bronx Bombers. D’accord Billy vient de flinguer le pitching staff en deux trades. Mais en faisant ça il obtient aussi 5 joueurs qui rentrent directement dans le top 15 du farm system. Une belle promesse pour l’avenir. D’ici quelques années les Barreto, Chapman ou Healy devraient arriver à leur pic. Et en coulisses on parle d’un stade à l’orée 2021. Un alignement des planètes serait-il alors envisageable ? Aucune certitude pour le moment. Une chose est sûre, Billy Beane abat sa dernière carte sur la table. Quant à nous, fans d’Oakland, osons rêver. Et comme chaque papier gratté, concluons par ces quelques mots, ô combien plus doux que ceux de Jeff Passan. Car aujourd’hui plus que jamais, “In Billy Beane We Trust”.
J-Sé Gray.
Une réflexion sur ““In Billy Beane we trust””