Dans le coin droit, titulaire indiscutable du premier coussin des Reds, Joey Votto, MVP 2010 de National League, quadruple All-Star et Gold Glove en 2011. Roi de la présence sur base, patient à l’extrême lors de ses passages au bâton, le joueur de champ intérieur canadien n’hésitera jamais à sacrifier le spectaculaire pour l’efficace, même s’il s’agit parfois d’enchainer les buts sur balles et d’attendre les points produits par ses coéquipiers plutôt que d’envoyer la balle faire un tour dans les tribunes : « Parfois je laisse passer un lancer en plein de milieu de la zone de strike, et les gens se demandent, ‘Mais comment peut-il laisser passer ce lancer avec des coureurs en position de marquer ?’. Si je ne vois pas ce lancer, pourquoi frapper ? Et cela peut me permettre de mieux frapper une balle plus tard lors de ce passage au bâton, et de généralement passer une meilleure journée »
A quelques mètres de lui, taulier historique du poste de joueur de seconde base, Brandon Phillips, triple All-Star, Quadruple Gold Glover, et membre du prestigieux 30-30 club depuis 2007 (32 Home Runs et 30 buts volés). Le natif de Caroline du Nord n’a qu’un leitmotiv : Le plaisir, le plaisir, et encore le plaisir. Pour Phillips le baseball est un jeu, et rien ne vaut le plaisir d’un bon coup de batte bien place pour aller décrocher un Home Run ou toute opportunité de marquer qui se présente à lui : « Je suis un gars qui produit des points. Si vous me donnez une opportunité de RBI, un gars sur le troisième but et moins de deux joueurs retirés, je fais rentrer ce gars. Je ne marche pas. Je fais rentrer ce gars. Je suis comme ça. Je joue pour gagner des matches, je ne joue pas pour mes statistiques. »
Terrence Votto et Bud Phillips
Si Joey Votto est capable de puissance, lui qui a par exemple frappé 37 home runs lors de sa saison 2010, si Brandon Phillips est aussi capable de pragmatisme, lui qui possède un OBP respectable de .320 sans avoir besoin de croire à ces considérations statistiques, ces deux-là ont à peu près autant en commun que Terrence Hill et Bud Spencer. Et tout comme pour les célèbres cow-boys italiens, leurs différences n’ont jamais empiété sur leur efficacité, et encore moins sur une complicité bâtie au fil de quasiment 1000 matchs de Ligues Majeures joués côte-à-côte sous l’uniforme des Cincinnati Reds (983 matchs, pour être précis, au moment de l’écriture de cet article).
Votto et Phillips ont presque le même âge, à deux ans près, et pourtant ils semblent illustrer mieux que tout autre duo actif dans les Ligues Majeures, le contraste entre les deux époques les plus récentes du baseball. Drafté en 1999 par les Montreal Expos, Brandon Phillips a fait ses débuts dans les Ligues Majeures en 2002, en plein âge d’or des batteurs, quelques mois seulement après que Barry Bonds Jr n’ait fait oublier le mano a mano historique entre Marc McGwire et Samy Sosa, avec sa saison 2001 stratosphérique et ses 73 Home Runs frappés.
Votto, drafté en 2002 par les Reds, n’a lui fait ses débuts dans les Ligues Majeures que cinq ans plus tard, en 2007, à une époque où les lanceurs commençaient à reprendre le dessus sur les batteurs, et ou l’explosion des sabermetrics a changé de manière drastique le visage du baseball professionnel, au grand dam des tenants du baseball pur comme Phillips : « Je n’accroche pas à ces histoires de pourcentage de présence sur base. Je trouve que ça corrompt le baseball. Les joueurs d’aujourd’hui ont peur de ne pas être bien payés et s’embêtent avec ces histoires d’OBS au lieu de penser à gagner des matchs. »
Fantasque, spectaculaire et joueur de second but, Brandon Phillips est l’infielder champagne par excellence : agressif au bâton, opportuniste dans les courses et toujours prêt à faire le show sans oublier d’être l’un des défenseurs les plus fiables de sa génération. Alors forcément, avec quatre Gold Gloves dans la musette, on peut se permettre des petits plaisirs : prises aux vols, assists à genoux ou en déséquilibre, balles passées dans le dos ou entre les jambes, Phillips ne s’interdit aucune facétie, avec une garantie quasi-constante de résultats et d’efficacité.
Votto, dans les phases défensives aussi, est plus en sobriété. Plutôt logique au vu des limites qu’impose le poste de joueur de première base. Il n’en reste pas moins l’un des meilleurs défenseurs des Ligues Majeures à son poste, et une garantie de fiabilité pour Phillips et ses autres coéquipiers de l’infield, qui peuvent compter sur lui pour terminer le travail en toutes situations.
Une belle histoire, et des regrets
Si leurs approches du baseball semblent totalement inconciliables, les deux compagnons du champ intérieur des Reds n’imaginent même pas un instant laisser ces différences affecter leur relation de joueurs et d’hommes. Votto a pris l’habitude de passer en deuxième ou troisième position dans l’ordre à la batte, toujours une place avant son partenaire de l’infield. Et s’il décide qu’il va laisser passer quelques balles pour s’offrir un but sur balles plutôt que frapper au petit bonheur, il sait qu’il n’a qu’à attendre quelques secondes pour voir Phillips attaquer la balle avec toute l’agression qui est la sienne, une agression qui lui a si souvent permis d’atteindre le marbre.
Alors que les Reds se rajeunissent et se reconstruisent, pourtant, on parle de plus en plus d’un départ des vieux tauliers : Phillips a utilisé une « no-trade clause » pour ne pas rejoindre les Nationals cet hiver. Jay Bruce, outfielder des Reds depuis 2008, a failli rejoindre les Blue Jays en Février. Votto a quant à lui fait part de son désir de rester à Cincinnati, mais son gros salaire pourrait être une raison pour le management des Reds de le pousser vers la sortie. Il restera de ces années beaucoup de bons souvenirs, des performances de très haut niveau, et aussi (surtout ?) un gout d’inachevé : les Reds de Votto et Phillips n’auront jamais aperçu les World Series. Ils n’auront même jamais gagné une série de postseason.
Au lieu de ça, ils auront vu leurs espoirs s’évanouir par deux fois sans la moindre once de pitié. Sweepés sans ménagement par les Philadeplhia Phillies lors des National League Division Series 2010, ils avaient fait le plus dur en 2012 en gagnant deux fois chez les San Francisco Giants pour s’offrir trois balles de match à domicile. Trois défaites à la maison plus tard, et c’en était fini. Les Giants continuaient leur parcours au forceps vers le titre suprême, et les Reds avaient laissé passer une opportunité unique de renouer avec leur glorieux passé.
Mais qu’importe, pour Phillips et Votto le plus important reste le plaisir du jeu, qu’il implique patience et pragmatisme ou puissance et agression. Et tant qu’il restera un peu de place pour les deux virtuoses et leurs moments de rigolade, tout ira pour le mieux dans le coin droit du Great American Ballpark.
Une réflexion sur “Joey Votto, Brandon Phillips: les Barons Rouges”