Du 8 au 21 mars prochains, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO. Aujourd’hui, on revient en arrière et aux premiers jours du baseball dominicain. Bien avant le roster surpuissant, favori du World Baseball Classic 2023, il était une fois une petite bande de pionniers.

Ils sont le premier contingent étranger des Majors Leagues. Avec 171 joueurs (autant que le Venezuela, Porto Rico, le Mexique et le Canada combinés) inclus dans les rosters actifs de MLB au cours de la saison 2022, la République Dominicaine représente plus de 11% des effectifs dans le sillage des superstars telles que Juan Soto, Fernando Tatis Jr., Jose Ramirez, Framber Valdez, Albert Pujols… on ne va pas refaire la liste… Une petite ile caribéenne où le baseball est roi, où le baseball est passion, où le baseball est religion. Et pourtant, à l’aube des fifties, le baseball dominicain n’existe pas au pays de l’Oncle Sam.
A l’instar des afro-américains et des autres latinos, les joueurs dominicains ne sont pas les bienvenus dans un championnat qui démarre seulement son chemin vers la fin de la ségrégation. C’est à Brooklyn, en 1947, que Jackie Robinson brise la barrière de la couleur sous l’uniforme des Dodgers. C’est à Pittsburgh, en 1955, que Roberto Clemente devient le premier Latino noir à évoluer en MLB avec les Pirates. Et c’est chez les New York Giants, en 1956, que le baseball dominicain va lui aussi connaitre sa révolution. Retour sur les parcours de cinq pionniers du baseball dominicain : Ozzie Virgil Sr., Juan Marichal, et les frères Rojas-Alou : Felipe, Matty et Jesús.
« Virgil devrait être aussi important dans notre pays que (Jackie) Robinson est pour les Afro-américains. Je considère son héritage comme aussi important que celui de ceux qui ont établi notre République »
Le 8 juillet 1966, Juan Marichal lançait un complete game pour les San Francisco Giants. Jusque-là rien à signaler : c’était déjà son quatorzième de la saison, à une époque où le rôle des releveurs demeurait marginal, pour une victoire de routine (7-2) face à des Cincinnati Reds en souffrance.
Un match de saison régulière, un match comme les autres, et pourtant, un match qui marquait une petite page d’histoire. Pour la première fois, après quelques rendez-vous manqués de peu au gré des rares apparitions de l’utility-player, Marichal partageait le terrain avec le pionnier du baseball dominicain, Ozzie Virgil. A leurs côtés, dans l’outfield, le cadet de la fratrie Alou, Jesus, qui avait comme ses frères Felipe et Matty fait ses débuts dans le Show avec la franchise de San Francisco.
1947
Virgil, Alou, Marichal. Trois noms qui ont changé à jamais le baseball dominicain, trois noms qui ont marqué, chacun à leur manière, l’histoire du baseball Majeur. Pour Osvaldo “Ozzie” Virgil, tout a commencé en temps d’exil quand son père, pilote de navires dans le port de Monte Cristi, non loin de la frontière avec Haïti, a pris la décision d’émigrer aux Etats-Unis pour y obtenir de meilleures conditions de vie. Après s’être fait une place dans la marine marchande américaine, Henry Virgil, farouche opposant au dictateur Rafael Trujillo arrangea la fuite de sa famille vers les États-Unis vers Porto Rico, d’abord, puis vers New York, et le quartier du Bronx, où la famille Virgil Pichardo s’installe en 1947.
En 1947, toujours, à Ebbets Fields, New York, un jeune infielder noir fait ses débuts pour les Brooklyn Dodgers. Il s’agit bien entendu de Jackie Robinson, et du début de la fin de la Color Line dans le baseball majeur. Mais c’est bien dans le Bronx, au Yankee Stadium, que le jeune Ozzie Virgil va se passionner pour le baseball… et devenir un supporter des Brooklyn Dodgers après avoir assisté a la victoire des Dodgers dans le Match 6 des World Series, pour lequel son père avait pu obtenir des tickets.
En 1947, toujours, dans le petit village de Laguna Verde, à quelques encablures de Monte Cristi, une tragédie touche la famille Marichal. Orphelin de son père, mort dans un accident sept ans plus tôt, le jeune Juan travaille comme ses trois frères et sœurs dans la ferme familiale, et dans un niveau de pauvreté extrême, quand il s’effondre, inconscient, en raisons de graves problèmes digestifs. Il restera dans le coma pendant neuf jours, sans possibilité de traitement autres que les conseils du médecin de campagne : lui donner des bains de vapeur. Contre toute attente, Juan s’en sortira, et continuera à apprendre le jeu de baseball en compagnie de son grand frère, Gonzalo.
Parmi leurs partenaires de jeu sur les terrains, au temps de l’adolescence, on rencontre déjà les frères Rojas : Felipe, Matteo et Jesús qui seront plus tard connus aux Etats-Unis sous le nom de leur mère, Alou. Marichal comme les Alou vont grandir ensemble dans le baseball dominicain, rêvant tout haut de MLB… un rêve aussi magnifique qu’impossible pour eux les latinos, afro-américains, dominicains, même si la color line commence à tomber un peu partout dans le baseball majeur.
1953
Dans le Bronx, Ozzie Virgil continue son éducation sans montrer une aptitude démesurée pour le baseball ou tout autre sport, jouant le week-end avec des équipes caribéennes avant de s’engager dans l’armée américaine en 1950. Il reste en service pendant deux ans, jusqu’en 1952, avant de retourner dans le Bronx et de faire la rencontre qui va changer sa vie, quand un recruteur du nom de Georges Mack le détecte. Il lui propose un contrat de $300 dans l’organisation des New-York Giants, pour la saison 1953 : l’histoire est en marche.
Pour Juan Marichal aussi, le futur passe par l’armée en cette même année 1953. C’est le fils du dictateur Trujillo qui le remarque lors d’un match à Monte Cristi, et « l’invite » à rejoindre l’armée de l’air dominicaine et son équipe de baseball. Une invitation, vous l’aurez compris, que le jeune pitcher pouvait difficilement refuser, à moins d’avoir un plan d’exil bien ficelé : le plan de Marichal passe entièrement par le baseball professionnel, sur l’ile dominicaine en rêvant plus grand.
Felipe Alou, quant à lui, brille académiquement et s’affirme comme l’un des meilleurs espoirs de l’athlétisme dominicain tout en continuant de pratiquer le baseball à un niveau remarquable. C’est ce double talent qui lui vaut une éclosion inattendue en 1955. Sélectionné avec la République Dominicaine d’athlé pour les Jeux Panaméricains, il est déplacé à la dernière minute vers l’équipe de baseball : il frappera quatre hits lors de la finale pour offrir la médaille d’or à son pays. Rapidement sollicité par le baseball Majeur, il acceptera une offre des New-York Giants formulée par l’entraineur de l’Université de San Domingo, Horacio Martinez, également scout pour la franchise.
« C’était difficile d’être ignoré à la fois par les blancs et par les Africains-Américains, qui ne nous considéraient pas, nous les Latinos, comme des noirs.»
1956-1958
Aux Etats-Unis, Ozzie Virgil continue sa lente ascension vers les Ligues Majeures, se confronte au racisme et à la ségrégation, progresse offensivement pour compléter sa redoutable efficacité défensive. Après une saison en Triple A à Minneapolis, arrive la récompense suprêmes : Ozzie, l’enfant du Bronx, le fan des Dodgers fait ses débuts au Polo Grounds sous l’uniforme des New-York Giants. Il devient le premier joueur dominicain de l’histoire des Major Leagues, et ouvre la voie à ses jeunes compatriotes.
Il sera tradé deux ans plus tard aux Detroit Tigers, alors le seul club de MLB avec les Boston Red Sox à ne pas avoir intégré les joueurs afro-américains. Et une fois encore, un peu contre son gré, Ozzie va écrire l’histoire dans un contexte chargé : la communauté afro-américaine de Detroit est alors en conflit avec le club, et des menaces de boycott du stade se font de plus en plus pressantes lorsque Virgil, officiellement rappelé pour couvrir les contre-performances et blessures des autres troisième bases du club, fait ses débuts pour les Tigers, le 6 juin 1958. Il décrira plus tard toute la complexité de son expérience : « Malheureusement, la plupart des gens de Detroit ne m’ont pas accepté comme un joueur noir. Ils disaient que j’étais Dominicain, et voulaient l’un des leurs (…) C’était difficile d’être ignoré à la fois par les blancs et par les Africains-Américains, qui ne nous considéraient pas, nous les Latinos, comme des noirs. »
Deux jours plus tard, le 8 juin 1958, Felipe Alou rentre à son tour dans le show, faisant ses débuts au Seals Stadium pour les Giants, désormais installés à San Francisco. Il gagne ses galons petit à petit, s’imposant comme un titulaire en 1961 et obtenant sa première sélection au All Star Game en 1962. Il est rejoint par ses deux frères Matty, en 1960, et Jesús en 1963. Ils composeront, en quelques rares occasions, l’intégralité de l’outfield des Giants. Une situation unique dans l’histoire des Ligues Majeures.
1960
Et Juan Marichal ? lui aussi est en route pour le show. Après avoir signé pour les Giants en 1957 (encore sur les conseils d’Horacio Martinez) et passé l’hiver 1957-1958 avec l’équipe de Leones del Escogido, il débute sa carrière dans les Minor Leagues en 1958 et, en 1960, il fait ses débuts en MLB pour les Giants. S’il n’est pas le premier pitcher dominicain à atteindre les Big Leagues, le lanceur des Washington Senators Rudy Hernandez l’a devancé de deux semaines, il est le premier à y laisser une impression. Et quelle impression : pour son baptême du feu, Juan Marichal s’offre un shutout des Philadelphia Phillies avec un seul hit et 12 strikeouts. La légende est en marche et elle n’est pas prête de s’arrêter : Marichal comptabilisera plus de complete sames (244) que de victoires en carrière (243, un record dominicain qui ne sera battu qu’en 2018 par Bartolo Colon ), 52 d’entre eux se terminant par un blanchissage.
Surtout, Marichal, avec son inimitable technique de lancer, un pied au contact des étoiles et l’autre fermement ancré au sol, donne cette impression d’élégance et de facilité sur le monticule. un geste souple et soudain, mais pourtant sans heurt. Un geste d’assassin magnifique accompagné d’un sourire permanent, qui arracheront ce commentaire au receveur quatre fois All-Star des Phillies, Gus Triandos : “Ce que je déteste chez ce f.d.p, c’est que tout semble trop facile pour lui. C’est une chose de ne pas réussir à frapper Sandy Koufax, ou Don Drysdale ou Jim Maloney ; au moins, tu peux les regarder et voir la tension musculaire dans leur cou. Ils ont l’air de travailler, ils ont l’air inquiets. Marichal, il se contente de se tenir debout et de te sourire. »

1966
Et nous revoilà en 1966, au Candlestick Park de San Francisco. Felipe Alou a filé chez les Braves, ou il donne la réplique au légendaire Hank Aaron. Matty Alou et Many Motta, un autre dominicain et ami d’enfance des Alou, se partagent le job de Champ centre chez les Pirates de Willie Stargell et Roberto Clemente ; et Juan Marichal foule la pelouse en compagnie de Jesus Alou et Ozzie Virgil. La MLB a vu une vingtaine de joueurs dominicains faire leurs débuts avec plus ou moins de succès. Et Juan Marichal écrit sa légende, celle du premier Hall of Famer dominicain de l’histoire des Majors.
Avec un bilan de 25-6, un ERA de 2.23, 307.1 manches lancées (!) et le meilleur WHIP des Majors (0.859), il terminera sixième au classement du MVP de National League mais n’aura aucune chance pour le Cy Young, le légendaire Sandy Koufax le devançant – et largement – dans les trois premières catégories. Dans ce top 10 du MVP de NL, on notera également la présence de Felipe (5e) et Matty (9e) Alou.
Juan Marichal terminera avec 10 participations au All Star Game, et trois top 10 au MVP, il sera le premier Dominicain à entrer au Hall of Fame, lors de sa troisième année d’éligibilité en 1983. Felipe Alou, trois fois All Star, deviendra le premier manager dominican en MLB, en 1992 avec les Montreal Expos. Il sera nommé manager de l’année en 1994. Matty Alou sera 2x All Star et gagnera les World Series 1972 avec les Cardinals, suivi par son frère Jesús en 1973 et 1974 avec les Athletics. Les enfants de Felipe, Moisés Alou (6 fois All-Star et Champion en 1997 avec les Marlins) et Luis Rojas (Manager des Mets en 2020-21) passeront eux aussi par les Ligues Majeures.
Quant a Ozzie Virgil Sr., si sa carrière de Major Leaguer fut correcte mais résolument modeste, il fut également un coach reconnu, d’abord chez les Giants puis, en compagnie du Manager Hall of Famer Dick Williams chez les Expos, les Padres et les Mariners. En 2006, 50 ans après ses débuts avec les Giants, le nouvel aéroport de tourisme de sa ville de Monte Cristi est baptisé en son honneur, Aeropuerto Osvaldo Virgil. Il fut suivi par son fils Ozzie Virgil Jr., receveur deux fois All Star dans les années 80, notamment pour les Atlanta Braves. Un enfant du baseball qui est né, clin d’œil de l’histoire, en 1956, l’année où tout a commencé pour le baseball dominicain dans les Ligues Majeures.
Une réflexion sur “WBC 2023 – République Dominicaine: Virgil, Alou, Marichal, les pionniers du Baseball Dominicain”