Du 8 au 21 mars prochains, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO. Prenons cette fois-ci la direction de l’Asie afin de suivre les tribulations d’un jeu américain en Chine.

S’il est un pays dont la connexion avec le baseball n’a rien d’évident, c’est bien la Chine. Avec sa culture multi-millénaire, puis des décennies de communisme et de guerre diplomatique et économique avec les Etats-Unis, on pourrait penser que le baseball est un sport étranger à l’ancien Empire du Milieu. Rien n’est plus faux car le baseball a une longue, riche, intrigante et mouvementée histoire en Chine, au gré des guerres et des révolutions qui émaillèrent l’histoire de cette vieille nation au cours des 160 ans dernières années. Et oui, le baseball chinois fête, en cette année 2023, ces 160 années d’existence, ce qui en fait, avec Cuba et peut-être le Mexique, l’un des tous premiers pays non anglophones à avoir développé le grand jeu de l’Amérique, 10 ans avant son voisin japonais.
Comme souvent, aux origines, on trouve un américain. Ici, il s’agit d’un missionnaire médical du nom de Henry William Boone qui fonde, en 1863, le Shanghai Baseball Club. Les Etats-Unis, comme de nombreuses nations occidentales, sont présentes en Chine depuis la fin des années 1830 et le début des guerres de l’opium. Ces guerres opposent principalement la Chine de la dynastie Qing et la Grande-Bretagne entre 1839 et 1860 mais les Français et les Américains participent à la dernière aux côtés de Britanniques. Les défaites successives face aux nations occidentales, la Russie et le Japon ainsi que le déclin de la dynastie Qing permettent aux nations étrangères de s’installer en colons dans les grandes villes portuaires, comme Shanghai, voire de récupérer des territoires, comme Hong-Kong avec les Britanniques. Les Américains sécurisent leurs positions avec le traité sino-américain de Wangxia en 1844. Il n’apparaît donc pas étonnant que des expatriés américains importent si tôt leur nouveau jeu national en Chine. Évidemment, les premiers joueurs du club de Boone sont américains mais, très vite, des chinois les rejoignent pour découvrir le jeu.
Sous l’action des missionnaires religieux et écoles occidentales implantées en Chine, le baseball grandit les décennies suivantes malgré une période très mouvementée pour l’Empire et les délégations étrangères. En interne, le déclin des Qing est marqué par des révoltes sanglantes et des catastrophes meurtrières. Dans le même temps, la Chine perd les guerres successives face aux nations étrangères et se voit imposer des traités commerciaux qui lui sont défavorables politiquement et économiquement. La peur de voir jusqu’à la culture chinoise disparaître sous l’influence des colons mènera à la célèbre révolte des Boxers de 1899 à 1901. Pourtant, le baseball se développe dans ce contexte qui pourrait lui être négatif. Ce qui peut se comprendre car, si les pays occidentaux sont des ennemis colonisateurs, ils deviennent aussi des modèles. Ainsi, sous le règne de l’impitoyable impératrice douairière Cixi, un mouvement nommé « auto-renforcement » va piocher dans les nations occidentales le savoir et les outils qui doivent permettre à la Chine de se mettre à niveau et ainsi reprendre la main sur son propre empire. Dans cet objectif, trente étudiants sont envoyés aux États-Unis en 1872 pour en apprendre plus sur le baseball et ils reviennent conquis par le jeu et ce qu’il peut apporter, créant, par la même occasion, le Orientals Base Ball Club.
Si le baseball a pu se développer, c’est bien entendu parce que les Américains ont oeuvré à son ancrage, comme avec la YMCA et la St John University à Shangai qui permettent, le 2 juin 1905, ce qui est considéré comme le premier vrai match entre deux équipes chinoises. Mais ce serait oublié le travail des Chinois eux-mêmes pour s’approprier le jeu américain et même y exceller, comme les étudiants de la Mission Éducative Chinoise qui, en 1881, battent le Oakland Baseball Club à San Francisco ou encore le Chinese Overseas Baseball Club, club de chinois créé à Hawaï, où ils remportent un match exhibition face aux prestigieux New York Giants en 1911.

Entre les années 1890 et 1910, le baseball scolaire se développe, aboutissant à la création du premier championnat en 1914, sous l’impulsion d’un missionnaire américain Willard L. Nash, directeur sportif de la Suzhou University. C’est également à cette époque que les Chinois participent à leur première compétition internationale lors de l’édition inaugurale des Far East Games en 1913 aux Philippines. Cette compétition se veut être des Jeux Olympiques de l’extrême-Orient. L’idée vient de l’administration américaine aux Philippines, pays sous le contrôle des Etats-Unis depuis la victoire de ces derniers lors de la guerre hispano-américaine de 1898. Naturellement, le baseball fait partie des disciplines présentes et la Chine se classe 3ème d’un tournoi remporté par le Japon. La deuxième édition, deux ans plus tard, se déroule à Shanghai et la Chine s’y classe à la seconde place derrière les Philippines.
Cette période représente une première époque dorée pour le baseball chinois alors que le pays lui vit un changement radical. En 1911, sous l’impulsion d’un mouvement républicain rassemblant fonctionnaires, étudiants et miltaires, éclate la révolution Xinhai qui va mener à l’abdication du dernier empereur de Chine en février 1912. Parmi les dirigeants révolutionnaires, Sun Yat-sen est celui qui théorisé les idées révolutionnaires qui ont amené l’idée de créer une République chinoise. Naturellement, c’est à lui que l’on pense pour devenir le premier président de la République de Chine, ce qu’il devient le 29 décembre 1911. Il ne le restera que 2 mois et 10 jours avant de perdre le pouvoir au profit du chef de guerre Yuan Shikai. Pourquoi évoquer Sun Yat-sen ? Parce qu’il était un familier du baseball, sport auquel il avait été initié à Hawaii en 1879 alors qu’il était adolescent. L’année même de la révolution qui le mettra à la tête de la jeune République, il fonde, avec son parti politique, une association de baseball à Changsha, capitale de la province du Hunan. La discipline n’est pas choisie par hasard car l’association, qui sert de couverture aux activités politiques de Sun Yat-sen, permet aussi aux membres à apprendre à lancer afin de manier au mieux les grenades à main.
Les décennies suivantes sont les témoins d’une Chine à feu et à sang : coups d’État, guerre civile, invasion japonaise, guerre mondiale. Rien n’est épargné à l’ancien Empire du Milieu. Mais le baseball continue son chemin à travers les aléas de l’Histoire. Comme une évidence, les japonais vont apporter leur propre baseball en terre chinoise. Une autre nation va amener son baseball en Chine, c’est l’Amérique. Mais le baseball qu’elle amène n’est pas celui des missionnaires et autres expatriés, mais celui de la Major League Baseball. En 1934, la mythique tournée au Japon des pros de la MLB, comportant Babe Ruth, Lou Gehrig, Jimmie Foxx, Charlie Gehringer, Lefty Gomez et le futur espion Moe Berg, fera un détour en Chine où les All-American défieront les Shangai Pandas… ou inversement.
Néanmoins, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour voir le baseball connaître une deuxième période dorée. Et, étonnamment, c’est au sein de l’Armée Rouge chinoise, ou Armée Populaire de Libération, que survient le renouveau du baseball chinois. Après la défaite du Japon, la Chine se retrouve de nouveau en pleine guerre civile entre les forces communistes de Mao Zedong et les nationalistes de Tchang Kaï-chek, entre 1947 et 1949, année de la victoire définitive des Maoïstes, les forces nationalistes du Kuomintang se repliant sur Taïwan. Durant ces périodes de guerres successives, le baseball devient le sport non-officiel de l’armée sous l’impulsion du maréchal He Long. Parmi les officiers à l’origine de l’Armée Rouge, Mao lui confie l’organisation de l’armée. He Long est notamment connu pour avoir formé le premier régiment de l’Armée Populaire de Libération, qui était équipé, selon la légende, de couteaux à éplucher. L’objectif, tuer l’ennemi avec son couteau à éplucher et lui prendre son fusil. Mais son autre apport à l’armée fut le baseball. Il devînt un admirateur du jeu, voyant en lui l’activité physique idéale pour créer de bons soldats.

Évidemment, le lancer du baseball, comme l’avait déjà remarqué Sun Yat-sen, était parfait pour former au jet de grenade, tant dans la puissance de lancer que dans la capacité de courber la trajectoire de la grenade. Après tout, même les Américains s’en étaient aperçus depuis longtemps, créant d’ailleurs une grenade en forme de balle de baseball vers la fin de la guerre, la fameuse Beano T-13. Même les Français eurent l’occasion de le voir durant la Première Guerre Mondiale quand les Américains remportaient des concours de lancer de grenade. D’une manière générale, à l’instar des Américains et des Japonais, le Général Vidal estima que le baseball expliquait parfaitement les performances athlétiques des Doughboys et il ajouta ce sport, en 1918, aux activités sportives de l’armée française. He Long ne pensait pas différemment. Au-delà du lancer de grenade, il voyait dans les courses sur base un excellent moyen de remise en forme et d’apprentissage des attaques à pied, tout comme la frappe permettait de travailler la vision et donc la précision des soldats.
Rapidement, des dizaines de milliers de soldats se mettent à la pratique du baseball. Chaque escouade doit avoir son équipe et le baseball, au-delà d’une utilisation basique d’entraînement militaire, devient un sport chéri par les soldats. Pour faciliter la pratique, He Long promet de meilleurs traitements aux prisonniers de guerre japonais acceptant d’enseigner le baseball et il fait construire une usine spéciale pour la fabrication d’équipements de baseball, bien que la qualité soit loin de ce qui se fait aux États-Unis avec un équipement qui casse vite et des gants de baseball rempli de toile de jute. Malgré tout, la dynamique est là et elle ne s’arrête pas avec la victoire des Maoïstes. Au contraire, He Long peut populariser le baseball à travers l’ensemble de la population chinoise grâce à l’un des ses nouveaux rôles dans l’exécutif chinois, celui de Commissaire National pour le Sport. Symbole de la réussite de son travail, des équipes des trente régions de la République Populaire de Chine participeront aux premiers Jeux Nationaux 1959, refonte des Jeux Nationaux Chinois créés par les Qing en 1910.
Tout semble aller bien pour le baseball chinois. Pourtant, des nuages noirs se présentent à son horizon. Et ces sombres nuages sont ceux de la terrible Révolution Culturelle de Mao. En 1966, Mao souhaite consolider son pouvoir alors qu’il fait l’objet de critiques depuis le meurtrier Grand Bond en avant de 1958, sa politique économique qui mènera la Chine à souffrir de la famine, entraînant la mort de 45 millions de personnes. Afin de rester en haut de la pyramide, Mao agite les étudiants du pays qui, armés du Petit Livre Rouge des citations de Mao, vont procéder à de véritables purges afin de nettoyer le pays des nouveaux capitalistes. He Long et le baseball vont en faire les frais. Le premier, comme de nombreux dirigeants de l’Armée Populaire de Libération, est arrêté. Il meurt en prison en 1969. Quant au baseball, il devient un symbole de la décadence du monde capitaliste et est banni du sport chinois. Par conséquent, la folle répression des Gardes Rouges de la révolution s’attaquent aux coachs de baseball qui sont persécutés et, pour certains, tués, rejoignant les nombreuses victimes de cette purge de masse, dont l’estimation des morts dû à la Révolution Culturelle oscille entre des centaines de milliers et 20 millions. Paradoxalement, le basketball, autre sport d’Amérique du Nord devenu professionnel et actuellement l’un des trois sports préférés (avec le football et le tennis de table) en Chine, sera lui épargné par la purge pour la simple raison que Mao était fan de ce jeu.
La Révolution Culturelle se prolonge jusqu’en 1976 et la mort de Mao mais déjà, dès 1973, elle se retrouve affaiblie par la perte des campagnes, qui ne suivent pas les éléments radicaux de cette révolution, et par les luttes de pouvoir intestines au sein de l’Etat chinois, qui voit Mao perdre sa position de leader. En conséquence, les dernières années sont plus modérées et le bannissement du baseball est levé en 1975. Malheureusement, la dynamique enclenchée par He Long a été brisée et il faudra du temps pour le baseball chinois se reconstruise.

Heureusement, dans cette reconquête de la Chine, le baseball peut compter sur l’un des meilleurs alliés possibles, la Major League Baseball. Un allié surprenant pour un pays communiste mais la Chine Populaire, dirigé désormais par Deng Xiaoping, fait sa mue en 1979. Le nouveau dirigeant propose l’idée « un pays, deux systèmes » afin d’intégrer pleinement la Chine au marché mondial, devenant une économie socialiste de marché. Cette libéralisation de l’économie chinoise, qui va aller grandissante, s’accompagne d’une politique diplomatique plus ouverte au monde, résumée par l’adage « friendship first, competition second ». Néanmoins, comme le rappelle la répression meurtrière des étudiants de la place Tian’anmen en 1989 ou celle du mouvement des parapluies à Hong Kong en 2014, la libéralisation est économique et non politique.
Mais business is business, et l’ouverture de la Chine au monde capitaliste va intéresser les grandes ligues sportives, notamment la MLB et la NBA. Dès 1986, Peter O’Malley, l’historique président des Los Angeles Dodgers, traverse le Pacifique pour établir des relations, faisant construire un Dodger Stadium à Tianjin, non loin de Pékin. Ce premier stade moderne va permettre d’initier une nouvelle dynamique pour le baseball chinois, qui accueille, dès 1988, son premier tournoi international de jeunes. Durant la même décennie, l’équipe nationale fait son retour, participant à son premier championnat asiatique de baseball, terminant 5ème… sur 5. Il lui faudra attendre 2005 pour gagner sa première et unique médaille, le bronze. Entre-temps, elle participe à ses premières coupes du monde, en 1998 et 2003.
Dans cette édition de 2003, qui se joue à Cuba, elle y remporte sa seule victoire contre l’équipe de France, sur le score serré de 6 à 5 en 11 manches, lui permettant de terminer à l’avant-dernière place, devant les Bleus. Parmi les Bleus qui se trouvent sur le terrain, on y trouve celui qui sera Batting Champion de la compétition, Jamel Boutagra, le manager actuel des Huskies de Rouen Boris Marche, ou encore le consultant MLB de beIN Sports, Christopher Goniot. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que les Chinois affrontent des Français au baseball puisque l’équipe nationale affronta en 1984, à la Cipale, au cœur du bois de Vincennes, le Paris Université Club, devant 712 spectateurs payants. Les Pucistes s’inclineront en 10ème manche sur le score de 11 à 15.

Au tournant des années 2000, le sport chinois se lance dans le professionalisme. Dès 1995 est créée la Chinese Basketball Association, rejointe par la National Basketball League en 2004, année où apparaît également la Chinese Football Association Super League. La Super League de Tennis de Table suivra quelques années plus tard, après les Jeux Olympiques de 2008 à Pékin. Car cette période coïncide avec l’obtention des Jeux en 2001 alors que la Chine ne cesse de gravir le podium des médailles, prenant finalement la 1ère place à ses propres Jeux. Évidemment, le baseball n’est pas en reste puisque la Chinese Baseball League est fondée en 2002. Cependant, la vie de cette ligue professionnelle, se déroulant sur une courte période, généralement entre avril et juin, est chaotique, malgré un accord avec la Nippon Pro Baseball en 2007 afin d’aider à son développement. Elle voit même le championnat 2012 annulé par manque d’argent. Elle revient à la vie en 2014 mais pour cinq saisons avant de disparaître définitivement en 2018. Le MLB va tenter de sauver le baseball professionnel chinois, quand un accord est trouvé en 2019 entre la grande ligue américaine et la fédération chinoise pour la création d’une nouvelle ligue,. Malheureusement, la Chinese National Baseball League ne survit qu’une saison, en raison de la pandémie du Covid.
Néanmoins, cela démontre la présence de la MLB qui travaille au développement du baseball en Chine en créant, dès 2007, des bureaux dans le pays et des programmes envers les jeunes. Les 15 et 16 mars 2008, dans le stade créé pour accueillir les compétitions olympiques de baseball, se tiennent les China MLB Series, matchs de spring training entre les Los Angeles Dodgers et les San Diego Padres. Dans le même principe, la Chine est invitée par la MLB à participer à la première World Baseball Classic en 2006 ainsi qu’aux éditions suivantes, tout en participant à ses seuls Jeux Olympiques en 2008 pour une dernière place. Après avoir été deux fois à la 18ème place mondiale, l’équipe nationale a depuis reculé à la 30ème place, passée notamment par la France. Loin d’égaler ses puissants voisins du Japon, de Taïwan et de Corée du Sud, qui se positionnent respectivement au premier, second et quatrième rang mondial, la Chine peut toujours compter sur des dizaines de milliers de pratiquants et des infrastructures de premier ordre pour rebondir. Fort d’une riche histoire et d’un potentiel autant économique que démographique, le baseball chinois, qui attend toujours son premier Major Leaguer, garde de nombreux atouts. A lui de transformer l’essai.

Nota Bene : Vous aurez remarqué que ne sont pas évoqués, dans cette histoire du baseball chinois, les cas de Taïwan et Hong Kong. Cela tient au fait que ces deux territoires ont eu leur propre histoire avec le baseball puisqu’ils ont été perdus par la Chine suite à des guerres contre la Grande-Bretagne (Hong-Kong) et le Japon (Taïwan) alors que le baseball faisait ses premiers pas en Chine. Sous domination britannique, Hong Kong verra son histoire débuter avec le baseball dans les années 1970 tandis que pour Taïwan, son histoire est liée au baseball japonais. Son histoire sera détaillée prochainement dans le cadre de l’article consacré à ce pays.