WBC 2023 – Puerto Rico : Hiram Bithorn, pionnier talentueux au destin tragique

Du 8 au 21 mars prochains, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO. Nouveau passage dans les Caraïbes et nouvelle page d’histoire avec le premier joueur MLB venu de Puerto Rico, Hiram Bithorn, pionnier au destin tragique.

La motion caractéristique d’Hiram Bithorn, le premier portoricain à avoir joué en MLB

Quand on parle du baseball à Puerto Rico, il est un nom qui vient immédiatement en tête. Il illumine votre esprit tant ce nom est celui d’une des plus grandes légendes de l’histoire du baseball et du sport américain, au-delà de la seule MLB. Ce nom est associé à la fois au talent et la performance mais aussi à l’Histoire et à ses grands bouleversements, à ceux et celles qui ont porté des causes plus grandes que leur personne, et même si cette personne était déjà une célébrité dans son domaine. Et qui en plus, celui dont nous parlons, et dont vous avez probablement déjà deviné le nom, eut une fin aussi tragique que lumineuse, donnant encore plus de rayonnement à sa légende et à son héritage. Celui qui fut l’une des plus grandes voix du baseball en faveur des opprimés et un talent hors-norme au service des Pirates de Pittsburgh, c’est évidemment Roberto Clemente. Mais pour que le célèbre numéro 21 puisse écrire sa légende en MLB, il fallut que deux hommes brisent les murs. Jackie Robinson pour faire tomber la color line, en 1947, et Hiram Bithorn, en 1942, pour permettre aux portoricains de faire leur premier pas en Ligues Majeures, toujours dans un contexte de racisme envers les Latino-Américains. Un pionnier au talent précoce mais qui, comme Clemente, connut une fin tragique.

Puerto Rico a découvert le baseball comme nombre de pays, y compris de la région Caraïbes, vers la fin du 19ème siècle. Ce sont des cubains et portoricains revenus des États-Unis qui introduisent le jeu sur l’île, en formant les deux premiers clubs en 1897, soit la même année où Puerto Rico signe une charte d’autonomie avec le colon espagnol, après des décennies de luttes et revendications des partis indépendantistes et autonomistes. Néanmoins, contrairement à Cuba, l’arrivée du baseball ne semble pas être un symbole de cette volonté d’indépendance vis à vis de l’Espagne. D’ailleurs, sur cette île constituée majoritairement d’anciens esclaves, d’ouvriers du tabac et de travailleurs agricoles, notamment autour de la culture de la canne à sucre, le baseball n’est pas accueilli avec beaucoup d’enthousiasme que ce soit par la presse locale ou les travailleurs qui y voient un jeu peu viril. Ce qui résonne ironiquement avec l’appréciation que se feront d’autres nations qui verront, selon les pays, le baseball comme un jeu violent, vulgaire (voir notre article sur l’Italie et Giulio Glorioso) ou encore capable de produire des soldats athlétiques (comme ce fut le cas en France en 1917-1918). Sans compter sur les Japonais qui voyaient dans le baseball le digne représentant du Budo appliqué aux sports collectifs.

Malgré des à-priori négatifs, les portoricains vont adopter le baseball bien que le départ fut compliqué. Le premier match a lieu début janvier 1898 entre le Borinquen, club qui reprend le nom que donnent les locaux à l’île, et le Almendares Baseball Club, nommé ainsi en référence à l’un des grands clubs de Cuba de l’époque. Il se tient au vélodrome de la capitale, San Juan, et ne dure que trois manches avant que la pluie n’interrompt la partie que les spectateurs avaient pu voir pour 40 cents. Il faudra attendre trois semaines pour voir les deux clubs remettre cela et arriver enfin au bout des neuf manches.

Une légende parmi les légendes : Roberto Clemente.

L’année 1898 n’est pas simplement marquée par les débuts officiels du baseball portoricain. C’est aussi l’année de la guerre hispano-américaine, conflit que va vivre directement Puerto Rico puisque l’armée américaine y débarque en juillet. Quand la guerre est remportée par les Etats-Unis, Puerto Rico devient territoire américain et les soldats états-uniens obtiennent le droit de jouer au baseball contre des équipes locales. Dans cette ère d’influence américaine, qui compte notamment Cuba, la République Dominicaine, Puerto Rico et des pays d’Amérique Centrale, le baseball se développe vers le professionnalisme. Ce professionnalisme s’observe sur le plan local et international. Au niveau international, des joueurs portoricains intègrent des championnats professionnels comme les Negro Leagues. C’est le cas des stars de l’île à l’époque, Perucho Cepeda, père du Hall of Famer Orlando Cepeda, ou Pancho Coimbre. Sur le plan national, une ligue hivernale professionnelle est créée en 1938, la Liga de Béisbol Profesional de Puerto Rico, aujourd’hui Liga de Béisbol Profesional Roberto Clemente.

Hiram Bithorn est l’un des joueurs de cette première saison de la ligue portoricaine, à l’âge de 22 ans. Mais il a déjà quelques faits d’arme à son palmarès. Né en 1916 à San Juan, Bithorn excelle très tôt dans le sport, malgré la perte de son gros orteil du pied droit dans un accident de chemin de fer. Son premier exploit intervient à l’âge de 16 ans quand il est lanceur dans un match opposant une équipe locale à une autre venue des Etats-Unis. Les portoricains s’imposent 10 à 1 malgré la présence, côté US, d’un certain Johnny Mize, futur membre du Hall of Fame. Son talent s’exporte également dans d’autres sports puisqu’il aide l’équipe nationale à obtenir une médaille d’argent au volleyball et une de bronze en basketball aux Central America and Carribean Games 1935. Mais c’est l’année suivante que sa vie va entrer dans une nouvelle dimension et lui ouvrir les portes du baseball professionnel américain.

1936. L’équipe des Negro Leagues des Newark Eagles, de Abe et Effa Manley, débarque sur l’île pour un match exhibition face aux Reds de Cincinnati, qui effectuent leur spring training à Puerto Rico. Les Reds sont d’ailleurs les premiers à effectuer un camp d’entraînement du printemps à l’extérieur des frontières américaines, même si Puerto Rico est sous administration -domination- américaine. Les matchs entre les équipes de Negro Leagues et les équipes MLB sont également plutôt rares à l’époque de la ségrégation. Les joueurs de Ligues Noires avaient plutôt l’occasion de jouer contre les Blancs de la MLB lors de rencontres All-Star dans le cadre de tournées, comme celle organisée par Bob Feller en compagnie de Satchel Paige en 1946. Avant de rencontrer les Reds, les Eagles jouent quelques matchs de préparation face à des équipes locales, et ils font face notamment à Hiram Bithorn, qui les impressionne.

Les Newark Eagles d’Abe et Effa Manley sont une équipe iconique des Negro Leagues

Et c’est naturellement à lui qu’ils pensent quand le lanceur star de l’équipe, et l’un des plus grands de l’histoire des Negro Leagues, Leon Day, se retrouve incapable de jouer à cause d’une appendicite. Avec un effectif un peu court, dénicher un tel lanceur localement est une aubaine. Cependant, le jeune lanceur de 20 ans ne va pas seulement dépanner en relève. C’est lui qui va démarrer sur le monticule face aux Reds. Sa première vraie expérience dans le baseball professionnel a donc lieu au sein d’une équipe de Negro League face à une équipe de Major League (quoique aujourd’hui, les Negro Leagues sont désormais aussi des Major Leagues). Il y a pire comme début.

Le début est d’ailleurs prometteur. Sur les sept premières manches, bien conseillé par le receveur Frank Duncan qui perfectionne sa technique de lancer, il concède un seul run. En huitième, les affaires se compliquent quand il en encaisse trois, nécessitant une relève. Mais pour un premier match à ce niveau de jeu, à 20 ans, c’est tout de même une réussite. De quoi tenter sa chance aux US. C’est ce que pense Ted Norbert après cette performance. Norbert est un joueur et vrai baroudeur de ligues mineures puisqu’il va y passer 19 saisons, sans jamais atteindre les Big Leagues. C’est aussi l’un des quatre joueurs tradés par les New York Yankees, fin 1934, pour récupérer un certain prospect de grand talent, Joe DiMaggio, alors joueur des San Francisco Seals. Si Norbert peut voir Bithorn lancer, c’est que les Seals sont aussi à Puerto Rico pour le spring training, étant l’un des adversaires des Reds dans cette préparation. Norbert frappera d’ailleurs un homerun contre eux.

Avec ses contacts aux Yankees, Norbert dégote pour le lanceur portoricain une place dans une de leurs équipes de ligues mineures, les Norfolk Tars, qui évoluent dans la Piedmont League, une ligue de niveau B selon la classification de l’époque, ce qui signifie que les joueurs de la ligue ont des contrats protégés par le club MLB et que certains sont sur une liste dite protégée. Bithorn est le 11ème joueur de Puerto Rico à venir dans une ligue professionnelle aux Etats-Unis mais c’est le premier dans le système MLB. Les dix premiers évoluèrent, entre 1926 et 1941, uniquement en Negro Leagues. Heureusement pour lui, contrairement à ses compatriotes et malgré sa peau mate, il est assez blanc pour l’Amérique ségrégationniste, profitant d’un nom de famille qui ne fait pas hispanique. De plus, ses origines à la fois espagnoles, danoises, écossaises et allemandes sont un gage racial qui va satisfaire aux exigences du racisme ambiant au sein du système MLB, bien que, plus tard, cela ne va pas suffire à le protéger de ce racisme.

Hiram Bithorn

Mais pour le moment, il peut exploiter son talent avec Norfolk en 1936 puis avec les Triplets de Binghamton en Class A au cours de la saison 1947. Il termine 1936 avec une fiche positive de 16-9 mais un ERA de 4.22, puis la saison 1937, en cumulé des deux ligues, se finit avec une fiche de 17-9 et 3.99 d’ERA. Le passage aux Triplets a été un peu compliqué mais Bithorn a des atouts. Au-delà sa motion très caractéristique, où il lève très haut sa jambe, il épate par la vitesse de sa balle et sa puissance, qu’il garde sous contrôle, ainsi que par son endurance. Une anecdote de son passage à Norfolk illustre cette endurance. Lors d’un double-header, il assure le départ sur le premier match et remporte la victoire. Naturellement, pour le second match, sans se changer, il va s’asseoir dans les tribunes pour profiter du spectacle. Sauf que les deux équipes n’arrivent pas à se départager. Le match s’éternise dans la nuit sans livrer de vainqueur. Le problème est que Norfolk finit par ne plus avoir de lanceur. Enfin, si, il en reste un. En tribune. Et voilà Bithorn, toujours en tenue, retournant sur le terrain jusqu’en 15ème manche, le temps de voir Norfolk remporter une deuxième victoire, minuit passé, comme le portoricain, qui réalise ainsi l’exploit de gagner deux matchs d’affilée en deux jours consécutifs sans sortir du stade ni se changer.

Quant à sa balle rapide et puissante, pouvant aller de 90 à 95 miles à l’heure (de 144 à 152 km/h), la légende dit que cela conduisit à remplacer un receveur car ses lancers lui blessèrent la main. Cette balle rapide, il va l’utiliser en ligues mineures jusqu’en 1941, passant les trois dernières années en Pacific Coast League. Ligue de niveau AA, elle est néanmoins considérée extrêmement compétitive. Elle permet à la côte Ouest de goûter un peu au meilleur du baseball, qui se déroule essentiellement à l’Est du pays. Dans cette ligue, Bithorn va notamment jouer deux saisons aux Hollywood Stars. Le jeune portoricain se plaît à Los Angeles où, selon sa famille, il aurait eu une liaison avec Ida Lupino. Britannique aux lointaines origines italiennes, issue d’une longue famille d’artistes, l’actrice débarque à Hollywood en 1935, jouant avec les plus grands et pour les plus grands. Au milieu des années 1940, elle décide de devenir réalisatrice et de raconter ses propres histoires. Une femme réalisatrice est déjà quelque chose d’exceptionnel mais Lupino sera aussi une précurseure, abordant des thématiques tabous à l’époque comme le viol et d’autres autour de la condition des femmes. Il n’existe pas d’élément prouvant cette liaison mais, comme le fait remarquer la biographie de Hiram Bithorn sur le site de la Society for American Baseball Research, dans le film de 1943 “Hard Way” où il tient le rôle titre, un plan montre le nom d’un des personnages sur un titre de journal. Mais au lieu d’y lire le bon nom, Laura Britton, on y lit Laura Bithorn. Un clin d’oeil de Lupino pour son ami ?

Ida Lupino, pionnière du cinéma. Elle devint réalisatrice à une époque où les femmes étaient absentes derrière les caméras. A son inscription à la guilde des réalisateurs, elle était la seule femme sur plus d’un millier d’adhérents.

Pour Bithorn, la Cité des Anges n’est qu’une étape vers le Graal, les Ligues Majeures. Une quête qui va bientôt arriver à son terme. Il faut dire que le lanceur s’en donne les moyens. Même s’il est reconnu comme un vrai petit plaisantin, c’est également un énorme bosseur. A peine la saison en ligues mineures se termine, qu’il prend le chemin de Puerto Rico pour rejoindre la ligue professionnelle locale créée en 1938. Lors de cette première saison, il évolue avec les Senadores de San Juan dont il va devenir le manager à 22 ans, à peine deux semaines après le début du championnat, suite au licenciement du précédent manager, faisant de lui, encore aujourd’hui, le plus jeune manager de l’histoire de la ligue.

Tous ces efforts finissent par payer. Tropical Hurricane, surnom qu’il gagne en PCL, est signé par les Chicago Cubs en 1942. Le 15 avril 1942, cinq ans jour pour jour avant le premier match de Jackie Robinson en Ligues Majeures, Hiram Bithorn devient le premier portoricain à jouer en MLB. Même s’il n’a pas subi le même niveau de racisme que Jackie et les premiers joueurs noirs dans les Big Leagues, il n’en reste pas moins que Bithorn fut aussi maltraité pour ses origines et les doutes autour de celles-ci.

Les joueurs latins-américains étaient très rares en MLB. Si le premier joueur professionnel, le cubain Estevan Enrique Bellan joua, de 1871 à 1873, en National Association, la ligue pro qui précéda la National League, il fallut attendre 1902 pour voir le premier joueur latin-américain en MLB avec le colombien Lou Castro aux Philadelphia Athletics, en sachant que Castro avait émigré aux Etats-Unis à l’âge de 8 ans. Quelques cubains commencèrent à arriver en MLB au début du 20ème siècle comme Chick Pedroes en 1902 ou Armando Marsans et Rafael Palmeida, qui débutèrent ensemble le 4 juillet 1911 avec les Reds de Cincinnati. Mais la première grande star latin-américaine fut, sans consteste, Adolfo Luque, lanceur cubain, qui officia de 1914 à 1935 dans les Majeures où il fut le premier cubain à gagner des World Series et à terminer leader en wins, en 1923, encore chez les Reds de Cincinnati. Néanmoins, les années 1930 et 1940 voient des joueurs issus des pays d’Amérique Latine arriver dans la grande ligue états-unienne comme le mexicain Mel Almada en 1933 ou le vénézuelien Alex Carrasquel en 1939. Mais cela se fait encore au compte-goutte. Aux préjugés sur les étrangers et les latin-américains en particulier, s’ajoutent pour ces derniers la peur de faire entrer dans les Majeures un joueur noir. Ce joueur cubain ou portoricain, avec sa peau mate, est-il blanc, noir ou métisse ?

C’est ce type de doutes qui s’abattirent sur Bithorn forçant les Cubs à publier les informations sur ses origines européennes pour démontrer qu’il était aussi Blanc que les Blancs qui doutaient qu’il soit Blanc. Néanmoins, cela ne l’empêcha pas de subir un harcèlement raciste par les fans, les joueurs et les managers adverses, comme quand, à l’été 1943, il fut insulté durant la partie par le manager des Giants, Leo Durocher. Après plusieurs manches de ce traitement, Bithorn, énervé et indigné, lança la balle vers Durocher, l’obligeant à se mettre à genoux pour éviter le projectile. Évidemment, ce ne fut pas du goût de Durocher, du président de la National League, Ford Frick ni du juge Landis, le commissaire du baseball. Bithorn récolta une réprimande et une amende de 25 dollars.

Photo colorisée d’Hiram Bithorn aux Chicago Cubs

Malgré tout, côté sportif, cela se passe plutôt bien dans une équipe très moyenne depuis quatre saisons. Il termine sa première saison MLB avec une fiche négative de 9 victoires pour 14 défaites mais un bon ERA de 3.68, en étant le 3ème lanceur de l’équipe en termes d’innings joués. Mais sa meilleure saison est la suivante, où il finit avec un ERA de 2.60, le meilleur de la rotation, et une fiche de 18-12. Son endurance et son talent lui permettent de lancer sept shutouts (matchs sans concéder de points) en 1943, ce qui est toujours le record pour un lanceur portoricain. Cette saison-là, il mène la ligue en shutouts, devenant le deuxième lanceur latin-américain après Luque à réaliser cette performance. L’année précédente, il réalise un autre accomplissement en compagnie de Chico Hernandez, un cubain arrivé en même temps que lui aux Cubs. Ensemble, ils forment la troisième batterie hispanophone de l’histoire de la MLB.

L’équipe comptait alors un autre hispanophone, un mexicain, Jesse Flores, arrivé lui aussi en 1942. Jimmie Wilson, manager des Cubs, avait interdit aux trois de parler espagnol dans l’équipe mais Hernandez et Bithorn prirent l’habitude de parler espagnol pour échanger des informations durant les matchs, à condition qu’il n’y est pas d’hispanophone dans l’équipe adverse. Le Sporting News appela leur stratagème le Castillan Signal Code.

Alors que cette saison 1943 semblait lancer la carrière de Bithorn en MLB vint un événement qui allait bousculer sa carrière et sa vie : l’appel du drapeau. En tant que portoricain, Bithorn était éligible à la conscription de l’US Navy. Vers la fin de l’année 1943, il doit rejoindre l’armée américaine dans son effort de guerre, comme nombre de Major Leaguers de l’époque. Cependant, il ne sera pas envoyé au combat. Il est stationné sur son île de Puerto Rico, dans une base de l’aviation navale, où il devient le joueur et manager de l’équipe de baseball. Sa période militaire prend fin au 1er septembre 1945 et il rejoint les Cubs pour les dernières semaines de championnat, sans entrer sur le terrain. Son véritable retour s’effectue en 1946. Il ne commence pas la saison en avril en raison d’une blessure à la main qui arrive durant la saison hivernale à Puerto Rico. Rejoignant les Cubs plus tard, il ne lance que dans 26 matchs, souvent en relève, obtenant tout de même une petite fiche positive de 6-5. Mais il n’est déjà plus le même homme. Son bras n’a plus la puissance d’avant, il a pris du poids et sa personnalité a changé depuis son retour de l’armée. Le joueur joyeux et plaisantin est devenu désagréable. Les raisons de ces changements restent un mystère mais, reste que les Cubs voient qu’il n’a plus d’avenir chez eux. Ils l’échangent aux Pirates de Pittsburgh sans qu’il ne joue pour eux. C’est finalement l’autre équipe de Chicago, les White Sox, qui le recrutent mais au bout de deux matchs, il semble évident que le lanceur portoricain n’a plus de bras.

Bithorn tente quand même de rebondir en ligues mineures puis en ligue mexicaine. Il joue quelques matchs ici ou là, notamment quatre parties avec les Hollywood Stars. Quand il ne joue pas, il arbitre. Il manque toute la saison 1948 pour se faire opérer du bras sans que cela ne soit significatif pour sa carrière alors qu’il a dépassé la trentaine. Le Mexique, où il essaya de redonner du souffle à sa carrière va y mettre fin tragiquement. Depuis plusieurs années, sa famille y avait émigré afin de suivre l’une de ses sœurs qui y faisait des études. Celle-ci, mariée, avait accouché d’un garçon et elle demanda à son frère de venir au baptême. Marié depuis 1946 et père récemment également, Hiram Bithorn décida de laisser femme et enfant se reposer à Chicago et pris sa voiture pour se rendre au Mexique pour les fêtes de fin d’année en 1951. La frontière passée, il chercha un motel pour passer la nuit. Une nuit dont il ne verra pas la fin.

Hiram Bithorn

En effet, sur son chemin, il croisa un policier qui allait lui donner la mort. Les circonstances restent mystérieuses. Une des histoires avancées est que, sans argent pour payer le motel, la police aurait été appelée car l’ex-lanceur de la MLB, sans papier sur lui aurait voulu vendre sa voiture. Selon le policier qui lui tira dessus, il monta dans la voiture de Bithorn pour aller au commissariat local régler cette affaire. Bithorn se serait alors rebellé et, ayant peur pour sa vie, le policier, le caporal Ambrosio Castillo Cano, aurait tiré pour se défendre. Mais ce scénario semble bancal. Certaines sources avancent que Bithorn avait 2000 dollars sur lui ainsi que des papiers afin de pouvoir passer la frontière. De plus, il n’aurait eu aucun intérêt à vendre la voiture qui lui permettait de voyager. Amené à l’hôpital, il décède peu après son arrivée, à l’âge de 35 ans.

Sa femme apprend le décès de son mari à la radio et sa famille se mobilise rapidement pour que la lumière soit faite sur la mort du joueur, ne croyant pas un seul instant à la version du policier. Pour eux, il a voulu voler la voiture et les affaires de Bithorn. Même l’aide du FBI est demandée. Rapidement, les justifications du policier semblent farfelues. Afin de convaincre de la justesse de son acte, il déclare aux autorités mexicaines que Bithorn lui aurait avoué être un agent communiste en mission. Finalement, quelques jours après le décès du portoricain, Castillo Cano est poursuivi pour meurtre et il prendra au final 8 ans de prison pour son crime. Quant à Bithorn, sa famille, avec l’aide de l’ambassadeur américain et du gouverneur de Puerto Rico, ils obtiendront le rapatriement du corps à Puerto Rico, un corps qu’ils récupèrent plein de terre du cimetière et dans les vêtements du jour de son meurtre, montrant la non-considération que les autorités locales portèrent à la dépouille du joueur. Le jour suivant l’arrivée du corps à Puerto Rico, il fut offert au lanceur un dernier trajet du stade Sixto Escobar jusqu’au cimetière. 5000 personnes s’y pressèrent pour rendre hommage à ce pionnier et les Senadores jouèrent avec un patch noir sur les manches de leurs maillots en signe de deuil et de respect. En son honneur, sera inauguré en 1962, le stade Hiram Bithorn, le plus grand stade encore aujourd’hui de l’île, ayant notamment accueilli matchs MLB et de la WBC dans les années 2000.

Car Hiram Bithorn fut un pionnier qui, au-delà de la première sportive que représenta son arrivée en MLB, redonna fierté à une population portoricaine à qui on avait appris à penser, sous la domination espagnole puis américaine, que le meilleur de l’île ne pouvait que venir de l’extérieur. En parvenant dans la ligue reine du sport roi de l’Amérique, à une époque où le baseball était le plus grand des loisirs populaires aux Etats-Unis, Bithorn réalisa un fait d’arme qui allait au-delà du sport. Il ouvrit la voie aux joueurs portoricains, rejoint dès 1939, également en Piedmont League, par le lanceur Luis Olmo, qui accédera aux Majeures en 1943 avec les Brooklyn Dodgers, un an après Bithorn. Suivront dans la premières vague des années 1950 des stars ou légendes comme Vic « Power » Pellot, Roberto Clemente et Orlando Cepeda. C’est au total 303 joueurs portoricains nés sur l’île qui ont accédé aux Ligues Majeures, dont 22 en Negro Leagues (qui sont devenues Ligues Majeures en décembre 2020). En 2022, Puerto Rico était la cinquième nation la plus représentée en MLB, avec 1,9% des joueurs, loin derrière les Etats-Unis (70,7%) ou la République Dominicaine (11,4%), mais juste derrière Cuba (2,2%).

Si Bithorn connut une fin tragique, son héritage est lui bien vivant.

La statue d’Hiram Bithorn trône devant le stade portant son nom.

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