Du 8 au 21 mars prochain, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO! Aujourd’hui, direction le Mexique pour une petite dose de Fernandomania.

C’est par le tweet ci-dessous que les Los Angeles Dodgers ont annoncé, il y a quelques jours que le numéro 34, ne serait plus jamais porté au sein de la franchise. Le numéro 34 de Fernando Valenzuela sera retiré le 11 août au Dodger Stadium, coup d’envoi de trois jours de festivités lors d’une série face aux Rockies du Colorado. Trois jours ? Et oui pas moins de trois jours de Fernandomania pour un flashback dans la décennie 80’ quand le lanceur mexicain a enflammé Chavez Ravine.
There will never be another 34.
Congratulations Fernando Valenzuela on having your No. 34 retired! pic.twitter.com/OxOAd9A8vh
— Los Angeles Dodgers (@Dodgers) February 4, 2023
Car si Fernando Valenzuela est né au Mexique, dans la province de Sonora et dans une famille pauvre de 12 enfants, son destin est pour toujours lié au quartier de LA sur lequel a été construit le Dodger Stadium. Au début de l’année 1950, plus de 1 800 familles habitent les lieux. Elles ont leurs magasins, leurs églises, leurs écoles. Les routes sont en terre. Des conditions de vie modestes pour ces communautés latinas, très majoritairement mexicaines, qui ne parlent pas anglais. En juillet, la municipalité de Los Angeles publie un acte de propriété pour Chavez Ravine. Pour répondre à la poussée démographique, il faut construire des logements collectifs d’urgence à la place de ce qui est considéré comme un bidonville.

Les familles sont sommées de quitter leurs maisons et leurs terrains sont rachetés pour une poignée de dollars, bien en dessous de leurs valeurs réelles. Celles qui ne veulent pas partir sont chassées par la police et les tractopelles. Des manifestations sont violemment réprimées. Les images et photos sont terriblement choquantes et diffusées à la télévision et dans les journaux. Au milieu des années ’50, le projet originel d’habitat collectif est abandonné, trop tard bien sûr pour les familles chassées de leurs maisons qui vivent sous des tentes dans des conditions déplorables.
En 1957, Walter O’Malley – propriétaire des Brooklyn Dodgers – signe un deal avec la municipalité de LA pour la construction d’un stade qui accueillera sa franchise qui doit déménager en Californie l’année suivante. Les derniers habitants de Chavez Ravine sont expulsés en 1959 et le Dodger Stadium est inauguré trois ans plus tard. Le ressentiment est tellement fort chez la communauté mexicaine de Los Angeles qu’il n’est évidemment pas question d’assister aux matchs.

Si les Dodgers avaient conquis le cœur des familles juives américaines grâce à Sandy Koufax, celui des familles afro-américaines grâce à Jackie Robinson, ils ne pouvaient compter sur le soutien des latinos… la franchise ne s’étant jamais intéressée aux joueurs originaires de l’Amérique centrale/du sud. Il faudra attendre 1968 – dix ans après l’arrivée à LA – et la signature du shorstop Zoilo Versalles pour qu’un latino (en l’occurrence cubain) gagne sa place dans l’équipe.
Une situation très surprenante d’un point de vue culturel, économique et médiatique quand on connait le poids des communautés latines en Californie. En 1981 : la population mexicaine à elle seule compte 2 millions de représentants sur les 7,5 millions d’habitants du Comté de Los Angeles ! Surprenant aussi quand on regarde ce qu’il se passe chez le voisin et éternel rival : les Giants. Pendant les cinq premières années de leur présence à San Francisco, les Giants installent dans leur roster Juan Marichal, Orlando Cepeda, les frères Alou, Manny Mota ou encore Jose Pagan.
Fernando, le réconciliateur
Le désamour entre les Dodgers et la communauté latina va durer près de vingt ans, jusqu’à ce que le front office braque son attention sur les ligues mexicaines à la fin des années 70. Il veut trouver celui qui permettra de changer la narrative. Un shortstop tape dans l’œil de Mike Brito, un dénommé Ali Uscanga. Brito assiste donc à un match de ce dernier au printemps 1979 face aux Leones de Yucatan. Le lanceur adverse s’appelle Fernando Valenzuela, un gaucher de 19 ans, même si un certain mystère pèse toujours sur ce dernier point. Uscanga est vite oublié. La pépite mexicaine des Dodgers c’est Fernando. Il est signé pour 120 000 dollars et s’envole donc pour la Californie.

Il termine l’année 1979 en High-A où il montre des choses déjà intéressantes. Il monte d’un cran l’année suivante pour évoluer au sein des San Antonio Dodgers en Double A (13-9 ; ERA 3.10 ; 162K). C’est durant cette saison 1980 que son coéquipier Bobby Castillo lui apprend à maîtriser la « screwball » qui va faire sa légende. Ce lancer, bas, off-speed, qui s’éloigne du batteur droitier et aussi efficace que la curveball sur le batteur gaucher.
Fernando, l’éclosion
Le jeune Fernando est appelé dans le bullpen des Dodgers en septembre et fait ses débuts MLB, des débuts prometteurs d’ailleurs : 17.2IP ; 10 matchs et 0 ER. Alors qu’il doit continuer à prendre ses marques pour le début de la saison 1981, il est finalement propulsé lanceur partant pour l’Opening Day par son manager Tommy Lasorda après les blessures/indisponibilités de tous les lanceurs angelinos. Et Valenzuela fait sensation du haut de ses 20 ans : il ne concède aucun point face aux Astros en lançant l’intégralité de la rencontre ! Il remporte ses sept (!!!!) matchs suivants, sept matchs complets au cours desquels il concède un total ridicule de quatre points AU TOTAL ! Je vous laisse découvrir les stats de ces huit premiers matchs EN CARRIERE de Fernando…

A Los Angeles, la Fernandomania prend très vite. Comment ne pas fondre pour cette bouille ronde, ce ventre rebondi, ce lanceur aux pouvoirs extraordinaires mais aux allures de monsieur tout-le-monde, ce gamin d’une famille pauvre du Mexique qui lève les yeux au ciel avant chaque lancer comme pour remercier quelqu’un là-haut de l’avoir placé sur ce monticule de Chavez Ravine.
“Regarder lancer Fernando était une expérience religieuse”, racontait d’ailleurs souvent le légendaire et regretté commentateur des Dodgers, Vin Scully.
Si certains continuent de jurer qu’ils ne mettront jamais un pied au Dodger Stadium, beaucoup de membres de la communauté mexicaine commencent à garnir les travées. Les parents emmènent leurs enfants au stade, pas seulement pour qu’ils assistent à un match mais pour leur prouver que « tout est possible ».
La Fernandomania
Fernando devient un modèle, une figure. L’exemple parfait qu’à force de travail, on peut réussir. La hype est immense à LA mais il n’en fallait pas moins pour attirer l’attention des fans des autres franchises. Les affluences dans les stades doublent à chaque sortie du rookie prodige. Les médias se bousculent dans le petit village de Etchohuaquila pour rencontrer les parents du prodige. Ils apportent avec eux des postes de radio pour que la population locale puisse écouter les retransmissions de ses matchs.
Valenzuela débute 25 matchs sur toute l’année 1981 (n°1 en NL). Il remporte 13 victoires (pour 7 défaites) avec une ERA de 2.48. Il comptabilise 11 matchs complets dont 8 sans encaisser de point (n°1 en MLB)!!! Des stats qui non seulement lui permettent de décrocher le trophée de Rookie de l’année (pas une surprise) mais aussi celui de Cy Young. Il entre donc encore un peu plus dans les livres d’histoire en réalisant ce doublé la même saison.
Des trophées individuels en plus du plus beau trophée collectif qui soit : celui des World Series. Puisque malgré la grève des joueurs au cœur de l’été qui perturbe son déroulement, la saison 1981 est un véritable conte de fées pour les Dodgers. Toute l’équipe se met au diapason de son lanceur mexicain : les Astros et les Expos sont écartés en Division Series puis en Championship Series et le rendez-vous est pris en World Series avec le champion d’American League. Se présentent les New York Yankees. 3e duel entre les deux franchises sur les cinq dernières années. Et pour ses premiers playoffs, que croyez-vous que va nous faire notre chubby rookie? Du grand art! 5 matchs pour 3 victoires, 10 points mérités au total contre 26K. Les Dodgers remportent la finale 4 à 2, leur premier titre depuis 1965!
1981 marquera la première des six participations consécutives au All-Star Game pour notre Fernando. Sa magie ne s’arrête pas en effet à son année rookie puisqu’il enchaine 19, 15, 12, 17 et 21 victoires les saisons suivantes. Au cours de cette année 1986, en plus de ses 21 victoires, il s’offre 20 matchs complets! Une performance qui nous semble impensable aujourd’hui avec la gestion millimétrée des sorties des lanceurs. 1986 c’est en fait le pic de sa carrière sous le maillot des Dodgers et le pic de sa carrière tout court.
Ensuite, les sorties sont moins flamboyantes et des désaccords salariaux l’opposent à la direction. Il dispute sa dernière saison sous le maillot blanc et bleu en 1990. Il concède 104 points mérités en 33 matchs, le plus grand total de National League. Lui qui cotoyait les records les plus prestigieux jusque-là. Mais comme le garçon est décidemment à part, il signe aussi en cette saison ’90 son premier et seul no-hitter en carrière.
Fernando, l’apothéose
Le 29 juin, il prépare dans le clubhouse sa sortie du soir face aux Cardinals de Saint-Louis. A la télévision est retransmis le match entre les Oakland A’s et les Toronto Blue Jays. Le lanceur californien Dave Stewart lance un no-hitter. Valenzuela se tourne alors vers ses coéquipiers et leur annonce qu’ils en verront peut-être un autre ce soir-là… Neuf manches plus tard, la promesse est tenue. Le lanceur – désormais à lunettes – signe 7K et concède 3BB pour une victoire des Dodgers 6-0.
Son histoire d’amour avec les Dodgers s’arrête quelques mois plus tard en prenant une belle place dans les tableaux d’honneur de la franchise (4e au nombre de victoires, 5e pour les strikeouts, 4e pour le nombre de matchs complets…). Si sa carrière se prolongera jusqu’en 1997 avec des passages par les Angels, les Orioles, les Phillies, les Padres et les Cardinals, jamais on ne retrouvera les niveaux de la Fernandomania. Malgré son impact culturel, Valenzuela ne gagne même pas sa place au Baseball Hall of Fame mais le plus important est ailleurs.
Fernando, la légende
Si les Julio Urias, José Urquidy, Luis Urias, Giovanny Gallegos, Luis Cessa sont aujourd’hui en MLB c’est grâce à Fernando. Si les Dodgers estiment que 40% de leurs supporters sont aujourd’hui d’origine latine, rien n’aurait été évidemment possible sans Fernando. D’ailleurs ce dernier est revenu au sein de l’organisation au début des années 2000 pour commenter les matchs en espagnol. Une façon de faire perdurer son héritage au sein de la communauté.
“I truly believe that there is no other player in major-league history who created more new fans than Valenzuela. He created interest in baseball among people who did not care about baseball” – Jamie Jarrin
“Je pense sincèrement qu’aucun autre joueur dans l’histoire de la MLB n’a attiré autant de nouveaux fans que Valenzuela. Il a créé de l’intérêt pour le baseball chez des gens qui n’avaient aucun intérêt pour le baseball”, confiait Jamie Jarrin, commentateur radio version espagnol pour les Dodgers, en 2006 dans une interview à Dodger Magazine.

Pour votre dose visuelle de Fernandomania, je vous conseille le documentaire “Fernando Nation” de la série “ESPN 30 for 30”, disponible en France sur Disney+.