“Spitball”… et après?

Quelques semaines après “l’affaire Bauer” et ses balles collantes, nous sommes toujours sans nouvelles de ces fameuses expertises… Pourtant, l’article de The Athletic avait fait grand bruit à sa sortie avec une réponse cinglante de l’un des personnages les plus controversés de ces dernières années (je ne parle que de l’aspect terrain, le reste ne m’intéresse pas, et nous sommes ici pour parler baseball et uniquement baseball); en gros: “C’est du vent.” et il n’a pas tout à fait tort. Mais au fait, pourquoi ne doit-on pas modifier ces balles pour pouvoir leur donner toutes les trajectoires les plus incroyables? Et si nous vous emmenions dans le passé pour en apprendre un peu plus sur le pourquoi du comment…

moi tricher? mon oeil (DodgersWay)

Oui, on va remonter loin dans le temps, très loin même, je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, et encore plus…

Alors qu’aujourd’hui, la MLB utilise des dizaines de balles par match (entre 80 et 100, et sur une saison à 162 matchs par équipe, le tout sur normalement 2430 matchs… Oui, ça fait beaucoup.), au début de l’histoire de ce sport il n’y avait qu’une seule balle pour un match. Ou alors, s’il devait y avoir un changement, vous pouvez imaginer dans quel état devait se trouver celle-ci.

Pas assez sale… (photo Candise Estep)

Ces petits malins de lanceurs se sont vite rendus compte qu’ils pouvaient donner des trajectoires invraisemblables aux balles lorsque ces dernières commençaient à être sales (poussière, boue, etc…). Ainsi commence une nouvelle ère où chaque substance est testée pour voir les effets, toujours dans le but d’éliminer le frappeur. Bien sûr, la première chose est la salive, mélangée à ce qui traîne dans la bouche. De vrais petits chimistes en herbe ! Même le grand Ed Wash (1.82 ERA en 403 matchs, World Series 1906 et Hall Of Fame) utilisait cette “astuce”.

Ed Walsh (no credit)

“Oui mais c’est de la triche.”, le ouin-ouin club (petit groupe composé de General Manager et de propriétaires puissants) se réunit et fait plus ou moins interdire la Spitball durant l’hiver 1919. Sauf que lorsqu’il y a un ouin-ouin club, il y a toujours son opposé : le ouin-ouin club d’en face… Alors, on va trouver un compromis et on va laisser 2 joueurs “spitballers” par équipe, et seulement en American League. Oui car en National League, il n’y a que des vieux briscards qui n’aiment pas le changement (oui déjà à l’époque…). Mais que ce soit clair : c’est la dernière année que les lanceurs utilisent la spitball, on est d’accord ? Ok. En 1920, il y avait 8 équipes en American League, ça fait donc 16 joueurs pour les équipes des Athletics (Philadelphie), Tigers (Detroit), Senators (Washington), Red Sox (Boston), Browns (St-Louis), White Sox (Chicago), Indians (Cleveland) et Yankees (New York). Cette règle est à peu près respectée. Hélas ! Le 16 août de cette même année arrive un événement tragique qui mettra fin définitivement à la balle unique en match, et marquera le vrai début de la fin pour la Spitball.

Nous sommes à New-York, au Polo Grounds, où 21 000 personnes sont venues assister au match entre leurs chers Yankees et les Indians de Cleveland. Le match se déroule dans l’après-midi et le temps semble se couvrir, nous sommes en 1920 et les éclairages sont très sommaires dans les stades. C’est également une affiche car elle oppose le 2ème (Indians) au 3ème (Yankees) de l’American League. Et pour ce duel, les New-Yorkais ont sorti leur Ace : Carl Mays (28 ans, 6ème saison en MLB et déjà 3 fois vainqueur des World Series en 1915, 1916 et 1918 avec un certain Babe Ruth, à l’époque des Red Sox) en route pour sa 100ème Win en carrière. Carl Mays va disputer son 32ème match de la saison pour un bilan de 18Win (victoires)-8Lose (défaites)-2Save (sauvetages) et une ERA de 3.59. Ce lanceur a la particularité de faire un lancer en sous-marin (c’est à dire en dessous de la hanche avec une balle qui va de bas en haut), d’utiliser la fameuse “Spitball” mais également d’avoir un caractère particulier (pour faire simple c’est un taiseux, et pas des plus sympathiques), mais il fait avec. Et depuis le début de sa carrière, il a bien compris qu’il ne ferait jamais l’unanimité, même dans son propre vestiaire.

Carl Mays dans ses œuvres, époque Red Sox

Ce sont les Indians qui tapent en premier et durant cette manche il n’y a qu’un seul hit, l’œuvre de Jamieson, le premier batteur à se présenter face à Mays; mais le score en restera là (le Babe se fera même SO en fin de 1ère…). Le score évolue en 2ème manche par un homerun de Steve O’Neill, 1-0 pour Cleveland. Le batteur suivant ira même jusqu’en 3ème base, toujours 1-0. Les lanceurs commencent à trouver leurs repères dans ce match, et la balle commence à se salir tranquillement. Tandis qu’il faut un double-play aux Yankees en début de 3ème manche pour se sortir d’une situation délicate, le lanceur des Indians n’a pour le moment pas de problème de “réglages”, Stan Coveleski s’en sort même plutôt bien pour le moment en se prenant son premier hit de la partie dans la 3ème, sinon le reste c’est du groundout (5), strike-out (1) et pop-fly (2).

Maintenant, dans la 4ème manche, Carl Mays doit faire face aux joueurs 4-5-6 dans l’ordre de batting : Elmer Smith, Larry Gardner et Steve O’Neil. Alors que Smith est éliminé par un groundout en 1ère base par Mays, Gardner, lui, fait un walk. Se présente alors le seul scorer du match (je ne vais pas faire de la psychologie, un peu quand même, mais quand on est un taiseux et que l’on retrouve le joueur qui vous a scoré plus tôt dans le match, bon, voila quoi…) et bien sûr O’Neil fait un single et Gardner en profite pour aller en 3ème base… La suite, run et 2-0 pour les Indians. Une erreur plus tard et Mays se retrouve à avoir les bases pleines et seulement 1 out. Sur un sacrifice Fly de Coveleski, O’Neil porte la marque à 3-0. Un groundout plus tard, c’en est fini de ce début de 4ème manche et les Indians, tranquilles, sont devant. Fin de manche, 1, 2, 3 out, terminé 3-0. Début de la 5ème manche, Carl Mays fait face à Ray Chapman, le lanceur se concentre et lance une balle rapide en direction, croit-il, du gant de son catcheur; après avoir entendu un bruit, la balle lui revient dessus, Mays la saisit et l’envoie directement à sa 1ère base, Out.

Il se replace et se rend compte que quelque chose s’est produit, en effet Chapman a un genou a terre, les yeux clos et la bouche ouverte, tout juste aidé par Muddy Ruel pour ne pas tomber par terre. L’arbitre du match fait alors appel un médecin qui va aider Chapman à reprendre connaissance et lui permettre de se rendre aux vestiaires sur ses pieds avant de partir au St-Lawrence hospital, en étant cette fois-ci inconscient. Trop tard : l’un des pires épisodes de l’histoire du baseball vient de se produire. Chapman, n’a pas eu le temps de bouger pour éviter la rapide de Mays. Il décédera le lendemain matin, des suites de ses blessures à la tête, malgré une intervention chirurgicale de plusieurs heures, dont je vous épargnerai les détails, mais on parle d’une fracture du crâne de plus de 7cm, et d’une amélioration de son état après l’opération. 1920 devait être la dernière saison de pro de Raymond Chapman.

Raymond Johnson Chapman (Betmann/Corbis)

Le match se termina sur le score de 4-3 en faveur des Indians, les Yankees marquant 3 runs dans la dernière manche. Suite au décès de leur coéquipier, les Indians portèrent un brassard noir pour le reste de la saison, durant laquelle ils remportèrent les World Series face aux Robins de Brooklyn (attention, c’est une feinte, ce sont bien les Dodgers de Brooklyn, mais si vous savez, les new-yorkais qui ont déménagé sur la côte ouest des années plus tard…) sur le score de 5-2.

Carl Mays, contrairement a ce qu’il a laissé paraitre, en ne se rendant pas aux funérailles de Chapman, ni en contactant sa veuve (chose que lui a déconseillé de faire le colonel Huston, proprio des Yankees à l’époque, pensant que la rencontre serait trop éprouvante pour Mme Chapman), fut marqué par cet événement. Son caractère ne l’aidant pas, il fut le méchant dans l’histoire. Il lui fut reproché de lancer seulement quelques jours après, le 23 août, mais également son manque de compassion. Il a toujours dit qu’il était en paix avec lui-même par rapport à cet accident. Il fut entendu par un procureur général qui ne donnera pas suite à cette affaire, arrivant à la conclusion que la mort de Chapman était due à un fait de jeu. Malgré la pression populaire, et de nombreuses demandes de bannissement du lanceur, il continuera sa carrière jusqu’en 1929.

Cet événement mis un sérieux coup d’accélérateur à la fin de la spitball. La mise en place du poste de Commissioner à la fin de 1920 (suite au scandale des World Series de 1919) ne fit que confirmer le souhait des propriétaires de l’époque : à savoir, toujours plus de homeruns, encore et toujours, (décidément, l’histoire est un éternel recommencement, en voici encore une preuve…), pour plus de spectacle et enflammer les foules. Et pour les “vieux” lanceurs qui ont fait de la baveuse un art, que fait-on ? Allez la MLB est sympa, elle établit une liste de 17 joueurs et on les fait bénéficier de la “grandfather clause” (clause qui permet de garder ses acquis.) jusqu’à la fin de leur carrière. Une liste dont ne fit pas partie Carl Mays. Le dernier de ces joueurs, Burleigh Grimes, terminera sa carrière en 1934. Autre conséquence, la possibilité pour l’umpire de changer plus souvent de balles en cours de match si celui-ci l’estime nécessaire. Finies les balles baveuses et fuyantes à souhait, terminées les modifications de balle… Euh non, ça par contre, c’est loin d’être fini. Il aura donc fallu une volonté de faire plus de spectacle et une tragédie pour ne plus avoir le droit de modifier nos petites balles blanches à coutures rouges préférées.

tu transpires du pin-tare? dehors mon garçon (GettyImages)

Et Trevor Bauer dans tout ca? Bah rien à signaler. Est-ce que vous avez eu des nouvelles de ses fameuses balles collantes ? Non ? Nous non plus, et quelque chose me dit que nous n’aurons pas plus de nouvelles de ses balles que des fameuses Apple Watch ou de lettres à desceller devant le juge de certains de nos amis (oups…), mais ceci est une autre histoire.

Max CarGo


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