Après le marasme et la déprime de l’hiver 2020 accouchant d’une pandémie mondiale et d’une saison MLB raccourcie façon premier lavage à 60°C, TSO revient aux sources et à ses premiers amours : l’écriture. Et si pour le commun des mortels, l’arrivée du printemps signifie l’éclosion des bourgeons et les premiers chants d’oiseaux, pour la grande famille du baseball, printemps rime avec entraînement. Celui du spring training, des premières sorties avec de nouvelles couleurs pour certaines stars et de vieilles retrouvailles avec des rosters déjà bien armés pour d’autres. Que l’on soit fan de la petite balle blanche ou non, le printemps signifie surtout la préparation, le devenir. Et sans révolutionner votre quotidien, The Strike Out vous apporte son brin d’espoir : les fameuses 30 franchises en 30 jours. Aujourd’hui, on rend visite à une franchise qui a perdu son joueur superstar cet hiver : les Colorado Rockies.

La saison 2020
On s’attendait à trouver des Rockies en état de flottement, de demi-vie pour citer Philip K. Dick, un roster faisant encore une fois le grand écart entre le talent immense des Arenado, Story et Blackmon et l’insuffisance crasse d’un groupe clairement pas taillé pour avoir la moindre prétention d’exister dans les Ligues Majeures, encore moins dans une division mettant aux prises la puissance montante des San Diego Padres et la domination écrasante des Los Angeles Dodgers.
Pourtant, on a cru au miracle lors des premières sorties de la saison, quand les Rockies remportaient leurs cinq premières séries, faisant notamment tomber les Athletics et les Padres. La rotation tournait bien, l’attaque semblait libérée et la belle histoire de ce début de saison nous venait de Denver avec la victoire du releveur Daniel Bard pour sa première sortie en MLB depuis 2013. Le revenant allait d’ailleurs s’offrir une saison absolument correcte (24.2 IP, 3.65 ERA, 27 K, 6 SV) pour s’offrir un titre honorifique de Comeback Player of the Year.
On pouvait alors se pousser à croire, avec ce bilan de 11-3 au terme des deux premières semaines, que les Rockies seraient cette licorne descendue des rives montagneuses du Colorado, que les coéquipiers de Charlie Blackmon allaient passer outre leurs manques au pitching, outres les sombres humeurs de leur star Nolan Arenado, outre les limites évidentes de leur roster pour être cette équipe surprise qui tire le maximum d’un format inédit.
NON.
11-3 était bientôt 13-15 après un double sweep par les Astros et les Dodgers, et les Rockies ne gagneraient plus que deux séries sur le reste de la saison, pour en terminer avec un bilan de 26-34 : pas horrible d’un point de vue purement statistique, grâce aux victoires engrangées en ouverture, mais le bilan de 15-31 qui a suivi, ou 32.6% de victoires est bien proche de celui des pathétiques Pirates de Pittsburgh (31.7%). 15e attaque de MLB avec 275 runs, les Rockies ont tout de même offert un motif de satisfaction dans ce domaine avec un AVG de .257, le 8e de MLB. Mais ils ont aussi, et surtout, affiché le 29e ERA (5.59 au total, et 6.77 pour le bullpen) des Majors. Rédhibitoire.
Individuellement, les lanceurs partants ont oscillé entre le moyen mais passable (Freeland, Marquez, Senzatela) et le foncièrement mauvais (Gray, Gonzalez) tandis que le bullpen, en perdition, ne comptait que sur Almonte ( 27.2 IP, 2.93 ERA, 1 SV) et Bard pour sauver les meubles. On passera un voile pudique sur le reste en notant tout de même que Jairo Diaz a réussi toutes ses opportunités de sauvetage (4/4) tout en postant un ERA de 7.65 en 20 manches lancées.
Au bâton, Blackmon (.303/.356/.448, 42 RBI) et Story (.289, 11 HR, 28 RBI, 15 SB) ont tenu la baraque ou ce qu’il en restait tandis que Nolan Arenado avait déjà la tête ailleurs et que le reste était bien mou du genou. Rien de plus à dire sur les Kemp, McMahon, Tapia, Hampson, Murphy qui sont de bons joueurs de baseball mais pas (ou plus) de vrais tauliers pour jouer autre chose que la course aux draft picks.

La saison 2021
Les partisans des Rockies protesteront probablement et je les comprends : il est possible que j’aie noirci un peu le trait sur la saison 2020, mais c’était aussi pour préparer à ce qui va suivre. Si vous pensez que la saison 2020 était source de migraines pour Bud Black et le staff des Rockies, dites vous bien que la saison 2021 s’annonce d’ores et déjà comme l’un des plus grand horror-shows de ces dernières années dans le baseball majeur.
Parce que les Rockies ont perdu leur Franchise Player, Nolan Arenado, qui a rejoint les Cardinals en échange de cinq prospects dans un trade qui a fait tiquer bien des experts. Alors certes, Austin Gomber semble prometteur et a montré de belles choses en 2020 sur ses quelques sorties avec les Cardinals (29 IP, 1.86, 27 K), mais les quatre autres semblent encore assez loin d’atteindre le niveau MLB, et les Rockies ont également envoyé 50 (cinquante) millions de dollars à St Louis pour couvrir un peu de l’énorme salaire de leur ex-superstar. Comme toujours avec ce genre de trade, on ne pourra totalement estimer le succès de cette transaction qu’à moyen ou long terme, mais le signal est clair : on ferme, revenez dans cinq ans.
Surtout qu’outre Arenado, Trevor Story arrive lui aussi probablement à la fin de son aventure avec les Rockies, puisqu’il sera free-agent au terme de la saison 2021. Attendez-vous à le voir rejoindre un contender d’ici la trade-deadline. Charlie Blackmon, lui possède des options pour continuer en 2022 et 2023 mais… vous connaissez la chanson.
Dans le même temps, la Free-Agency a d’ores et déjà vu s’en aller Kevin Pillar, aujourd’hui aux Mets, David Dahl qui a rejoint les Rangers, Wade Davis, AJ Ramos, Matt Kemp ou encore les deux premiers choix au poste de catcher, Drew Butera et Tony Wolters. Enfin, le polyvalent Ian Desmond a renoncé à la saison 2021 pour des raisons personnelles, pas totalement rassuré par la situation sanitaire et sociale des Etats Unis en ce début du « renouveau ».
Au poste de catcher, c’est un habituel back-up qui devrait se voir offrir le poste de starter : à 30 ans, Elias Diaz a participé à six saisons en Major League et n’a joué plus de 100 rencontres qu’une seule fois, en 2019 avec les Pirates ; il a disputé 26 matchs en 2020. Le reste de l’infield devrait se composer de CJ Cron (si les Rockies décident de lui offrir un contrat de Major League) ou Josh Fuentes en première base, de Brendan Rodgers en seconde, de Trevor Story à l’arrêt-court et de Ryan McMahon au troisième coussin. Il est possible que McMahon et Rodgers échangent les rôles, avec Garrett Hampson également capable de dépanner un peu partout dans l’infield comme dans l’outfield.
Dans l’outfield, Blackmon et Tapia seront des starters indiscutables et le resteront toute la saison sauf blessure, tandis que le jeune Sam Hilliard, séduisant en 2019 (.273/.356/.649 , 7 HR et 13 RBI en 87 passages) mais plutôt rentré dans le rang l’an dernier, devrait avoir les clés du champ centre à l’ouverture de la saison.
Rien de bien inquiétant au niveau du lineup, si ce n’est le départ attendu ou redouté des dernières stars des Rockies, car c’est surtout au niveau du pitching que le bât blesse : facteur Coors Field ou non, la rotation des Rockies possède toujours les mêmes qualités et les mêmes défauts : un ensemble de bras compétents, capables, et totalement irréguliers : Marquez, Freeland, Senzatela et Gray ont quelques saisons sous le capot maintenant, mais les difficultés sont toujours les mêmes : difficile d’être un As à Denver, c’est certain, mais voilà bien trop longtemps que la rotation des Rockies ne se compose que de lanceurs #2 ou #3, et il semble présomptueux de penser que l’arrivée d’Austin Gomber changera ce constat.
Et puis il y a le bullpen : 29e unité de relève en MLB l’an dernier, les Rockies n’ont pas fait grand-chose pour améliorer ce constat : Bard, Almonte, Diaz et Mychal Givens sont toujours là. Pour les rejoindre, Robert Stephenson arrive des Reds, où il a lancé 10 manches l’an dernier pour un ERA de 9.90. Jordan Sheffield a quant à lui été sélectionné lors de la Rule 5 draft mais n’a pas encore lancé au-dessus du niveau AA. Et… bah non, c’est tout. Vous l’aurez compris, 2021 a tout pour ressembler à un long chemin de croix pour les Rockies, avec une attaque moyenne, une rotation moyenne, un bullpen sorti d’un film d’horreur et deux stars qui ont déjà un pied dehors, le tout dans une division que vont écraser les Dodgers et les Padres. Vite, 2025 !
Le joueur à suivre : Brendan Rodgers
Troisième choix de la draft 2015, derrière Dansby Swanson et Alex Bregman, Brendan Rodgers est attendu comme la relève dans l’infield, celui qui devait accompagner la superstar Arenado et son compère Story. Shortstop de formation mais également à l’aise aux deuxième et troisième buts, Brendan Rodgers a tranquillement dominé les Minor Leagues jusqu’à 2019, affichant une slash line de .296/.352 /.503 à tous les niveaux, frappant .350 avec un OPS de 1.035 en 37 matchs pour sa dernière saison au niveau AAA avec les Albuquerque Isotopes.
C’est donc logiquement qu’il a fait ses débuts en Ligues Majeures, cette même saison 2019, et on ne va pas y aller par quatre chemins : ça ne s’est pas bien passé. Du tout. En 25 matchs disputés en 2019, il a frappé à .224 de moyenne avec un OPS de 522. Pire encore, la saison suivante, il disputait 7 matchs pour une moyenne de .095, 2 hits et 6 strikeouts en 21 passages au bâton. En d’autres termes, il a réussi à obtenir un WAR de -1.0 en simplement 32 matchs disputés au niveau majeur.

Mais l’échantillon est réduit et son manager, Bud Black, n’a pas l’intention de renoncer tout de suite à son ancien futur prodige : « Brendan n’a pas grand-chose à prouver en ligues mineurs. Il a frappé en Minors. Maintenant il faut juste qu’il frappe dans les Big Leagues, et nous devons lui offrir cette opportunité. »
Avec le départ de Nolan Arenado, c’est bien dans le lineup titulaire qu’il devrait commencer la saison, probablement au poste de troisième base, peut-être sur le deuxième coussin. Sans trop de pression, mais en étant bien conscient qu’avec le départ de Nolan et celui attendu de Trevor Story, l’infield des Rockies se doit de se réinventer. Et les fans de Coors Field auront un œil attentif sur ce premier tour de draft qui se doit de devenir le prochain fer de lance d’une incroyable génération d’infielders formés dans le farm system des Rockies.
La Star : Charlie Blackmon
Si Nolan Arenado était le poster boy de ces Colorado Rockies, la gueule de la franchise était et reste bien Chuck Nazty, Charlie Blackmon. Avec son swag improbable et son style capillaire oscillant entre celui de Tom Hanks dans Forrest Gump et celui de Tom Hanks dans Seul au Monde, Charlie Blackmon est surtout un joueur de baseball exceptionnel et une valeur sûre, saison après saison, quand il s’agit de produire et de faire rentrer les points.
Quasiment indestructible, régulier dans la performance, régulier autour des 30 Home Runs tout en frappant à .304 en carrière, il n’est pas non plus maladroit dans le domaine de la course sur bases pour un membre de l’Ordre du Quintal, avec cinq saisons au-dessus des 10 buts volés entre 2014 et 2018, dont une à 43 en 2015. Une vitesse et une explosivité qu’il met également au service d’une défense de très bonne facture dans le coin droit de l’outfield.

Quatre fois All Star, deux fois Silver Slugger, vainqueur du batting title en 2017 (.331/.399/.601 avec 37 HR et 104 RBI), Charlie Blackmon fut encore, avec Trevor Story, le principal pourvoyeur et producteur de points des Rockies quand Arenado se laissait planer dans le nuage de ses envies d’ailleurs et ses bisbilles avec la direction.
Blackmon ne sera peut-être plus un Rockie a la fin de cette saison, mais nul doute que Coors Field se souviendra longtemps, très longtemps de ce géant hirsute au regard perçant et à l’apparence toujours placide. Parmi les héros qui ont fait rêver Denver au cœur des années 2010, il sera pour toujours, la barbe et l’âme de ce lineup.
Notre Prono
Vous l’aurez bien compris, ces Colorado Rockies ne sont peut-être pas en état de mort cérébrale comme les Pittsburgh Pirates, par exemple, mais le diagnostic ne saurait tarder. Le départ d’Arenado, après celui de LeMahieu et avant celui de Trevor Story, donne tous les signaux d’un rebuild entamé sans véritable contrôle ni véritable stratégie. Arenado s’est d’ailleurs régulièrement plaint de la politique du General Manager Jeff Bridich, avec qui le courant ne passait plus depuis bien longtemps.
A l’aube de la saison 2021, les Rockies ont une équipe oscillant entre le médiocre et le très mauvais, un des pires farm-systems (Zac Veen, 54e est le seul Top 100 prospect selon la MLB), un GM dont la crédibilité est largement remise en question et un propriétaire, Dick Monfort, qui continue à affirmer naïvement que les joueurs ont avant tout besoin de croire en eux-mêmes. Le chemin s’annonce long, très long avant que les Colorado Rockies ne ressortent la tête du bois.
Le Prono de TSO : 63-99
Projection PECOTA : 60-102
Une réflexion sur “Preview 2021 – Colorado Rockies : la Stratégie de l’échec”