En l’absence de véritable baseball ou même de l’illusion d’une date de reprise, c’est vers nos amis de Out of the Park Baseball que nous nous tournons pour notre fix de petite balle blanche. Un monde merveilleux où les Dodgers peuvent gagner les World Series, où les Mets peuvent réaliser une saison entière sans maladies infantiles ou blessures dues à des sangliers et où même les Orioles peuvent remporter les World Series… Entraineur incapable, je me retrouve avec pour mission de reconstruire la franchise du Maryland. Et en ouverture, rendez-vous est pris face aux Yankees et à Gerrit Cole!
25 Mars 2020 – Oriole Park at Camden Yards
Je savais que j’aurais du rentrer chez moi au lieu d’aller tester la vie nocturne de Federal Hill… Beuuuhhh, et mon dieu, quelle idée d’organiser une conférence de presse à midi la veille de l’Opening … Midi ? Wow il est 11 heures, je ne sais même pas comment me trainer jusqu’au stade en partant d’ici… Mais je suis ou en fait ? Rahhhhh. Taxi !
Je quitte le squat à mi-chemin entre colocation étudiante et fumerie d’opium dans lequel j’ai visiblement fini la soirée, hèle un taxi et coup de chance, en voila un qui s’arrête dans la minute « What you doing here man ! You should be at the Yards », me crie le chauffeur alors que je tente de me faire une place dans son véhicule, la tête en flammes et la bouche encore bien pâteuse de ma découverte de Baltimore. Sans panique, il se trouve que mon hôtel n’est qu’a quelques centaines de mètres et le stade juste en face… Je ne l’aurais pas cru sans le voir. Le temps de trouver la tenue correcte, me voila aux portes de l’Oriole Park à 11h45 précises, soit 15 minutes pleines d’avance sur la date de rendez-vous !
John m’attend dans le lobby VIP, l’air furieux autant qu’angoissé.
- Mais qu’est-ce que vous foutez Puchkin, la Conférence commence dans un quart d’heure !
- Parfait, ca nous laisse le temps pour un petit café. Expresso pas trop serré, et deux Efferalgan.
John me regarde et se dirige vers le bar, tandis que je me remémore les mots de mon assistant dans l’avion : « choisis quelques mots dans un bouquin d’analytics, prends une gueule convaincante et ils te foutront la paix »… J’attrape le dernier numéro de Sports Illustrated qui traine sur la table du lobby, tandis que John m’apporte ce café si désiré, on y parle de Kris Bryant et de balles courbes, de Mike Trout et d’OBP… L’OBP, Votto, aller sur bases à tout prix et enchainer avec le base-running. Voilà ce que je vais pouvoir leur servir, c’est simple, c’est sans risque, ca ne va pas pisser plus loin que la batter’s box. Vamos !
Pour la conférence de presse, c’est l’affluence des grands jours, entre 5 et 7 journalistes locaux et un gars de MLB Network. Les questions sont convenues, sans pièges, sans pression. Je leur offre mon topo sur l’importance de la présence sur base, atteindre le coussin à tout prix plutôt que chercher l’exploit individuel. Ils font le reste, me voila officiellement intronisé dans la grande famille des entraineurs adeptes du small-ball, le plan se déroule sans accroc. Après la photo officielle, Jon Meoli du Baltimore Sun vient me demander si j’ai une stratégie pour battre les Yankees lors des Opening Series. « Gagner le match ». Il me regarde. Je le regarde. Il me regarde. Je le regarde. Il griffonne un truc sur son carnet et me regarde. Je lui propose une bière.
Quelques heures plus tard, après une série de pintes au Pickles Pub, en face du stade, nous scellons un pacte éternel de non-agression. Reste a voir s‘il passera le test du matin, ou plus surement celui de semaines après semaines de baseball. Demain, on ouvre face aux Yankees !
26 Mars 2020 – Oriole Park at Camden Yards – New York Yankees @ Baltimore Orioles
Quand j’arrive à Camden Yards à deux heures du first pitch, je sens comme une mauvaise vibration dans l’air du Maryland, comme si on me cachait un truc… Bizarre… Pourtant c’est l’Opening Day, tout le monde devrait être d’humeur plutôt badine… De toutes façons on est condamnés à se…
– « Condamnés à se faire enclumer match après match ?! Effectif d’infirmes et d’écoliers… », hurle John en se dirigeant vers moi, furieux, un exemplaire du Baltimore Sun à la main…
– « De toutes façons ici c’est une bonne planque, si je gagne 60 matchs je passerai pour Tony LaRussa… Vous vous foutez de moi Puchkin ? Vous êtes au club depuis 10 jours et vous avez réussi à vous mettre à dos la presse, le board et la moitié des joueurs ».
Je regarde la une et me remémore quelques instants de la soirée au Pickles… Avec le recul peut-être que ce Jon Meoli n’est pas vraiment mon nouveau BFF… Quel monde ou l’on ne peut plus faire confiance à un journaliste de tabloïd rencontré pour une soirée au pub…
J’aperçois mon nouveau Némésis à quelques mètres de là en zone mixte et décide de lui poser directement la question. Pourquoi sortir des propos privés en une et me déstabiliser ainsi ?
– « Vous m’avez aussi affirmé que je ressemblais plus à un comptable à la retraite qu’à un journaliste », me répond-il d’une voix aussi suave que monocorde, « et que j’avais pas mal l’air d’un fouille-merde sur les bords… On dirait bien que vous m’avez cerné du premier coup ! » … Fair-play… le coup était vache mais régulier…
Game 1 – Yankees @ Orioles
Je file tout droit au vestiaire, ayant raté le plus gros du batting practice – Fredi s’en sera occupé, j’espère. L’ambiance semble osciller entre sidération, subjugation pour les uns tandis que d’autres semblent se préparer pour un match de Sunday League. J’échange quelques mots avec les gars, j’enchaine les lieux-communs et les banalités tactiques. J’aperçois Ramon Urias dans son coin, le visage fermé, marqué par la concentration : je me demande s’il a la moindre idée du fait que je n’ai jamais même entendu parler de lui… Je me demande aussi si je ne l’ai pas raconte a Meoli hier soir.
Bref, je m’échappe de toutes ces considérations, et je prépare ma lineup-card, la première de ma carrière dans les Big Leagues : Hansel Alberto ouvrira le bal, Urias frappera en septième position, Chris Davis attendra tranquillement dans le dugout. Aucune envie de faire une causerie, mais j’imagine que les gars en attendent une… premier match, Yankees, tout ça….
Je leur sers une jolie soupe réchauffée à base de courage et de valeurs, de mines d’or du Marlyand et d’empire du mal. J’y parle aussi de nouveau départ, de rendre fiers les habitants de Baltimore, j’envisage de faire un parallèle avec The Wire mais je me rends compte que je n’ai toujours pas vu la dernière saison. Je termine sur un « bon match et bonne saison » sous les applaudissement polis de mes joueurs, et je vois les regards se tourner vers le fond du dugout et le numéro 19 : le capitaine…
Pas le choix, me voila bien forcé de lui laisser la parole… Il est fort le cochon, il captive son audience, il a un mot sympa pour chacun de ses coéquipiers, il a un flow de dingue et en plus il a vraiment l’air de savoir de quoi il parle… Plus je le vois plus je me dis wow, quelle classe, il ferait probablement un superbe manager … insupportable. MOSSIEUR Chris Davis termine son pep talk sous les applaudissements nourris du club house, et on peut ENFIN passer au terrain !
***
On expédie l’hymne national, les poignées de main, tout le tralala, Aaron Boone me fait un câlin qui veut dire à la fois « Bonne chance » et « Moua ha ha ha ha», et mon regard croise furtivement celui du starter adverse. Un œil narquois et moqueur qui me toise comme si je ne savais pas ce qui m’attend ce soir. Je lui lance mon meilleur « Kest’a toi » et je retourne dans le dugout.
Alex Cobb lance le premier, ne concède qu’un single de Brett Gardner, on ouvre le bas de la première manche à égalité – savourer toutes les petites victoires – . Cole fait un 1-2-3 en 9 lancers. Alex fait la même en 11 lancers et nous voila dans le bas de la seconde manche.
Avec un lanceur retiré, Chance Sisco atteint le premier coussin sur une longue balle dans le champ droit, Dwight Smith Jr. envoie un line-drive plein champ, et je gueule à mon Designated Hitter qui se prépare : « Va y mon gars, tu vas leur montrer qui c’est Ramon ! ». Il se retourne avec un air oscillant entre la honte et le mépris, comme un collégien feignant de ne pas entendre les encouragements de sa mère au Varsity Game, et il se dirige vers la Batter’s Box.
Une fastball plein axe qu’il laisse passer, deux courbes hors de la zone. A 2-1, Gerrit Cole fait l’erreur de lui envoyer la même fastball que sur le premier pitch, le coup claque et la balle s’enfuit loin, très loin, dans les tribunes derrière le champ droit. BOUM ! Pari déjà gagnant ! Je ne sais toujours pas ce que je fais mais les journaux seront obligés d’admettre que mon choix fut le bon – oui je sais, ce n’est que le premier at-bat du premier match, et alors ?

Ramon revient avec un air aussi surpris que ravi, il me tape dans la main et va s’installer sur le banc sous les moqueries bienveillantes de ses coéquipiers. Premier match dans les Majors, premier Home Run, ça a plutôt de la gueule ! Bon, évidemment la suite ne se passe pas aussi bien, Luke Voit colle un solo Home Run dans la troisième manche, les golgoths Stanton et Sanchez combinent pour égaliser dans la quatrième, et ce maniaque de Brett Gardner décide de ne pas s’arrêter au troisième coussin pour donner l’avantage à l’Empire des Vilains dans la cinquième. 4-3, puis 5-3 dans la 6e sur une autre bombe de Andujar. Pendant ce temps, Cole n’a laissé passer qu’un seul hit depuis la seconde manche.

Et il continue son travail de destruction dans la septième manche, éliminant Sisco et Dwight Smith avant de retrouver Urias sur sa route. First pitch, il se rate complètement, Urias envoie un strato-monstre derrière le champ droit, presque au même endroit. Boone en a assez vu, Cole descend de son monticule et je jubile, tandis que ce pauvre Ramon essaie de comprendre ce qui lui arrive. Il aura la ceinture de catch et le seau de Gatorade ce soir, quoi qu’il arrive.
Pour remplacer Cole, c’est ce malpoli d’Adam Ottavino (NdlA : mes collègues rédacteurs de TSO connaissent la nature de mon différend personnel avec l’ancien lanceur des Rockies) qui s’y colle. Il s’en sort tout juste pour le reste de cette manche, mais il craque dans la huitième : Home Run de Santander, Singles de Hays et Nunez qui en profitent pour galoper et se retrouver en seconde et troisième bases. Single de Sisco pour faire rentrer Hays et Nunez en profite pour filer au marbre, comme Gardner en début de match mais en mieux. 7-5 Orioles ! Les journaux pourront dire ce qu’ils veulent, c’est Urias, le small-ball et le base-running qui auront fait tomber les Yankees. Appelez-moi Ned Yost !
Mon releveur Tanner Scott termine le boulot. Exit Voit, Exit Stanton, Exit Sanchez, malgré le coup-sûr de Gleyber Torres entre temps c’est bien les Orioles qui remportent cet Opening Game, et nous voila en tête de la division. Le dugout se laisse aller aux High Fives et au Hell Yeahs et je jubile avec mes gars, quand je vois arriver le Big Boss Peter Angelos, lunettes noir sur le nez et gueule de six pieds de long de rigueur.

« Je ne sais pas si vous êtes un parfait incompétent ou un génie incompris, Puchkin, mais j’ai ma petite idée. Joli résultat ce soir, mais j’apprécierai de ne pas revoir votre sale tête en une des journaux pour toutes les mauvaises raisons… Et on se calme un peu, il vous reste 161 matchs à jouer, et j’aimerais bien que 2020 ne soit pas une humiliation intégrale… », il tourne la tête vers les deux armoires à glaces qui semblent l’accompagner dans le moindre de ses déplacements, « Peter et Steven ne sont pas exactement fans de votre personnalité, si vous voyez ce que je veux dire ». Je vois très bien…
A très bientôt pour le prochain épisode, ou l’on va vraiment pouvoir entrer dans la saison et enchainer les matchs. On y retrouvera les Yankees, les Red Sox, et Ramon Urias retrouvera son ancienne organisation des Cardinals avec la ferme intention de botter des bouches (ou fermer des… oh je sais plus…)