Il existe deux périodes charnières dans l’année où nos esprits se laissent aller au doux parfum du baseball. La deuxième c’est évidemment lorsqu’arrive l’automne et ses feuilles mortes synonyme de postseason. Quant à la première, il s’agit de la fin de l’hiver accompagnée comme toujours du retour de la MLB et des espérances de chacun. Vous savez ces dernières semaines avant la reprise où l’on se surprend à croire que « cette année est la bonne », où l’on se met à rêver de voir son équipe jouer au baseball fin octobre ou à enfin finir avec un bilan positif. Comme l’an passé, The Strike Out passe en mode 30 franchises en 30 jours et vous propose de faire le tour complet de la Ligue. Pour calmer vos ardeurs de supporters ou au contraire les ranimer, même si en baseball rien n’est jamais fixé dans le marbre. Aujourd’hui, on vous emmène à Denver pour rendre visite à une équipe à la croisée des chemins : les Colorado Rockies

La saison 2019
Apres avoir atteint le Wildcard Game en 2017, vécu un match 163 en 2018 pour remporter la division NL West avant de subir un sweep en NLDS par les Brewers, les Rockies partaient l’an dernier en conquête d’un octobre glorieux. Echec total puisqu’ils ont terminé 4èmes de leur division avec un bilan de 71-91 (43,8% de victoires) et seulement une victoire d’avance sur les Padres. Si une série de 8 défaites consécutives, dès la deuxième semaine de saison régulière, a rapidement placé les Rockies en difficulté avec un bilan de 3-12, un excellent mois de mai, fini en trombe avec 8 victoires de suite dont 3 walkoffs, les a relancés dans la course aux playoffs. Le 2 juin, Rockies et Cubs étaient à égalité avec 31 victoires, et même si les Dodgers étaient trop loin avec déjà 9 matches d’avance, une place en wildcard était envisageable. Malheureusement, les Rockies n’ont pas su capitaliser sur ces succès et se sont retrouvés derniers de leur division dès le 17 juillet. Ils occupèrent même cette place honteuse du 6 août jusqu’au 28 septembre avant de terminer la saison avec deux victoires consécutives sur un walkoff.

Une saison à oublier, marquée par des blessures dans la rotation et un bullpen décevant, mais surtout un lineup beaucoup trop faible par rapport aux attentes, 26ème de MLB avec un wRC+ de 86. Starter lors de l’Opening Day, Kyle Freeland s’était révélé en 2018 avec une ERA de 2,85 en 202 IP.
Entre blessures et contre-performances, Freeland n’a cumulé que 104 IP en 22 matches (moins de 5 manches par sortie !) et concédé un ERA de 6,73. Certes on pouvait s’attendre à un retour de bâton en voyant son taux de homeruns encaissés par flyball (8,5% en 2018) mais avec 21,7% en 2019, il est clair que quelque chose n’allait pas. Jon Gray, Antonio Senzatela, Peter Lambert et Jeff Hoffman sont venus compléter une rotation digne des Tigers ou des Orioles.
Encore plus décevant, le closer Wade Davis a vu son ERA exploser à 8,65. Fait rare et rédhibitoire pour un closer, il en a terminé avec un Win Probability Added négatif (-0,37 WPA), si bien qu’il a été écarté du rôle au profit du duo Scott Oberg – Jairo Diaz surprenant de réussite.
Une bonne nouvelle toutefois : l’élection de Larry Walker au Hall of Fame en janvier dernier. Dans sa dernière année d’éligibilité, le canadien a passé de justesse la barre des 75% de votes tant convoitée. Le MVP 1997 de la Ligue Nationale détient encore aujourd’hui de nombreux records de la franchise, notamment ses moyennes au bâton de .334/.426/.618 en 9 saisons et plus de 1000 matches pour les Rockies.
Les ambitions pour 2020
On a beau chercher, impossible de trouver le moindre signe d’engagement vers la réussite chez les dirigeants des Rockies. Aucune volonté non plus de reconstruire en se séparant des superstars de Blake Street. Si l’effectif peut compter sur sa stabilité avec des départs limités (seul Chris Ianetta est à noter), les arrivées sont encore plus faibles. Aucun transfert et surtout aucun agent libre n’a signé un contrat majeur dans le Colorado cet hiver. Quelques contrats de ligues mineures pour des vétérans, rien de plus. Parmi eux, le tout-terrain Chris Owings et l’ancienne gloire de la rotation des Rockies, Ubaldo Jimenez.
En NL West, derrière les intouchables Dodgers, les Diamondbacks se sont renforcés et les Padres peuvent compter sur les progrès de leurs jeunes talents. A l’inverse, les Rockies espèrent un retour en forme collectif de leurs vétérans arrivés ces dernières années tel Daniel Murphy, Ian Desmond ou Wade Davis. Ce-dernier s’est vu reconduit au poste de closer malgré sa saison 2019 catastrophique. Ce choix fait par le manager Bud Black est d’autant plus surprenant que le contrat de Davis inclut une option de 15 millions de dollars pour 2021 s’il termine 30 matches cette saison.
Lui qui menait la NL en 2018 dans cette catégorie avec 63, dont 43 saves, est tombé à 32 (dont 15 saves) en 2019, et à 34 ans il ne fait rien pour rassurer les supporters à propos de sa longévité. Du côté des jeunes, Garrett Hampson et Brendan Rodgers peinent encore à trouver de la place parmi les réguliers. Même chose pour Raimel Tapia, malgré ses qualités de contact. David Dahl, souvent blessé, sera quant à lui attendu au tournant après sa sélection au All Star Game 2019.
Loin de la réalité du terrain, le propriétaire des Rockies Dick Monfort a affirmé le 1er février que 2019 était une anomalie et qu’en interpolant les résultats récents de l’équipe, ses analystes ont conclu qu’elle devrait remporter 94 victoires en 2020. Selon Monfort, il suffirait de “commencer à prier” pour que cela se produise, invitant ses joueurs à considérer 2019 comme une mise à l’épreuve plutôt qu’une année perdue. Ces propos surréalistes ont fait peu pour calmer l’ire des supporters, et nous rappellent que l’incertitude du baseball peut rapidement nous faire perdre la tête.

La star : Nolan Arenado
Malgré des rumeurs de transfert tout au long de l’intersaison, l’extraordinaire joueur de 3ème base restera bien dans le Colorado cette saison, mais la question est pour combien de temps ? En février 2019, entre les signatures des gros contrats de Machado et Harper, Arenado avait signé une extension de contrat pour 8 saisons incluant une possibilité de véto tout trade et un opt-out en 2021. Se plaignant publiquement de la direction – ou plutôt l’absence de direction – prise par le club et le GM Jeff Bridich, Arenado n’a rien pu entendre en retour d’autre que les montagnes renvoyant l’écho de sa frustration. Si l’équipe ne parvient pas à se relever, l’opt-out semble s’imposer. Ceci signifierait renoncer à 167 millions de dollars sur 5 ans, mais avec le réveil du marché des agents libres cette année (les Angels en ont offert 245 millions sur 7 ans à Anthony Rendon), Arenado pourrait toucher le gros lot chez un favori pour le titre. A revisiter l’an prochain.
Comme à son habitude, Arenado nous a ébloui sur le terrain en 2019. Tout d’abord en défense, remportant son 7ème Gold Glove en 7 saisons MLB. Les nouvelles statistiques défensives développées grâce à Statcast lui font justice en le classant 3ème et nous apprennent que sa force se situe dans les actions vers sa droite. Profitez de ces trois merveilles lors du même match le 4 septembre dernier.
Avec une batte entre les mains, l’Incroyable Nolan sait aussi ce qu’il fait. Réussissant chaque année les mêmes exploits, la route a été légèrement cahoteuse en 2019 avec un mauvais mois de juillet (.348 SLG) suivi par un août radieux (.733 SLG) et un septembre raffiné (.451 OBP et .671 SLG). Totalisant une nouvelle fois 41 homeruns (dont 20 à l’extérieur), on peut s’étonner de ne le voir que 37ème de MLB avec un wRC+ de 128. En séparant ses stats à l’extérieur et à domicile, on s’aperçoit que l’effet Coors n’épargne pas Arenado. Même si la stat wRC+ permet d’ajuster en fonction du terrain de jeu, il passe de 137 à domicile (ligne de .351/.412/.645) à 118 à l’extérieur (ligne de .277/.346/.521 toujours au-dessus de la moyenne). Ces splits étaient encore plus prononcés en 2018 mais plus proches en 2017. Quoi qu’il en soit, les Rockies pourront en 2020, comme chaque année, compter sur Arenado pour frapper la balle de manière décisive. Associé à Trevor Story, il serait excessif d’en demander plus aux postes de shortstop et 3ème base.
Le joueur à suivre : German Márquez
Comme évoqué dans notre Top 5 des meilleurs départs de 2020, Márquez est capable de briller voire d’éblouir. Dans l’atmosphère de Coors Field, les lanceurs sont rarement à la fête. Ne vous laissez pas pour autant tromper par son ERA de 4,76. Márquez a été meilleur que la moyenne en 2019 si l’on ajuste par rapport au terrain avec un ERA- de 94 (6% de mieux). Plus prometteur encore, en ne prenant en compte que les strikeouts, walks et balles frappées dans les airs, Márquez s’est classé 14ème l’an dernier parmi les lanceurs qualifiés avec un xFIP- de 80, soit 20% de mieux que la moyenne.
Sa force vient incontestablement de son contrôle formidable avec un taux de walks de seulement 4,9% en 2019, lui permettant de se glisser 8ème de MLB dans cette catégorie entre les noms prestigieux de Scherzer et Verlander. Les problèmes de Márquez en 2019 vinrent des frappes percutantes qu’il a trop souvent concédé, figurant parmi les pires lanceurs de la ligue en termes de vitesse de frappe. Autre ombre au tableau, le 26 août, alors qu’il menait la NL avec 174 IP, il atterrit à l’infirmerie avec une inflammation au bras droit qui l’a empêché de retourner sur la butte en 2019.

Le vénézuélien de 25 ans a signé l’an dernier une extension de contrat s’étalant jusqu’à 2024. En 2020, Márquez pourra compter sur sa fastball à plus de 95 mph en moyenne et une knuckle curve intouchable bien qu’utilisée trop rarement. C’est seulement avec le compte en sa faveur que Márquez fait appel à sa balle dévasatrice, provoquant des swings presque la moitié du temps lorsqu’elle est lancée hors de la zone. Il devra cependant retrouver son slider (11 HR encaissés sur un slider en 2019 contre 2 en 2018). Ce-dernier ne se différencie pas assez de sa knuckle curve en vitesse et les frappeurs adverses profitent en le frappant comme une curve manquée.
Les conditions climatiques à Denver atténuant les effets de la rotation de la balle, Márquez a décidé en 2019 de ne plus lancer son slider qu’à l’extérieur, se concentrant à domicile sur sa curve. Lors de son premier match de Spring Training ce dimanche 1er mars, le droitier était satisfait de son changeup, un lancer qu’il a très peu utilisé jusqu’à présent à cause de son inefficacité. S’il réussit à utiliser le changeup à son avantage, Márquez pourrait se transformer en un tout nouveau lanceur, plus dominateur que jamais.

Le prono
En voyant la densité de talent de cette équipe, l’échec total de 2019 nous rend incrédules. Ces Rockies sont-ils vraiment au niveau qu’on leur attribue ? Avec un roster construit maladroitement autour du duo Story-Arenado, ils manquent cruellement de réserve dans la rotation et rien n’a été fait pour boucher les fuites révélées l’an dernier. Si la chance leur sourit, les Rockies peuvent nous surprendre. Dans le clubhouse, ce n’est pas l’envie qui manque. Le front office saura-t-il les accompagner vers le sommet ? Peu probable.
Prono The Strike Out : 5e de NL West, 72-90
Prono Bleacher Report : 4e de NL West, 74-88