Le Retour de la Triple Couronne?

Il y a quelques semaines, j’ai pu avoir une discussion avec deux fidèles followers de notre compte twitter, sur le concept de triple couronne dans son ensemble. Alors que chaque ligue compte aujourd’hui au moins un candidat à la triple couronne, chez les lanceurs comme chez les batteurs, nous nous interrogions sur la plausibilité de voir à nouveau un batteur terminer la saison en tête de tous les tableaux, sur la légitimité de cette récompense, et notamment de certaines des statistiques qui la composent, et sur son utilisation comme indice clé de performance : un vainqueur de Triple Couronne sera-t-il forcément le MVP en fin de saison ?  Focus sur les prétendants, côté frappeurs

World Series - San Francisco Giants v Detroit Tigers - Game Three
Miguel Cabrera, vainqueur de la Triple Couronne en 2012, en compagnie de Franck Robinson (g. , Triple Crown 1966) et Bud Selig (Commissioneur de la MLB) – (Source : CBS Sports)

La Triple Quoi ?

La Triple Couronne (Triple Crown) récompense un lanceur ou un batteur qui termine la saison en tête de toutes les catégories primaires du jeu :

  • Pour un lanceur, il s’agira du nombre de victoires remportées, du nombre de Strikeouts lancés, et de l’ERA du lanceur sur l’ensemble de la saison régulière.
  • Pour un batteur, il faudra terminer la saison en tête de la Ligue en termes de moyenne au bâton, de Home Runs et de RBIs.

La triple couronne récompense donc la régularité et la puissance d’un joueur, tout en laissant également une petite part a la chance.

On ne peut pas vraiment prétendre remporter le plus grand nombre de victoires sur une saison sans être soutenu par un line-up de grande qualité, comme le constate amèrement l’as des Mets, Jacob deGrom depuis le début de la saison : lui qui possède le meilleur ERA de toute la MLB et est second en termes de strike-out (1.71 et 159) affiche un maigre bilan de 5-5 après 20 matchs lancés…

Mais que peut-il faire de plus que lancer 7 ou 8 manches par match en ne concédant pas plus de deux points, quand il revient ensuite s’asseoir pour voir l’attaque rester désespérément muette, la défense craquer et le bullpen gâcher ses chances de victoires.

Un constat similaire peut-être fait pour les batteurs, puisque l’élément RBIs nécessite une présence sur base suffisante des coéquipiers du “Triple-Roi” en devenir. Cependant, on pourra répondre ici que frapper des coups décisifs lorsque les bases sont remplies fait partie de l’arsenal du joueur clutch : le jeune prodige des Washington Nationals, Juan Soto, frappe .388 avec des coéquipiers sur base, .315 en moyenne. L’ancien MVP (et dernier vainqueur d’une triple couronne chez les batteurs, en 2012) Miguel Cabrera fait encore mieux avec .395 lorsque des coéquipiers sont sur base contre .299 en moyenne.

Nous nous intéresserons aujourd’hui à la Triple Couronne des Frappeurs, et aux trois joueurs apriori en course pour cette récompense alors que nous approchons de la Trade Deadline et nous apprêtons à entrer dans le dernier tiers de la saison régulière

Indice de performance légitime ou statistique d’un autre temps ?

Sur la légitimité de la Triple Couronne comme symbole absolu d’excellence, deux écoles s’affrontent, particulièrement sur le sujet des batteurs. Les traditionnalistes, dont je fais partie, considèrent les statistiques utilisées comme l’essence même du baseball : Frapper souvent, frapper fort, frapper utile ; lancer juste, lancer fort, lancer pour gagner.

A cela, on répondra que tout symbole d’excellence qu’elle est, la Triple Couronne ne désigne pas forcément le meilleur joueur de baseball. Le phénomène Mike Trout, sans aucun doute l’un des sinon LE meilleur joueur de sa génération, n’a terminé qu’une saison en tête de l’une de ces trois statistiques, malgré une moyenne (par 162 matchs) en carrière de .306, avec 36 HR et 99 RBI. Mais Trout ne fait pas que frapper, comme le reste ses statistiques le confirment : en moyenne il affiche une slash line de .306 / .415 / .571 avec 105 walks et 29 bases volées par saison…

Ses 61.9 WAR (Win Above Replacement) en 8 saisons et à bientôt 27 ans le placent sur une trajectoire pour venir se placer dans le Top 10 de toute la MLB en termes de WAR, entre Ty Cobb et Hank Aaron, au crépuscule de sa carrière.
Et pourtant, il ne décrochera probablement jamais la triple couronne, toujours devancé qu’il est par un métronome au bâton (Altuve, Betts) ou un slugger surpuissant.

Trout
Les Statistiques offensives de Mike Trout ? Pas suffisant pour une triple couronne! (source baseball-reference.com)

J.D. Martinez, Triple Couronne au Rabais ?

A l’opposé, J.D. Martinez (Red Sox) ne sera jamais l’égal de Mike Trout ou même de Mookie Betts, le seul joueur d’American League capable aujourd’hui de rivaliser avec l’Outfielder des Angels a tous les niveaux, mais il est le seul qui possède, aujourd’hui une réelle chance d’aller décrocher une triple couronne.

Leader de la Ligue Américaine en termes de Home Runs (31) et de Points Produits (85), Martinez est troisième en terme de moyenne au bâton derrière le métronome Jose Altuve (.329) et le complet Mookie Betts (.345). Pas forcément insurmontable, puisqu’en termes de coups surs réalisés, cela représente une différence de 9 hits sur l’ensemble de la saison pour le moment (pour un total de 421 passages au bâton).

Un exploit exceptionnel ? Pour sûr, puisque depuis 1967, seul Miguel Cabrera (2012) a réussi à remporter une triple couronne : mais cela ferait-il de J.D. Martinez un meilleur joueur sur la saison que Trout ou Betts (0.345 / 0.432 / 0.664 avec 25 HR, 54 RBI et déjà 21 bases volées en 2018) en termes d’apport offensif ? Absolument pas ! Si le Designated Hitter / Outfielder de Boston devait réussir cet exploit, les votants pour le trophée du MVP 2018 risqueraient d’avoir de sacrées insomnies au moment de poster leur bulletin de vote.

25-300
Voici l’ensemble des joueurs de MLB qui ont frappé plus de 25 HR OU produit plus de 60 points OU frappent à une moyenne supérieure à .300 (au 28 Juillet 2018)

Le héros Arenado, l’outsider Suarez

Cas de figure quelque peu différent en National League, qui ne possède pas aujourd’hui de Five-Tool Player aussi complet que Betts et Trout (notamment au niveau de la course sur base). Bryce Harper pourrait-être celui-ci mais, entre slumps et blessures, il tarde toujours à confirmer sa monumentale saison de MVP 2015. Du coup, difficile de voir qui pourrait doubler Nolan Arenado (Rockies, .308, 26 HR, 74 RBI) ou Eugenio Suarez (Reds, .305, 24 HR, 79 RBI), si l’un d’eux parvenait à embarquer les trois statistiques au terme de la saison.

Arenado, leader de National League en termes de Home Runs et RBIs en 2015 et 2016, a pris une pause la saison dernière, devancé par Giancarlo Stanton dans la catégorie des points produits et par toute une flopée de grands sluggers dans la catégorie des Coups de Circuit. Il a tout de même terminé une troisième saison consécutive avec au moins 30 HR et 130 RBIs (37 & 130) tout en travaillant la régularité pour poster sa première saison avec une moyenne supérieure à .300.
Il figure aujourd’hui dans le peloton de tête des trois catégories, mène la National League en termes d’OPS (.981) et le quintuple Golden Glove est encore un toujours l’un de meilleurs défenseurs de toute la MLB. Si en plus il pouvait accompagner le tout d’une qualification en playoffs, nul doute qu’une triple couronne serait pour lui synonyme quasi immédiat d’un titre de MVP.

Suarez, quant à lui, a déjà presque égalé en 87 matchs les statistiques de sa meilleure saison en carrière, au sein d’une équipe des Reds – comme toujours – à l’agonie. A l’instar d’un Votto l’an dernier, le fait de jouer au sein d’une franchise qui navigue dans les bas-fonds de la Ligue serait-elle un frein même en cas de triple couronne ? Il y aura certainement dans ce cas de figure un débat bien différent selon le nom du récipiendaire de la Triple Couronne.

Comme pour J.D. Martinez, cependant, les deux joueurs de troisième base devront d’abord se défaire de la concurrence, puisqu’ils se partagent les deux premières places du classement en termes de HR (Arenado 1er ) et de RBIs (Suarez 1er ) mais restent un peu en retrait au niveau de la moyenne. Mais là-aussi, comme pour Martinez, ils ne sont qu’à 4 et 3 hits respectivement de Nick Markakis, le leader de cette catégorie en American League (.318)

 

VERDICT :

La triple couronne pour un batteur est, sans aucun doute, un exploit majuscule, réalisé seulement à 17 reprises et par 15 frappeurs dans l’histoire du baseball majeur. D’ailleurs, à l’exception des pionniers Paul Hines (1878) et Tip O’Neill (1887), tous les vainqueurs d’une Triple Couronne ont été admis au Hall of Fame au terme de leur carrière (Il ne fait aucun doute que Miguel Cabrera, bien qu’encore actif, a déjà lui aussi composté son ticket pour Coopertown).

Dans le Top 3(1er, 1er, 3e) de toute la MLB dans les trois catégories, J.D. Martinez peut faire encore mieux en devenant seulement le sixième batteur de MLB a obtenir une Triple Couronne Majeure, rejoignant un petit club sympathique composé de Ty Cobb, Rogers Hornsby, Lou Gehrig, Ted Williams et Mickey Mantle…

Pourtant, on peut se demander si elle aurait le même retentissement selon si elle devait être emportée par un joueur qui n’est pas le meilleur joueur offensif de sa Ligue, ni même de son équipe (Désolé J.D, mais le patron des Red Sox reste encore et toujours Mookie). Exploit monumental ou récompense au rabais?

De la même manière, si une triple couronne remportée par le slugger en chef – et en surrégime – d’une équipe de fond de Ligue (désolé Eugenio) ne serait en principe pas moins légitime que celle d’un joueur trois fois dans le Top 5 du classement MVP et qui est aujourd’hui considéré, sur la durée, comme l’un des tous meilleurs joueurs de National League et de MLB. Pourtant, on ne peut pas s’empêcher de penser que la performance ne serait pas accueillie avec les mêmes égards selon l’identité de son auteur.

La question ne s’est jamais véritablement posée, au vu des personnages qui composent son glorieux palmarès, mais elle pourrait bien devenir d’actualité en Octobre : la triple couronne est-elle véritablement la marque des très grands, ou est-elle juste une performance fantastique mais secondaire, qui ne suffit pas en elle-même à faire de son auteur un roi ?

 

GTNGE


2 réflexions sur “Le Retour de la Triple Couronne?

  1. Ce qui me gène c est que l aspect défensif est complètement mis de côté, or Mvp veut dire most valuable player ce qui implique être bon dans les deux aspects offensif et défensif du jeu. Ainsi baez s est amélioré cette annee au bâton et est indispensable en défense pour les Cubs par exemple. Pour moi un Mvp doit faire gagner son equipe donc la qualifier en postseason même si c est injuste vu l importance du collectif dans le baseball, un Mvp c est un gagneur pas un looker.

    1. Tout à fait d’accord là-dessus, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, selon moi, le seul des trois pour qui une triple couronne serait synonyme de titre MVP à 100% est Arenado.
      Après, une triple couronne est un exploit rare et spectaculaire, comme les 59 HR de Stanton l’an dernier, et la production de points participe à l’effort collectif… C’est une de ces questions à laquelle il n’y a pas vraiment de “bonne réponse”.

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