Fin janvier, les formations de la ligue Can-Am (Canadian American League) étaient réunies à Montréal pour parler de la saison 2018. À cette occasion, Michel Laplante, président des Capitales de Québec, champions en titre de la ligue, a livré une information fort intéressante. Les différentes ligues indépendantes nord-américaines discuteraient d’un projet de calendrier global entre leurs équipes, une sorte de méga-ligue indépendante comme la surnomme le Journal de Québec.
«On ne sait pas quand ça se produira, ni de quelle façon exactement, mais une chose est certaine, il y a une volonté de faire progresser le baseball indépendant […] On sent que nos ligues stagnent un peu, alors que notre souhait est de continuer à s’améliorer. Il ne faut pas avoir peur d’oser et de laisser de côté ce qui ne fonctionne pas. De toute façon, on a fait le test avec l’Association américaine il y a quelques années, et ça avait bien fonctionné» (propos de Michel Laplante relayés par la presse québécoise après la fin des assises de la Can-Am)
REVUE DE PRESSE | Le sommet de la Can-Am à Montréal a fait jaser lors des derniers jours dans le @JdeQuebec !
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— Capitales de Québec (@CapitalesQuebec) 31 janvier 2018
Mais qu’est-ce qu’une ligue indépendante, me demanderez-vous ? Une ligue indépendante, ou Indy League, est une ligue professionnelle qui n’est pas assujettie aux conventions qui organisent le baseball entre La MLB et les Ligues Mineures (MiLB). On parle ainsi de baseball indépendant d’une part et de baseball affilié ou organisé d’autre part.
L’histoire du baseball indépendant : des débuts mouvementés
L’histoire du baseball indépendant est mouvementée. En 1871 est créée la National Association of Professional Base Ball Players, première ligue majeure (bien qu’on n’use pas encore de ce terme à l’époque), véritable schisme entre le baseball amateur et professionnel. Elle est remplacée en 1876 par la National League of Professional Base Ball Clubs, devenue depuis la National League. Sa création permet aux clubs de prendre l’ascendant sur les joueurs et le monde amateur dans l’organisation du baseball américain.
Mais d’autres ligues continuent de se créer. Certaines tentent de se hisser au niveau de la National League mais connaissent des existences brèves (Union League, Players League, Federal League). Seule l’American Association (AA, 1881-1891) résiste une décennie. Parallèlement, d’autres ligues se maintiennent dans leur coin et se développent, organisant leurs relations entre elles, et notamment avec les Big Leagues tel la NL ou l’AA. On parle alors de baseball organisé mais chaque ligue se gère de manière indépendante. L’une d’elles, la Western League, va devenir en 1900 l’American League.
En devenant une concurrente sérieuse de la NL, l’AL crée un conflit qui impacte les autres ligues qui décident de se rassembler au sein de la National Association of Professional Baseball League (NAPBL ou NA, ancêtre des Ligues Mineures) en 1901, afin de défendre leurs intérêts et de maintenir leur indépendance. Chaque ligue signe donc un agrément, qui peut varier d’une ligue à l’autre, avec la National League ou l’American League.
Il faut attendre les années 30 pour voir le baseball organisé passer dans une nouvelle dimension quand Branch Rickey, alors General Manager des Cardinals de Saint Louis, pose les bases du baseball affilié en développant le principe des clubs écoles, le farm-system. L’Amérique est en pleine tourmente avec la Grande Dépression et le baseball n’échappe aux conséquences du krach boursier de 1929.
La crise économique donne le coup de grâce à l’indépendance des ligues de la NAPBL, déjà mise à mal par le passe-droit donnée en 1922 par la Cour Suprême à la MLB pour ne pas appliquer les lois anti-trust. Bien que certaines conservent légalement leur indépendance, comme la Pacific Coast League, elles sont désormais toutes économiquement dépendantes de la MLB. Elles deviennent officiellement les Ligues Mineures dans un système d’affiliation tourné exclusivement vers les intérêts des Ligues Majeures (hormis la Mexican League qui a un statut et une histoire à part).
Conséquence, l’indépendance réelle des ligues disparaît rapidement et les clubs indépendants également. Tous les clubs ont désormais un contrat avec une franchise MLB. Le dernier club indépendant au sein des Ligues Mineures a fait l’objet d’un magnifique documentaire : The Battered Bastards of Baseball. Il s’agit des incroyables Mavericks de Portland qui ont joué au sein de la Northwest League (Class A Short Season) de 1973 à 1977 avant que la MLB ne reprenne possession de Portland, mettant fin à l’aventure de l’équipe créée par l’acteur Bing Russell dans laquelle joua son fils, future star d’Hollywood, Kurt.

La MLB est également à l’origine d’un autre baseball indépendant, les Negro Leagues. L’exclusion progressive des joueurs afro-américains (et qui concerna aussi les joueurs d’origine asiatique et hispanique) durant les années 1880 a forcé la communauté afro-américaine à créer ses propres ligues, forcément indépendantes de la MLB et du baseball organisé. Mais ce baseball indépendant allait également finir par disparaître quand Jackie Robinson brisa la Color Line en 1947 avec les Brooklyn Dodgers.
Bien que sportivement les équipes des Negro Leagues étaient aussi, si ce n’est plus, performantes que celles de la MLB, la ligue était à des années lumière du pouvoir économique et de la stabilité de la MLB. Avec le départ des meilleurs joueurs afro-américains dès 1947, les Negro Leagues vont décliner, disparaissant dans l’oubli général à la fin des années 50. D’ailleurs, la mainmise totale de la MLB sur le baseball va également conduire à la marge un autre type de baseball indépendant, celui des équipes itinérantes, équipes qui permettaient à des populations discriminées (femmes, afro-américains, amérindiens, etc) de pouvoir jouer un baseball rémunéré. C’était aussi un complément de salaire pour des joueurs professionnels des Ligues Majeures ou Mineures.
La renaissance du baseball indépendant
Après deux tentatives ratées de ligues indépendantes (Inter-American League 1978-1979, Empire State League 1987), la renaissance de l’Indy Baseball arrive vers le milieu des années 90.
En 1993, Miles Wolff, fondateur du magazine Baseball America, crée la Northern League. C’est la première d’une longue liste d’Indy Leagues qui vont connaître des succès variables mais qui vont participer à faire revivre le baseball indépendant dans la durée. La même année, la Frontier League est créée. Si la Northern disparaît en 2010, la Frontier League continue toujours ses activités.
Entre 1993 et 1999, 13 ligues sont créées, la plupart disparaissant après une ou deux saisons. Depuis 2000, 13 autres ligues ont été fondées avec, là encore, beaucoup d’échecs. Néanmoins, le baseball indépendant commence à trouver sa place. On comptait neuf ligues indépendantes en 2017, avec des équipes réparties entre les États-Unis et le Canada, liste à laquelle devrait s’ajouter une dixième organisation en avril 2018, la Southwest League of Professional Baseball.
Sur les neuf ligues, deux furent fondées dans les années 90 (Frontier League 1993, Atlantic League 1998) puis deux autres avant les années 2010 (Ligue CanAm 2005, American Association 2006). Toutes les autres sont apparues à partir de 2011 (Pecos League 2011, Pacific Association 2013, United Shore et Empire Professional Baseball League 2016, Thoroughbred Baseball League 2017).
L’Indy Baseball veut grandir
Depuis les années 90, le baseball indépendant tente de grandir à l’ombre de la MLB et des Ligues Mineures. Pour faire face à la concurrence sportive, les ligues s’implantent généralement dans des aires géographiques où la densité de la population permet de trouver un marché plus facilement comme le Nord-Est des États-Unis. Le Texas, le Upper Midwest et le Sud-Ouest du pays sont également appréciés car il existe moins d’équipes de baseball professionnel à supporter. Bien sûr, les clubs indépendants s’implantent là où aucun club de baseball affilié à la MLB n’existe ou n’a de chance de s’implanter.
Néanmoins, le modèle économique n’est pas stable. Nola Agha a publiée en 2011, dans Journal of Sports Economics, une étude sur l’impact économique des équipes des Ligues Mineures et de leurs stades du milieu des années 80 aux années 2000. L’étude tend à démontrer un impact oscillant généralement entre inexistant ou modeste. Or, pour comparer, l’impact des ligues indépendantes est également étudiée et lui aussi est globalement inexistant.
Investir dans un stade pour une équipe indépendante ne rapporte pas. C’est pour cela que les Capitales de Québec ont mis en place une nouvelle stratégie pour assurer une utilisation optimale du stade Canac, eux qui ne l’utilisent qu’entre 12 % et 15 % du temps : on y fait jouer le baseball amateur, on s’en sert pour le sport-études et le développement des jeunes joueurs. Cet hiver, un dôme gonflable y a été installé pour que le baseball puisse y continuer de vivre. Une stratégie qui permet ainsi à la ville de justifier les investissements. La voie à suivre dans le reste du baseball indépendant ?
C’est ce matin que notre DG @Maxmlb En compagnie de Michel Laplante présentent le dôme du Stade Canac au ministre @SebastienProulx #Playball @CapitalesQuebec pic.twitter.com/rNIHtwMysZ
— Baseball Québec (@baseballquebec) 21 décembre 2017
Ce baseball là doit se montrer imaginatif pour survivre. L’étude citée plus haut évalue d’ailleurs la durée de vie moyenne d’une équipe indépendante à 4 ans contre 17 pour une équipe de AAA. Pour de nombreuses équipes indépendantes, les coûts de fonctionnement (assurances, salaires, logistique, voyages, marketing) dépassent les bénéfices et entraînent la disparition du club. Une ou deux mauvaises saisons sur le plan économique sont fatales avec des dettes s’accumulant et conduisant à la faillite. Il faut donc remplir les stades.
Dans la ligue Can-Am, l’affluence moyenne oscille entre 3000 et 1500 selon les équipes. Les Capitales de Québec ont ainsi attiré une moyenne de 2800 personnes dans le Stade Canac en 2016. Avec des coûts de fonctionnement importants et un stade à rentabiliser, chaque entrée payante compte.
C’est pourquoi, après plus de deux décennies d’existence, les Indy Leagues veulent passer un cap et assurer leur pérennité. Réunir leurs forces pourrait être une solution. Déjà, de 2011 à 2015, les équipes de la Can-Am et de l’American Association ont joué des matchs inter-ligue qui ont rencontré du succès. Depuis 2016, la Can-Am invitent des équipes internationales (Japon, Cuba, République Dominicaine) qui rencontrent chaque équipe de la ligue. Une formule reconduite en 2018. Pour exister, l’Indy Baseball doit proposer un autre baseball.
Une indépendance qui offre plus d’opportunités
Plus libres, les équipes indépendantes peuvent être plus inventives. Elles peuvent aussi faire tomber les murs de la discrimination plus facilement, alliant combats sociétaux et opérations de communication efficaces. C’est devenu la spécialité des Sonoma Stompers en Pacific Association. En juin 2015, ils sont devenus la première équipe à recruter un sportif ouvertement gay en la personne du lanceur Sean Conroy.
Ils récidivent en juin 2016 en recrutant deux joueuses, Kelsie Whitmore et Stacy Piagno. Une première depuis les années 50 où trois joueuses évoluèrent avec les Indianapolis Clowns en Negro Leagues (Toni Stone, Connie Morgan et Mamie « Peanut » Johnson). Entre temps, d’autres joueuses se mesurèrent au baseball pro indépendant américain, notamment Ila Borders (1997-2000) et Eri Yoshida (2010-2013). Cette liberté représente un atout face à une MLB qui peine à s’ouvrir sérieusement à un baseball au féminin.
Enfin, le baseball indépendant offre de nouvelles opportunités tant aux anciennes stars des Ligues Majeures qu’à ceux qui n’ont pas eu leur chance ou qui en demandent une seconde. Le sulfureux José Canseco y a rebondi, y jouant encore. Son frère jumeau, Ozzie, a également joué à ce niveau comme les stars Rickey Henderson, Bill “Spaceman” Lee et Darryl Strawberry. Eric Gagné a même tenté de relancer sa carrière de lanceur avec les Capitales de Québec.
Les ligues indépendantes ont également permis à de nombreux jeunes joueurs de continuer le baseball en sortant de l’université sans avoir été drafté pour ensuite débarquer au sein du baseball affilié ou trouver de nouveaux défis à l’étranger. Nombreux sont les imports de la D1 française à avoir eu une expérience en Indy League. Ces ligues permettent aussi de prolonger la carrière pro de certains joueurs des Ligues Mineures, voir leurs permettent d’y revenir.
Kevin Millar a fait mieux. Jamais drafté, l’actuel co-présentateur du show Intentional Walk, sur MLB Network, joue avec les Saint Paul Saints (Minnesota) de l’American Association, quand il est rapidement repéré par les Florida Marlins. Résultat, il parvient en Ligues Majeures quelques années plus tard, y faisant une belle carrière de 1998 à 2009, gagnant avec les Red Sox les World Series qui brisèrent la malédiction du Bambino en 2004.
L’une des stars des Dbacks, David Peralta, a également profité des bienfaits des Indy Leagues. Signé comme lanceur par les Cards en 2006, le vénézuélien est victime de nombreuses blessures et Saint Louis le libère de son contrat en mai 2009. Il se réinvente alors comme outfielder au sein de l’United League puis de l’American Association. Les Dbacks le signent en 2013 et depuis 2014, il a posté une moyenne de frappe de .293 pour 43 homeruns. Un vrai conte de fées à la sauce indy.

On le voit, le baseball indépendant à beaucoup à offrir au baseball. S’il se place en concurrent direct des clubs de Ligues Mineures, il est aussi un complément idéal pour le système de la MLB qui peut toujours laisser échapper de futurs talents dans la détection. Le baseball indépendant offre également de nouveaux débouchés aux joueurs étrangers, les français y compris. René Leveret (Can-Am, American Association), Anthony Cros (Can-Am), Maxime Lefèvre (Can-Am) et Félix Brown (Pacific Association, Can-Am) ont tous goûté à une ou plusieurs saisons d’indy baseball, amenant ainsi au baseball français et à l’équipe de France une expérience nécessaire pour les faire grandir.
La mise en place d’un méga-ligue indépendante serait assurément une excellente nouvelle pour le baseball. Aux États-Unis, il permettrait de donner un nouveau souffle à ce sport. Au niveau mondial, il deviendrait une nouvelle terre promise pour tous ces joueurs, et joueuses, qui rêvent de baseball professionnel sans pouvoir accéder au monde hyper concurrentiel du baseball affilié. Ce pourrait être une aussi bonne nouvelle que de voir le baseball aux JO de Paris.