Interview – François Colombier (Huskies Rouen) : « Avec celle de 2007, c’est la finale la plus incroyable »

François Colombier imaginant un plan sans accroc lors des French Series 2017 – crédit : Glenn Gervot / FFBS

S’il est souvent difficile de prévoir le vainqueur des World Series, il n’en est pas de même pour les French Baseball Series. Cocher le nom des Huskies de Rouen, c’est prendre un risque plus que minimal. La finale de la D1 2017 l’a confirmé. Rouen a conservé son titre de champion mais ce titre lui a été contesté par une incroyable équipe des Templiers de Sénart. Cinq matchs de folie dont une victoire finale qui se joue d’un point dans la dernière manche du dernier match avec un scénario des plus dramatiques. Pour l’occasion, nous sommes allés prendre le pouls de cette finale, digne des montagnes russes, auprès de l’assistant coach, et ancien manager, des Huskies : François Colombier.

François, quelle finale ! Pensais-tu qu’elle serait aussi serrée après que Rouen ait battu quatre fois Sénart en saison régulière ? Qu’est-ce qui a fait la différence ?

Une finale, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. Même celle que Rouen a dominé, il y a toujours des moments compliqués. Donc, je savais que ce serait difficile, sans évidemment anticiper ce scénario complètement fou. Oui, on avait battu Sénart 4 fois en saison régulière, mais les Templiers avaient remporté le seul match qui comptait, la ½ finale du Challenge, chez nous en plus.

C’était la première fois que Sénart battait Rouen dans un match décisif. Je me rappelais quand Rouen avait enfin remporté une victoire contre Savigny dans un match important, alors qu’à l’époque les Lions nous dominaient tout le temps. Je savais à quel point ce genre de déclic psychologique peut changer la face d’une équipe, j’étais donc très méfiant.

Sur savoir ce qui a fait la différence d’une série en 5 matches qui s’est jouée pour un point dans la 9ème manche du 5ème match, c’est vraiment difficile. Une certitude, on n’a jamais douté, car on sait gagner, on sait que tout est jouable jusqu’au dernier retrait. Ensuite, c’est un faisceau de circonstances, de décisions, d’amener tel ou tel joueur au bon moment au bon endroit. C’est aussi la performance collective. Je n’ai pas le souvenir d’une finale où pour moi, il n’y avait pas de MVP évident. Tout le monde a poussé à la roue. Ça s’est joué à rien, à un détail. En fait, je fais une réponse très longue pour vous dire que je ne sais pas vraiment ce qui a fait la différence.

Comment les Huskies ont vécu cette série qui a connu de nombreux rebondissements ?

Justement, le nombre de rebondissements a été tellement impressionnant qu’il n’y avait pas à puiser dans ses ressources mentales pour être à 100 %, voire plus. Il était impossible de se relâcher car chaque lancer, chaque action, voulait dire quelque chose. Et à chaque fois que l’une ou l’autre équipe pensait avoir fait le plus dur, l’autre revenait dans le match. L’intensité était telle que tout le monde donnait son meilleur.

Quand on regarde le match 1, Rouen est dominé, puis repasse devant sur le home run d’Infante, puis craque sur des erreurs défensives. Dans le match 2, Sénart tient la victoire avant le double de Luc Piquet, puis les Templiers ratent complètement leur extra-inning. Dans le match 3, on envoie Owen Ozanich sur la butte, on est relativement confiant sur ce que peut nous donner notre As, et boum, on prend 4 points en première manche, et cela aurait pu être pire, avant de repasser devant en fin de match. Le match 4 est plus compliqué, mais il y a eu aussi des occasions ratées de notre côté qui auraient pu le faire basculer.

Au passage, quelles performances de Mottay sur les deux week-ends. Je ne l’avais jamais vu à ce niveau, et on ne peut que se réjouir quand un lanceur français hausse son niveau de jeu. Enfin, le match 5, c’était la folie absolue… Ce n’était pas très compliqué de garder la motivation !

Le secret des victoires rouennaises ? La maîtrise du Kung-Fu ! – crédit : Glenn Gervot / FFBS

Comment gère-t-on une telle tension avec des matchs au couteau en tant que coach ?

Il faut absolument garder la tête froide et ne pas se laisser dépasser par les événements, avec le risque d’over-coacher. Il faut rester sur la stratégie, tout en gardant la capacité à s’ajuster au déroulé de la rencontre. Comme souvent, c’est la gestion du bullpen qui est la plus compliquée, parce qu’une erreur dans le choix des lanceurs est souvent catastrophique en fin de match. Avec Keino Perez et Gregory Fages, on fonctionne à trois cerveaux c’est plus facile, même si c’est évidemment Keino qui a le dernier mot. Pour être très franc avec vous, de mon côté j’ai atteint un niveau de stress record !

Tu en as connu des finales du championnat de France avec les Huskies. Comment situerais tu celle-ci par rapport aux autres ? Lesquelles t’ont le plus marqué ?

Avec celle de 2007 (contre Sénart déjà, ndlr), c’est la plus incroyable. Pour les plus jeunes de vos lecteurs, 2007 fut une année exceptionnelle pour les Huskies, puisqu’on avait atteint la finale de la Coupe d’Europe (perdu 3-1 contre les néerlandais de Kinheim Haarlem, ndlr). La finale s’est jouée sur trois jours, à Chartres, le week-end du 15 août. Cette durée réduite a ajouté à la dramaturgie. Le match 5 a été énorme, on est mené 2-7 et on gagne 9-8.

Je me souviendrais toujours de la sérénité qui régnait dans l’abri des Huskies, même au plus fort de la tourmente. On savait qu’on allait gagner, c’était une sensation étonnante. Est-ce que celle de 2017 est plus forte, plus intense, je ne saurais pas le dire. Je les mets sur un pied d’égalité. Juste derrière, il y a 2011, quand on perd les 2 premiers matches à Montpellier, 2003, parce que c’est la première, 2009, parce que j’étais le manager à l’époque et que je suis un peu mégalomane. J’ai aussi une grosse tendresse pour la finale du Challenge 2013, à Pershing, dans une ambiance très hostile, où là aussi on revient de nulle part pour battre Sénart (Rouen remporte la finale 9-7 après avoir été mené 7-1 en fin de 6, ndlr).

Free hugs – crédit: Glenn Gervot / FFBS

Ces French Baseball Series et la difficulté à les remporter résument-elles la période actuelle de Rouen avec la gestion de la fin d’une époque, celles des Bert, Marche et Gauthier, et la nécessaire prise de pouvoir de la jeunesse avec Gleeson, Vaugelade ou encore Prioul ? Est-on parti pour une nouvelle dynastie qui va régner en D1 ?

La transition est faite depuis deux ou trois saisons. On est passé aux Huskies 2.0 avec l’éclosion des jeunes talents, toujours encadrés par quelques vétérans comme Piquet et Hagiwara (vous vous rendez compte du palmarès de ces gars-là ?). Et puis déjà les Huskies 3.0 pointent leur nez : regardez Valentin Durier qui produit 4 points dans le match 4, c’est déjà l’avenir qui parle. Et Keino a tenu que plusieurs rookies, qu’on a fait débuter en D1 cette année, viennent participer à la finale, même sans jouer, mais pour être présents dans le dug-out, pour apprendre, pour voir comment cela se passe au plus haut niveau. On peut être confiants dans l’avenir. D’ailleurs, pour moi, je ne vois pas pourquoi parler de nouvelle dynastie. C’est la même qui continue depuis 2003.

Pour finir, quel regard portes-tu sur cette D1 2017 et le niveau du baseball français actuellement ? Vois-tu des équipes capables de concurrencer durablement Rouen dans les prochaines années ?

Je commence par répondre sur la concurrence. J’aimerai tellement qu’il y a 4, 5, 6 grosses équipes, qu’on se bagarre comme des fous pour aller en play-offs, que tous les matches de séries soient disputés au couteau. On vit pour jouer des matches comme ceux de la finale, par pour gagner sur les buts sur balles ou les erreurs des adversaires. Quand on commence la saison, on sait qu’on va être qualifié pour les play-offs, et franchement, ce n’est pas amusant.

Sénart va continuer à être un concurrent redoutable, et j’adore jouer contre cette équipe où il y a des joueurs que je respecte énormément. Montpellier est en train de construire des choses intéressantes avec une armada prometteuse de jeunes lanceurs. Cela leur a coûté cher en demi-finale, mais c’est un investissement sur l’avenir qui peut être intéressant, même si j’ai toujours l’impression que cette équipe ne sait pas gagner quand il le faut vraiment. C’est bien plus compliqué après. Montigny reste une valeur sûre, mais très loin de pouvoir prétendre jouer le titre.

Il faut que le PUC puisse redevenir une force, mais je n’ai pas l’impression qu’ils en prennent le chemin. Et il faudrait surtout que des grosses équipes se montent en province, dans des grandes villes, pour étendre la notoriété de notre sport. J’ai du mal à comprendre que Toulouse soit redescendu alors que le pôle France est là-bas. J’aimerai voir des grosses équipes naître à Lyon, Rennes, Strasbourg, par exemple. La D1 reste un championnat trop faible. Il n’y a pas 8 équipes capables de fréquenter vraiment le haut niveau. Et la D2 ne s’améliore pas d’une année sur l’autre. Je ne suis pas très optimiste sur le niveau du baseball français. En tout cas ce que j’ai vu cette saison, après 2 ans où je m’étais éloigné du terrain, ne m’a pas semblé aller dans le bon sens.

Comme une impression de déjà-vu – crédit : Glenn Gervot / FFBS

 

L’info en plus : la finale est-elle vraiment finie ? Suite à une décision arbitrale considérée comme litigieuse par Sénart dans le match 5, les Templiers ont entamé un recours auprès des instances fédérales. En cas de succès de la procédure, le match pourrait donc être rejouer. Ces French Baseball Series 2017 vont-elles connaître un nouveau rebondissement ?


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