Décryptage : comment établir un ordre de passage au bâton

Pourquoi Dee Gordon est-il toujours le premier frappeur des Miami Marlins ? Pourquoi Bryce Harper et Nolan Arenado se retrouvent-ils si souvent face à des bases bien remplies? Qui est le cleanup hitter, ce nettoyeur au cœur de l’ordre de frappe? Pourquoi les receveurs et les lanceurs se retrouvent-ils le plus souvent au pied de la feuille de match ? La création d’un lineup est une composante majeure de l’approche tactique d’un match de baseball. Chaque manager à ses petits secrets – sportifs, psychologiques, statistiques, ésotériques – pour tirer le meilleur de son effectif en fonction de leur ordre d’apparition au bâton. Des milliers de livres et d’articles ont été consacrés à la création du lineup parfait, et cet aspect du baseball est, comme le sport dans son ensemble, en permanente mutation. Il existe pourtant quelques constantes qui poseront les bases d’un line-up viable et efficace.

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Joe Maddon, innovateur permanent et pourfendeur-en-chef du Batting Order traditionnel

A première vue, le boulot de coach de baseball est simple comme bonjour :

Première étape : Vous prenez neuf gars plutôt doués pour frapper, courir, attraper et lancer la balle.

Seconde étape : Vous leur assignez des positions défensives conformes à leurs qualités physiques, et vous les alignez sur une feuille de match dans n’importe quel ordre, et s’ils sont suffisamment bons, ils ramèneront les points…

Troisième étape : vous vous asseyez sur votre banc, ouvrez une Bud Light et regardez vos gars remporter les World Series… tranquille… Well done, Coach of the Year !

Gil Hodges LGM
Le Manager Mystère est…. Gil Hodges (Mets 1969)

Voilà qui serait tellement simple, tellement implacable, un système où il suffirait d’aligner les meilleurs lanceurs et les meilleurs batteurs pour s’offrir la meilleure équipe. Une recette du succès à l’abri de toute complexité qui, forcément, n’aurait jamais pu être celle de la victoire dans le plus scientifique de tous les sports collectifs. On n’achète pas les World Series, rappelons-le, et chaque aspect du jeu est analysé, détaillé, découpé, étudié, scruté et décomposé pour réaliser ici quelques gains marginaux de puissance, là quelques ajustements biomécaniques qui permettront d’atteindre un pitch plus pur ou un angle de frappe amélioré.

Plus encore, à l’ère de Statcast où toutes les données chiffrées imaginables sont disponibles en quelques secondes, qu’elles concernent l’accélération d’un Billy Hamilton lors d’un vol de base, la vitesse de rotation d’une balle courbe de Clayton Kershaw ou encore l’efficacité de la trajectoire de course d’un Mike Trout pour aller voler un Home Run sur le mur de l’outfield. Le baseball est un sport de feeling et d’instinct ou chaque donnée est examinée jusqu’à la plus obscure dimension et au plus petit détail, alors forcément, vous l’aurez compris, la composition d’un lineup ne peut pas se résumer à poser les noms sur une feuille et attendre de voir.

Si chaque Manager a ses recettes miracles, il y a cependant quelques constantes dans la création d’un lineup. Ce sont ces constantes que l’un de nos chers followers sur Twitter nous a demandé d’expliquer il y a quelques jours. Et comme nous n’aimons pas faire les choses a moitié, nous avons décidé de développer cette explication en un article explicatif des stratégies de construction d’un line-up.

Il y a quelques constantes, disais-je, observées plus ou moins religieusement par tous les managers du jeu, à commencer par une distinction forte entre le haut de l’ordre de passage (1 à 5), attendu comme la source principale de coups-surs et de points, et le bas (6 à 9) dont le but sera de faire tourner la machine. Même si cette comparaison peut paraitre quelque peu étrange et farfelue, tant l’on parle de deux sports totalement différents, on pourrait comparer leur apport sportif à celui des arrières et avants d’une équipe de rugby. Le travail de l’ombre des lieutenants est tout aussi important que les statistiques brutales du « cleanup hitter ». Mais revenons en à notre ordre de passage :

#1 – Le Leadoff Hitter

Une règle de base pour le « leadoff hitter » au sens traditionnel du terme : il doit être capable d’atteindre le premier but le plus souvent possible, et de profiter de chaque opportunité pour avancer sur les bases. On y privilégiera le profil d’un frappeur de contact à celui d’un frappeur en puissance. Le Leadoff hitter sera souvent un joueur capable d’approcher les .300 en AVG et les .400 en OBP, avec également un bon œil pour attirer les Walks. Une fois installé sur bases, il utilisera sa vitesse et son œil pour avancer vers le marbre en toutes situations, notamment grâce à sa capacité à voler les bases. Des joueurs comme Dee Gordon (Miami Marlins, .296, 40 SB) ou Trea Turner (Washington Nationals, .279, 35 SB en seulement 68 matchs) sont les parfaits exemples de ce profil efficace et rapide.

Si ce portrait-robot du leadoff hitter a encore de beaux jours devant lui, cependant, l’avenir semble appartenir à des profils plus complets, capables de réaliser le compromis entre moyenne et puissance, quitte à laisser parfois de côté la vitesse de course.  Georges Springer (Astros, .303, 28 HR) ou Charlie Blackmon (Rockies, .333, 27 HR) sont les exemples de cette évolution, et comme souvent, Mookie Betts (Red Sox, .265/.341/.448, 18 HR, 17 SB), s’impose comme le parfait compromis entre tradition et modernité.
On notera enfin que Joe Maddon, qui veut toujours faire les choses différemment, a souvent décidé en 2017 de donner le poste de premier batteur des Cubs à Kyle Schwarber (.196/.312/.429, 17 HR, 114 SO), joueur lent et surpuissant, antithèse absolue de tout ce qu’est un leadoff hitter traditionnel.

#2 – Faire avancer la machine

Comme dans le cas du leadoff, le rôle du « 2-hole hitter » de Ligues Majeures a considérablement évolué ces dernières années, par rapport à son intitulé traditionnel. Historiquement, le rôle du second batteur se résume à faire avancer le premier, que ce soit par la frappe, le bunt, le walk ou encore le sacrifice. Si un bon niveau de présence sur base est indispensable, il y a vraiment une idée fixe qui est celle de faire avancer le premier coureur.
Du coup, on ne privilégiera pas forcément la puissance à ce poste, et l’on attendra du deuxième homme qu’il soit un bon joueur de contact, patient, capable d’éviter les strikeouts et les outs non-productifs. Le profil type de ce batteur est celui de DJ Le Mahieu (Rockies, .308/.370/.390, 136 H et 61 SO sur 441 AB en 2017), machine à Hits et parfaite rampe de lancement pour les grosses battes qui le suivent dans le lineup.

Si les qualités requises restent principalement la capacité à mettre la balle en jeu et à ne pas être retiré trop facilement, on ne se contente plus forcément aujourd’hui d’y mettre des spécialistes du short-ball, et il est de plus en plus fréquent de voir les Managers aligner leur tout meilleur frappeur à cette position. Le point commun entre Mike Trout (Angels, 2014), Josh Donaldson (Blue Jays, 2015) et Kris Bryant (Cubs, 2016) ? Ils ont remporté leur premier titre de MVP en passant le plus gros de la saison dans le 2-Hole. C’est aussi à cette position que Giancarlo Stanton (Marlins) a frappé 28 de ses 44 Home Runs cette saison.

#3 – Passer à la caisse

Si les deux premiers membres du lineup ont rempli leur mission, vous voilà maintenant avec au moins un joueur sur base et en position de marquer (on emploiera le terme Runner in Scoring Position (RISP) pour un coureur se trouvant au moins en deuxième base). C’est le moment de faire rentrer les points, et pour cela on se tournera vers le troisième joueur du batting order.
Ici, on ne parle pas juste de machine à coups-surs ou de frappeur en puissance, on cherche les deux. Et, si comme on l’a vu ci-dessus, le meilleur frappeur d’une équipe se retrouve parfois dans la position de deuxième batteur, il reste traditionnellement celui qui s’occupera de faire rentrer les points un tour plus loin. Capable de frapper aux alentours des .300 et d’enchainer les Hits, Doubles et Home Runs, le troisième batteur joue un rôle crucial dans les destinées de son équipe.
Pas un hasard, dès lors, que trois des sept plus gros producteurs de points de MLB battent principalement en troisième position : Nolan Arenado (Rockies, .310, 27 HR, 101 RBI – 1er), Paul Goldschmidt (D’Backs, .320, 28 HR, 93 RBI – 4e ex-aequo) et Bryce Harper (Nationals, .326, 29 HR, 87 RBI – 7e). Ajoutons que parmi les autres tauliers du poste, en 2017, on retrouve Joey Votto, Robinson Cano, Evan Longoria, Freddie Freeman ou Mike Trout, et l’on mesurera toute l’importance du troisième batteur.

#4 – Cleanup

Le quatrième frappeur, ou « cleanup hitter », n’est pas surnommé le nettoyeur pour rien. Il est là pour frapper, frapper très fort, nettoyer les bases et faire rentrer les coureurs qui pourraient encore se trouver là. Si le troisième homme a déjà fait le ménage, il s’occupera volontiers d’enfoncer le clou. Si les bases sont pleines, il se fera un plaisir d’expédier la balle au-delà des clôtures et d’inviter tout ce petit monde au marbre.
C’est le poste de prédilection des Khris Davis (Athletics) et des Adam Duvall (Reds), des Nelson Cruz (Mariners) ou des Edwin Encarnacion (Indians) ces hommes dont la moyenne au bâton approche rarement les .300, ces frappeurs de puissance qui concèdent plus de strikeouts qu’ils ne complètent de coups sûrs… ces monstres capables de frapper 30, 40, 50 Home Runs en une saison dans les ligues majeures.

Le Cleanup est souvent considéré comme l’une stars de son équipe, par sa capacité à empiler les Home Runs et, de la même manière, produire des points pour les siens. Il en est plus rarement LA superstar, en raison de son profil monotypique et de son incapacité chronique à aller au-delà du mode ON/OFF. Sur les 11 dernières saisons, seuls trois MVPs frappaient principalement en tant que cleanup : Ryan Howard (Phillies, 2006), Alex Rodriguez (Yankees, 2007) et Buster Posey (Giants, 2012).

#5, #6 – Les RBI-men

On l’a dit, le Cleanup Hitter typique a les défauts de ses qualités. Il frappe fort, et souvent au-delà des nuages, mais paye un lourd tribut en termes de retraits sur prise. Du coup, que faire quand les bases sont pleines avec un seul out ? Envoyer un deuxième bon slugger, si on en a un sous la main. C’est ainsi qu’Adam Duvall verra Eugenio Suarez lui succéder dans le batting order des Reds, que Kyle Seager suivra Nelson Cruz chez les Mariners ou que Jose Ramirez prendra le relais d’Encarnacion chez les Indians. On notera que cette stratégie de la double-gâchette amènera également le manager adverse à réfléchir à deux fois avant de laisser marcher intentionnellement un cleanup hitter.
A la recherche du RBI, le cinquième batteur aura pour mission de mettre la balle en jeu et de l’envoyer le plus loin possible. Au menu des Home Runs, des Extra Base Hits, quelques Sacrifice Flies, mais surtout pas de Double Plays.

Le profil du sixième batteur est sensiblement similaire, si ce n’est que la puissance y est moins critique, et les positions moins assises que dans le sommet de l’ordre de passage. On y trouvera quand même généralement un profil similaire à celui du cinquième batteur, et une mission similaire : produire les points avant de passer la main au bas du lineup. On y trouve aussi bien une machine à coups sûrs comme Anthony Rendon (Nationals, .302/.413/.622 et 55 RBI en position de sixième batteur, 0.305/0.397/0.457 ailleurs dans le lineup), la quatrième gâchette d’un lineup axé entièrement sur la puissance comme Scott Schebler (Reds) ou un grand slugger qui s’y refera la cerise en plein slump ou en retour de blessure.
Le sixième homme aura lui aussi pour mission de faire rentrer les points autant que possible, avant que le bas du lineup n’entre en action.

#7, #8 – En attendant le leadoff

On n’attendra pas de merveilles au bâton de la part de ces frappeurs. S’ils frappent en sept et huitième position, c’est parce qu’il fallait bien les mettre quelque part dans l’ordre de batte pour utiliser leurs autres qualités. On y trouvera notamment ces hommes indispensables en défense et pas forcément indiscutables au bâton, tels que Jackie Bradley Jr (Red Sox) ou Orlando Arcia (Brewers).
On y trouvera, le plus souvent en huitième position, la plupart des receveurs qui, s’ils excellent par leur vision du jeu et leur capacité à diriger l’effort défensif n’ont pour la plupart ni la moyenne, ni la puissance, ni la vitesse pour être vraiment utiles au cœur du lineup (parfois, évidemment, on croise un Mike Piazza ou un Buster Posey, et là c’est une toute autre histoire) et quelques lanceurs en National League, mais nous reviendrons là-dessus dans un instant…

Ces joueurs doivent tout de même assurer le minimum syndical, essayer de faire avancer un coureur, prendre les opportunités, placer un bunt ou un sacrifice fly si la situation le permet, assurer un coup sur s’ils le peuvent, éviter les strike-outs et si possible forcer le lanceur adverse à gâcher quelques pitchs, mais on n’attendra pas grand-chose de leur passage au bâton. Si tout se passe bien, ils viendront prendre un coussin et espèreront que le haut de l’ordre leur permette d’avancer vers le marbre.

#9 – La fin, et déjà le début    

Selon que votre équipe évoluera avec un lanceur-batteur, comme en National League, ou un Designated Hitter, comme en American League, le profil du neuvième homme sera totalement différent.
En National League, la dernière place du lineup est quasi-intégralement réservée au lanceur, et ses missions se décomposent généralement comme suit : placer un bunt s’il y a du monde sur base et moins de deux outs, tenter de frapper dans tout autre cas de figure. Cependant, quelques managers de National League préfèrent placer leur pitcher en huitième position de l’ordre de batte et utiliser le neuvième homme comme un leadoff hitter avant l’heure. On verra ainsi un Ichiro Suzuki (Marlins), un Pat Valaika (Rockies) ou un Jesús Aguilar (Brewers) ouvrir le prochain tour de lineup avant l’heure.
Cette stratégie du pre-leadoff hitter, si elle reste marginale en National League, est en revanche la norme en American League. Et on croisera en neuvième position des joueurs au véritable profil de leadoff. Byron Buxton y précèdera Brian Dozier pour les Twins, Jose Iglesias ouvrira la route à Ian Kinsler pour les Tigers, Jake Marisnick occupera le 9-Hole des Astros pour ouvrir la porte à Georges Springer. Bref, des batteurs plus que compétents pour lancer dans les meilleures conditions le prochain tour de batte de son équipe, et faire du troisième homme une sorte de cleanup hitter avant l’heure.

Voilà donc une brève explication des différents rôles et profils que vous pourrez retrouver dans un lineup de baseball. Evidemment, ceci n’est qu’une base, ne prenant pas en compte le fait que l’on n’alignera pas forcement le même batting order face à un lanceur droitier ou gaucher, selon le succès du dit lanceur face aux batteurs droitiers ou gauchers, selon les points forts et les points faibles de la défense adverse, selon son positionnement. Les facteurs sportifs, statistiques et humains sont innombrables et la construction d’un batting order reste et restera, tant que le baseball durera, l’un des exercices les plus mystérieusement complexes que le Sport ait à offrir.


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