Alors que les deux franchises maudites se livrent un beau duel dans ces World Series 2016 pour s’extirper définitivement de l’étiquette du perdant éternel, nous vous proposons un autre match, celui des franchises elles-mêmes. Nous allons tenter de savoir quelle est la plus importante d’entre elles et visiter leur histoire et leur présent à travers six catégories : Ancienneté, palmarès, Hall of Famers, impact sportif, poids économique, culture populaire. Si les Cubs semblent les favoris naturels de cette confrontation, les Indians ont du répondant. Chicago Cubs vs Cleveland Indians : faites vos jeux !
Ancienneté
Cubs : Les Cubs furent créés en 1876 en même temps que la National League of Base Ball Professionals Clubs, qui deviendra la National League actuelle, première des Ligues Majeures. En fait, l’équipe a officiellement débuté son aventure en 1870 sous le nom des Chicago White Stockings, qu’ils conserveront jusqu’en 1889, à une époque où les clubs professionnels se développent après les succès des Brooklyn Atlantics et des Cincinnati Red Stockings, première équipe de baseball ouvertement professionnelle en 1869.
Le club est donc l’un des historiques, un membre fondateur de la MLB.
D’ailleurs, ce nom des Chicago White Stockings ne vous parle pas un peu ? Normal, il s’agit de l’équipe qui participa au premier match officiel de baseball en France le 8 mars 1889. Et oui, les Cubs ont joué le premier match de baseball officiel en France contre une sélection All Star de joueurs des Ligues Majeures, à l’ombre de la Tour Eiffel.
Indians : Les Indians furent à l’origine un club de ligues mineures, les Rustlers de la ville de Grand Rapids. Fondés en 1894, ils jouent au sein de la Western League avant que celle-ci ne devienne l’American League en 1900, accédant au titre de Ligue Majeure l’année suivante. En 1900, les Rustlers migrent donc à Cleveland, prennent le nom de Lake Shores, puis celui de BlueBirds en 1901 quand l’équipe rejoint les Ligues Majeures. Il faut dire que Cleveland avait déjà une longue expérience en matière d’équipes professionnelles de baseball avec notamment les Cleveland Spiders en National League ou les Forest Citys de la National Association of Professional Base Ball Players, ancêtre de la MLB au début des années 1870.
Si les Cubs ont pris les noms de White Stockings, Colts et Orphans avant de devenir les Cubs en 1903, les Indians ont aussi recherché leur style : Lake Shores, Bluebirds, Broncos, Napoleons (ou Naps) et enfin les Indians en 1915. Napoléons ? Et oui, en 1901, Napoleon « Nap » Lajoie, né aux Etats-Unis mais de parents venant du Canada Français, est une star. Tellement qu’en 1903, le club est rebaptisé à son nom à la suite d’un concours lancé par un journal.
En fait, le club prend le nom Indians au départ de Lajoie à la fin de l’année 1914. Puisqu’il doit changer de nom, le club décide de reprendre le surnom des Cleveland Spiders, les Indians, surnom qu’ils avaient hérité pour avoir eu comme joueur un amérindien, Louis Sockalexis.
Avantage : Cubs. Et oui, si les Indians furent aux origines de l’American League, les Cubs le furent à celle de la National League, plus ancienne et première des Ligues Majeures. De plus, les Cubs ont joué un rôle important dans l’histoire du baseball français et ça, c’est un avantage énorme quand on est un fan de baseball en France.

Palmarès
Cubs :
World Series (2) : 1907, 1908
Ligue Nationale(17) : 1876, 1880, 1881, 1882, 1885, 1886, 1906, 1907, 1908, 1910, 1918, 1929, 1932, 1935, 1938, 1945, 2016.
Indians
World Series (2) : 1920, 1948
Ligue Américaine (6) : 1920, 1948, 1954, 1995, 1997, 2016
Avantage : Égalité. Si la ligne de palmarès est plus longue côté Cubs, remportant le premier titre des Ligues Majeures en 1876, celle des Indians est plus récente avec des World Series gagnées en 1948 contre 1908 pour les Cubs ou des titres en American League dans les années 90 alors que les fans des Cubs ont du attendre de 1945 à 2016 pour voir l’équipe remporter un trophée.
Une égalité qu’illustre finalement leur titre en ligue cette saison pour mettre fin à une réputation de losers. Enfin, l’un des deux sera moins winner que l’autre après les World Series…
Hall of Famers
Cubs : 48 ! C’est le nombre de joueurs ou managers élus au Temple de la Renommée du baseball américain sous la bannière des Cubs. On ne les citera pas tous mais certains noms ne vous seront peut-être pas inconnus : Albert Spalding, Ernie Banks, Ron Santo, Jimmie Foxx, Rogers Hornsby, Monte Irvin, Goose Gossage, Greg Maddux, Tony La Russa, Leo Durocher…
Indians : Un peu moins de Hall of Famers chez Cleveland avec tout de même 31 noms et pas des moindres : Nap Lajoie, Cy Young, Bob Feller, Hank Greenberg, Dave Winfield, Tris Speaker, Larry Doby, Frank Robinson ou encore Satchel Paige.
Avantage : Cubs. Léger, très léger avantage. Au nombre. Parce qu’au niveau des joueurs et managers, ça se discute. C’est vrai que l’avantage au nombre se comprend par l’ancienneté des Cubs qui ont connu les premières grandes stars du baseball comme King Kelly, première superstar people du baseball, ou Cap Anson. Et la liste des joueurs des Cubs au Hall of Fame est impressionnante. Mais celle des Indians l’est tout autant. Après, tout Cy Young a donné son nom au trophée de meilleur lanceur et Satchel Paige, arrivé sur le tard en MLB après une longue carrière en Negro Leagues, est sûrement le plus grand lanceur de tous les temps.
Dans chaque club, ces joueurs de légende ont marqué leur temps mais aussi l’histoire de ce jeu. En particulier Albert Spalding qui a été l’un des hommes les plus importants dans le développement des Cubs, du baseball professionnel et de l’internationalisation du baseball. La fameuse tournée mondiale de 1888-1889 amenant le premier match de baseball officiel en France… c’est lui !

Impact sportif
Cubs : Avant de devenir The Lovable Losers, les perdants magnifiques, les Cubs furent une machine à gagner. Ils remportent le premier titre de la toute nouvelle National League en 1876 et reconduisent cette performance cinq fois jusqu’en 1886, menés par les stars Albert Spalding, Deacon White, King Kelly et Cap Anson. Après un break, la machine à gagner revient sur le devant de la scène. Ils possèdent alors l’une des plus belles équipes de la Dead Ball Era avec des joueurs d’exception comme Mordecai “Three Fingers” Brown et le trio légendaire du double jeu Franck Chance, Johnny Evers et Joe Tinker. De 1906 à 1910, les Cubs dominent la National League avec quatre titres plus deux World Series, qui ont été créées seulement en 1903.
Il faut attendre les années 30 pour voir les Cubs redevenir une équipe compétitive dans la durée avec cinq titres entre 1929 et 1938 en NL mais toujours sans World Series depuis 1908 et dans une période où les Yankees de Lou Gehrig et Joe DiMaggio dominent outrageusement. L’équipe se compose alors de futurs Hall of Famers comme Tony Lazzeri ou Rogers Hornsby. Puis vient, après le titre en NL de 1945, Billy, son bouc et sa malédiction. Les Cubs deviennent les losers légendaires. L’équipe de 1969, malgré les Ron Santo, Ernie Banks, Ferguson Jenkins et autres joueurs de légende, ne parvient pas à vaincre la malédiction comme l’équipe de 2003 et sa Juiced Star Sammy Sosa, Moises Alou ou encore Carlos Zambrano.
Indians : Aux alentours des années 1910, les Indians comptent dans leurs rangs des joueurs incroyablement talentueux comme Shoeless Joe Jackson, Cy Young et Nap Lajoie. Pourtant, c’est une autre génération qui remporte les premiers titres de la franchise en 1920, emmenée par Tris Speaker. Puis vient les années 30/40 ou plutôt les années Bob Feller. Dans le sillage de ce lanceur à la rapide dévastatrice, le club se reconstruit avec l’apogée de l’année 1948 où Cleveland gagne à nouveau les World Series en s’appuyant aussi sur l’ouverture de la MLB aux afro-américains. L’équipe compte ainsi deux joueurs exceptionnels issus des Negro Leagues, Larry Doby et Satchel Paige. Le premier, embauché en 1947 quelques mois après Jackie Robinson, est le premier joueur afro-américain en American League.

Ce sont les dernières World Series de l’équipe. Après un sursaut avec un fanion de la ligue en 1954, s’inclinant en séries mondiales face aux New York Giants de Willy Mays et de son célèbre catch dos au jeu, les Indians vont passer 33 saisons à végéter avant de regagner un titre dans l’Américaine en 1995 puis en 1997. Malheureusement, cette dynastie qui aurait pu régner quelques années sur le baseball majeur en rencontra une plus forte avec les Yankees hyper dominateurs de cette fin de siècle. Mais durant ces années de disette, les Indians continueront d’écrire l’histoire avec notamment la nomination de Frank Robinson au poste de manager en 1975, une première pour un afro-américain au sein de la MLB.
Avantage : Égalité. Les Cubs ont connu plusieurs époques de domination avec des équipes rentrées dans la légende. Et même leurs équipes perdantes comme en 1969 avec le chat noir ou en 2003 avec l’incident Steve Bartman sont rentrées dans la légende du sport. En revanche, si les Indians n’ont pas, sportivement, une histoire aussi pleine, ils ont marqué l’histoire de la MLB autrement. Là où la ségrégation dans les Ligues Majeures a démarré en 1887 aux Chicago White Stockings avec Cap Anson comme principal artisan de la Color Line et alors que les Cubs furent à la traîne de l’ouverture provoquée par Jackie Robinson et les Brooklyn Dodgers en 1947, les Indians ont œuvré pour briser la barrière raciste dans la Ligue Américaine dès 1947 puis en 1975 en nommant Frank Robinson manager de l’équipe.
Poids économique
Cubs : La mythique franchise de Chicago est l’un des poids lourds de la MLB avec une valeur marchande de 2,2 milliards de dollars. Elle se classe 5ème dans le dernier classement Forbes de cette catégorie derrière les Yankees, les Dodgers, les Red Sox et les Giants. Si on étend ce classement au niveau mondial, les Cubs prennent une très honorable 21ème place. En 2015, les Cubs ont généré un revenu de 340 millions de dollars et ont dépensé 154 millions pour construire leur équipe. Si les Cubs ont toujours été une franchise importante, avec une des meilleures affluences au stade de la MLB, l’arrivée d’une nouvelle génération compétitive pouvant viser la victoire en World Series a boosté l’économie du club depuis deux ans.
Indians : Les Indians, eux, ne sont pas dans le top 50 des valeurs marchandes du monde sportif et se classe loin dans celui qui concerne la MLB avec une 27ème place derrière les Colorado Rockies et une valeur de 800 millions de dollars. En 2015, les Indians ont encaissé 220 millions de dollars et en ont dépensé 103 pour composer l’équipe. D’ailleurs, Cleveland connaît l’une des plus mauvaises affluences au stade des Ligues Majeures. Après deux années à l’avant dernière place dans ce domaine, les Indians ont progressé pour n’être que la 3ème pire affluence en 2016.
Avantage : Cubs. Si les Indians sont une franchise très identifiée et populaire en France, elle reste une franchise de seconde zone dans le monde du sport là où les Cubs, malgré une réputation de perdants magnifiques, sont un poids lourd, y compris au niveau mondial. Gagnants ou perdants, les Cubs profitent de l’image d’une histoire glorieuse et du troisième marché du sport US avec Chicago qui possède une population de 2,7 millions d’habitants pour la ville même et 9,7 millions pour l’agglomération de Windy City. Dans le même temps, Cleveland, c’est presque 400 000 habitants et 2 millions dans son agglomérarion. Ils ne boxent pas dans la même catégorie.
Impact dans la culture populaire
Cubs : Quand on parle des Cubs, c’est toute une mythologie qui se rappelle à vous. Une mythologie qui va au-delà du terrain et qui s’est traduit dans la culture, les arts, le cinéma, la télévision, la musique. C’est le trio légendaire du double jeu des Cubs des années 1900-1910 avec Joe Tinker, Johnny Evers et Frank Chance qui inspirèrent le célèbre poème Tinker to Evers to Chance. C’est Harry Caray, l’un des plus grands commentateurs du baseball, chantant avec la foule de Wrigley Field Take Me Out To The Ball Game.
C’est les Bleacher Bums, fans des Cubs qui inspirèrent Broadway et la télévision. C’est le film « Rookie of the Year » où un jeune lanceur de 12 ans amène les Cubs au titre suprême. C’est un stade mythique avec son mur de brique recouvert de lierre et son chapiteau rouge à l’entrée. C’est la chanson All The Way d’Eddie Vedder de Pearl Jam. C’est la scène mythique de Retour Vers le Futur II avec les Cubs gagnant les World Series en 2015 contre une équipe de Miami.
Indians : Les Indians ont aussi inspiré le cinéma d’Hollywood et cela a notamment donné deux films mythiques du baseball, Major League et Major League II (Les Indians et les Indians II en vf). Deux comédies où Charlie Sheen et Tom Berenger transforment une équipe de losers en winners. Comme dans « Rookie of the Year » avec les Cubs, Hollywood écrit une belle histoire avec happy end qui, à cette époque là, ne semble pas vraiment couler de source au regard des performances des équipes.
Les Indians, dans la culture populaire américaine, c’est surtout ce logo d’indien, Chief Wahoo, qui défraye la chronique depuis quelques années tandis que la communauté amérindienne demande le retrait de ce logo insultant, combat également mené auprès des Redskins de Washington.
Avantage : Cubs. Là encore, aucune comparaison possible. Si les Indians sont une franchise ancienne et ancrée dans l’histoire et la culture populaire américaine, particulièrement depuis les films Major League et Major League II, ils ne peuvent lutter contre les Cubs. Les stades de Cleveland (League Park, Cleveland Stadium et désormais Progressive Field) n’ont jamais eu la même force symbolique ni la même ambiance que Wrigley Field.
Si les deux franchises furent les représentants du symbolique perdant, les Cubs le furent avec plus de force, avec plus d’éclat. Ce qui s’est traduit par une mythologie Cubs bien particulière au sein du sport américain et donc de la culture populaire américaine. Quand l’Équipe Magazine consacre en 2012 un numéro aux losers du sport, il consacre plusieurs pages à l’équipe de Chicago. Ce fut aussi une des clés de la réussite économique du club jusqu’à aujourd’hui, les Cubs étant souvent le second club préféré de nombreux américains en dehors de la fanbase Cubbies.
Les Cubs occupent la place dans l’imaginaire américain depuis les débuts de la franchise en 1876. Avant même l’arrivée de la télévision, les affrontements des Cubs en National League face aux New York Giants de John McGraw ou les Pirates Pittsburgh d’Honus Wagner étaient légendaires. Tout comme les World Series face aux Detroit Tigers de Ty Cobb et les Philadelphie Athletics de Connie Mack. Depuis l’arrivée de la vidéo, les Indians ont placé, selon un classement de MLB Network, un match de légende, face aux Florida Marlins lors des World Series 1997. Les Cubs se retrouvent deux fois dans ce classement avec notamment le fameux incident Steve Bartman en 2003. Et sans compter l’épisode du chat noir aux NLCS 1969. Il n’y a pas photo. Les Cubs ont bien plus marqué les esprits américains, et au-delà, que les Indians.
Résultat
Victoire sans partage des Cubs avec quatre victoires et deux égalités pour zéro défaite.
Cleveland est une franchise qui compte dans l’histoire de la MLB. Elle a été à la pointe de l’ouverture de la MLB aux afro-américains, a connu des matchs de légende, accueilli des joueurs extraordinaires. Mais les Cubs, de par leur ancienneté et leur position dans une ville majeure du pays, ont toujours eu une position privilégiée dans l’histoire de ce sport. Une position acquise par leur statut de membre fondateur de la National League et par le fait que Chicago fut l’un des centres névralgiques du développement d’un baseball qui fut longtemps l’apanage de la côté Est.
D’ailleurs, c’est à Chicago que le softball fut créé et c’est à Chicago que certaines pages héroïques ou tragiques du baseball s’écrirent comme le scandale des Black Sox de 1919 avec l’autre franchise de Windy City, les White Sox. Enfin, c’est en particulier par les Cubs puis par les White Sox, à travers des tournées mondiales de la fin du 19ème siècle aux années 20, que le baseball s’exporta dans le monde, la France accueillant les premiers en 1889 et les seconds en 1914 puis 1924. On les en remercie !