Xavier Rolland : ” Les joueurs de baseball français sont peut-être les Africains du football”

Co-fondateur du club des Huskies de Rouen en 1986, Xavier Rolland le Président a mené son club jusqu’au sommet de l’élite française. Champion en titre, auréolé de 11 titres en 13 ans, Rouen a parfois pu rivaliser contre les clubs européens mais la fracture entre la France et ses voisins sur tous les plans reste importante. Pourquoi et comment réussir à attirer la MLB vers notre championnat ? Réponse avec Xavier Rolland.

XAVIER ROLLAND, HUSKIES

The Strike Out : Depuis la création du club en 1986, les Huskies ont franchi les étapes à pas de géant, depuis votre deuxième accession à l’élite en 2002, vous survolez les débats. L’an passé vous terminez -toutes compétitions nationales confondues- avec 37 victoires en 39 matchs. 

Xavier Rolland : C’est vrai. Avec 11 titres de champion sur les 13 dernières années et 7 challenges de France glanés sur 12, on ne peut être que satisfait. Ça récompense le travail des membres du club et des joueurs, toutefois cette domination n’est pas un très bon signal pour notre championnat. Année après année, nous le voyons bien, nous sommes dans une division à deux vitesses où le titre reviendra cette année encore à Montpellier (7-3), Sénart (10-0), ou à nous (10-0). Certaines équipes sont en progression, comme Toulouse, mais la différence entre le haut et bas de tableau est encore trop importante, à l’image du fossé qui sépare les derniers de D1 avec les premiers de D2.

Pour augmenter le challenge, il est nécessaire que les autres clubs se structurent mais ça ne se fera pas d’un claquement de doigt. À la fin de chaque année, mon principal soucis est de remotiver les joueurs, de les inciter à rester en forme pendant la trêve. Eux, gardent la même passion pour le jeu mais ont envie de défis. Certains d’entre d’eux, m’avaient même mis la pression pour que l’on puisse intégrer le très solide championnat hollandais. Je ne sais si les Bataves veulent de nous mais de toute manière ce n’est pas réalisable.

T.S.O : Des Néerlandais que vous ne rencontrerez pas cette année en Champions Cup  puisque Rouen devra se contenter de la 2ème Coupe d’Europe : la CEB… 

X.R : C’est rageant, on paye les mauvaises performances du PUC et du Sénart (avant-derniers de leur poule de Champions Cup, NDLR) en juin 2015. La France a donc perdu ses places dans le top 8, chose qu’on avait toujours réussi à éviter en près de 10 ans de présence dans l’élite européenne. Mais c’est de notre faute, nous avions qu’à remporter le championnat en 2014…

T.S.O : Qu’est ce qui explique cette défaillance en 2014 (élimination en demi-finale du challenge de France et défaite au même stade contre le PUC en playoffs de D1) ? 

X.R : Je vais tenter une comparaison osée mais j’ai senti mes joueurs un peu comme ceux du PSG en foot, assez peu motivés par le championnat mais dopés par l’Europe. Lors de cette campagne de Champions Cup, on bat les Italiens et les Allemands avant de s’incliner lors d’un match qui aurait pu nous envoyer en finale contre les futurs champions : San Marin. Durant cette période, les joueurs ont l’impression de vivre comme des pros, ils jouent dans des grands stades contre parfois des anciens baseballeurs de MLB et c’est très stimulant pour eux.

T.S.O : Une sacré performance car depuis la création de la plus grande épreuve européenne en 1963, seulement trois nations (Italie, Espagne et Hollande) l’ont remportée et seulement les transalpins et les bataves depuis 1969. Qu’est ce qui nous empêche de rivaliser avec ces nations ? 

X.R : Nous on part de zéro. On manque de structures, de clubs solides, même si les choses évoluent, on est très en retard. Si on regarde chez nos voisins européens, à Rotterdam il y a un stade de 12 000 personnes, en Italie, Parme a investi 6 millions d’euros dans un nouveau stade où les gens peuvent manger sur place ou se rendre dans les boutiques. Ils peuvent se permettre de faire des entrées payantes, tous ces facteurs font de leur baseball une économie à part entière. Nous sommes des amateurs en France, on ne paye pas les joueurs donc on ne joue pas vraiment dans la même division. On a un immense chantier à réaliser dans l’Hexagone, il faut développer le baseball dans les grandes villes où les bassins de population sont importants et de préférence là où il y a de la place pour un autre sport. Comme à Chartres. Clermont s’y met aussi avec des bonnes installations et réalise d’ailleurs un début de saison très correct [5-5, NDLR]. Le baseball français progresse c’est indubitable, il y a 20 ans on jouait sur des terrains de foot et j’avais un niveau qui me permettrait simplement d’évoluer aujourd’hui dans l’équipe 2 -sinon 3- de Rouen. Il faut être un bon joueur de baseball pour s’imposer dans notre D1 aujourd’hui. C’est très insuffisant si on compare cela à nos voisins européens mais ça bouge.

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T.S.O : La volonté est donc bien présente pour faire évoluer notre championnat ? 

X.R : Elle est en tous cas nécessaire, en amenant le baseball dans une ville on part de zéro. À Rouen, on a dû monter des bureaux, un terrain, aller chercher des licenciés, des partenaires, convaincre les élus… bref un travail colossal. J’ai l’impression d’être à la tête d’une PME, je passe deux ou trois heures chaque soir pour le club, ça demande un vrai investissement de la part des dirigeants.

T.S.O : Qu’est-ce qui nous manque ? 

X.R : Il y a un manque de compétence à la tête de certains clubs, il faut des personnes avec un vrai projet. C’est le risque qui plane au-dessus de notre baseball, si on prend l’exemple de l’Allemagne, il y a 6 équipes qui peuvent prétendre au titre de champion chaque année. On ne peut pas se contenter d’un championnat à trois. Nos joueurs risquent de partir davantage et se diriger vers des ligues plus attrayantes. Si Rouen est arrivé à rivaliser sur le terrain contre les hollandais et les italiens, côté infrastructures on n’y est pas du tout. D’autant que nos voisins européens sont professionnels (Italie/Hollande) ou semi-pro (Allemagne/Tchèque). Notre championnat de France est à deux vitesses, mais l’Europe risque de le devenir aussi alors il ne faut pas rater le train en marche, d’où l’idée de la création d’une Euroligue.

T.S.O : Vous pouvez nous expliquer l’idée principale de ce projet ? 

X.R : On s’était réuni à Amsterdam avec les présidents des grands clubs européens pour créer une ligue en parallèle de nos championnats domestiques. Un peu à l’image des ligues indépendantes américaines. Ceci nous permettrait de nous confronter chaque année à la crème de la crème, ça nous fera évoluer, on sera capable d’attirer davantage de joueurs et donner de l’envergure au baseball en France. L’idée est bonne, les premiers matchs d’Euroligue auront d’ailleurs lieu en 2016 mais difficile à mettre en place pour nous ; on jouerait le week-end en championnat national et la semaine en Euroligue, à Barcelone, Bologne ou Prague. Traverser l’Europe coûte cher mais ça requiert une disponibilité des garçons et comme ils travaillent ou sont étudiants, c’est loin d’être simple.

T.S.O : Cette initiative permettrait d’attirer le regard de l’étranger vers la France, car la MLB ne semble pas être très intéressée par notre championnat…

X.R : Non ils sont tournés vers les Tchèques, les Hollandais ou les Allemands. Ces nations ont des joueurs en Minors ou en Majors et c’est ce qui nous fait cruellement défaut. Lorsque l’on a envoyé nos jeunes à Cleveland, j’ai rencontré le boss des Indians, Chris Antonetti. Je lui ai dit qu’on était prêt à tout pour collaborer avec eux, d’autant que Cleveland et Rouen sont des villes jumelées. On a besoin de la MLB. Récemment les Indians ont ouvert un centre d’entrainement en République Dominicaine pour un montant de 100 millions de dollars. On ne peut pas les blâmer de faire confiance à une nation qui produit les meilleurs talents, mais l’avantage des joueurs français c’est qu’ils peuvent devenir pour le baseball  les africains du football. Quand ils prennent Joris Bert en 2007 (Dodgers) ou Frédéric Hanvi en 2009 (Twins), les clubs français ne reçoivent aucune compensation financière, c’est tout bénéf’ pour eux.

Après on a manqué une occasion en or d’attirer le monde du baseball en France. En 2009, l’IBAF ( Fédération internationale de baseball) a voulu organiser en France une poule qualificative pour la Coupe du Monde, on s’est porté candidat mais la Fédération a refusé. Sans même nous prévenir. Elle avait peur de perdre de l’argent et de ne pas être en mesure d’organiser un tel événement, on était prêt à assumer toutes les pertes financières mais rien à faire… ça a été très chaud entre la Fédé et Rouen pendant cette période. Du coup, ce sont les Allemands de Regensburg qui ont accueilli l’événement et la MLB vient de leur payer les vestiaires de leur nouveau stade. Ce genre d’événement permet de développer beaucoup de choses, de créer une place forte en Europe, d’attirer le regard de la MLB et des scouts.

T.S.O : Vous avez des échanges avec la MLB ?

X.R : Ils ont essayé pendant un an d’envoyer des coachs américains dans les clubs français mais ça n’a pas marché. Des coaches du Pole France sont aussi invités parfois aux USA pour prendre de l’expérience.

T.S.O : Cette année des joueurs du continent américain, Mike Taylor [reparti aux USA le 28 avril pour cause de problème familial, NDLR] et Andrew Medeiros et à Rouen, Jimmy Jensen et Mc Nabb à Senart, Harvey Garcia, Jean Scavo et Alexander Perdomo à Toulouse sont arrivés en France, comment réussir à les attirer ? 

X.R : Faut bien savoir qu’on ne paye pas les joueurs. Seulement le logement et le billet d’avion. On insiste sur le fait que c’est une occasion unique pour eux de découvrir l’Europe et donc une nouvelle culture. C’est très bénéfique pour nous.

T.S.O : Qu’est ce qu’ils vous apporte ?

X.R : D’excellentes stats déjà. Ils ne doivent pas pour autant constituer la force vive de l’équipe. Si on prend les meilleures équipes françaises, les 4/5 premiers batteurs sont tous de niveau équivalent, c’est dans la profondeur de l’effectif que les titres se jouent. Sinon, quand vous faites venir en France, des joueurs qui ont évolué en Minors ou parfois même en MLB, ils apportent beaucoup d’expérience. Nos joueurs s’inspire d’eux, de leur manière de se concentrer et de se préparer. Ils sont très investis dans le club, rencontrer nos sponsors, font même des animations dans les entreprises ou auprès des jeunes, on a besoin de cette locomotive, de cette vitrine pour évoluer.

T.S.O : En terme de “boost” vous allez recevoir cette année la CEB, quelles sont vos attentes ? 

X.R : On espère faire venir les 1 500 personnes que peut contenir notre stade. Il y aura des centaines d’affiches dans la ville et de la promotion. Ça sera une motivation supplémentaire pour les joueurs de gagner la coupe.

T.S.O : Enfin, si l’on sort un peu du cadre de Rouen, Eric Gagné a récemment été démis de ses fonctions à la tête de l’équipe de France malgré des bons résultats, vous comprenez ce choix ? 

X.R : Eric Gagné a donné de la confiance aux joueurs, en témoigne les bons résultats en qualification de la WBC, il le fallait car j’ai trop souvent vu des Français résignés d’avance. Contre les meilleures équipes européennes, l’EDF envoyait parfois son 7ème ou 8ème lanceur considérant que le match était perdu d’avance. L’équipe de France va avoir un excellent coach. Mattison connait bien la France, les joueurs français et leur mentalité. C’était peut-être là le problème de Gagné, passer des Dodgers à des joueurs amateurs, le choc était un peu trop brutal. Je suis très confiant pour Mattison il a fait un excellent boulot au PUC et a pris de l’expérience en travaillant pour Pittsburgh.

 


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