Rickwood Field : Un stade sacré

Ce jeudi 20 juin 2024, la MLB délocalise l’un de ses matchs de saison régulière dans l’Alabama. Les San Francisco Giants et les St-Louis Cardinals joueront à Birmingham sur la pelouse de Rickwood Field, l’antre notamment des Black Barons de Negro Leagues pendant près de 40 ans. Plus de 180 Hall of Famers ont foulé l’herbe et la terre battue de ce stade mythique de l’Histoire du baseball, dont le regretté Willie Mays qui vient de nous quitter. La rédac de The Strike Out vous emmène à la découverte de Rickwood Field en quelques dates clés.

Rickwood Field, plus vieux stade professionnel des Etats-Unis – Photo MLB

1910

C’est par cette date que débute l’histoire de Rickwood Field. Son année d’ouverture… deux ans avant Fenway Park à Boston, quatre avant Wrigley Field à Chicago. Depuis la démolition de Comiskey Park (inauguré aussi en 1910) à Chicago, Rickwood Field est ainsi considéré comme le plus vieux stade de baseball professionnel encore en usage aux Etats-Unis. Plus de 10 000 spectateurs vont assister au premier match des Birmingham Barons contre les Montgomery Climbers (victoire 3-2) dans ce qui s’appelait alors la Southern Association. Précisons quand même que le baseball à Birmingham remontait déjà au siècle précédent, à 1885 avec une équipe appelée les Coal Barons.

Le stade flambant neuf de l’Alabama attire très rapidement les convoitises. Ainsi les Philadelphia Phillies y organisent leur Spring Training en 1911, avec un premier match justement contre les Barons. Les Pittsburgh Pirates feront de même en 2019. De 1912 à 1927, l’équipe universitaire des Crimson Tide de la fac de l’Alabama dispute aussi ses rencontres à Rickwood.

1924

Les Blacks Barons partagent Rickwood avec les Barons – Photo MLB

C’est la deuxième date marquante dans l’histoire de Rickwood Field : les débuts des Black Barons dans les toutes jeunes Negro Leagues, créées officiellement en 1920 et réservées aux joueurs noirs interdits d’évoluer en MLB dans ces Etats-Unis de la ségrégation. Les Black Barons partagent leur enceinte avec la franchise des Barons où n’évoluent que des joueurs blancs. On ne peut en fait pas dire vraiment « partagent » car ils ne peuvent y jouer que le dimanche et pendant les road trips des Barons. En revanche, les affluences et l’enthousiasme sont bien plus importants quand ce sont les Black Barons qui l’occupent selon les témoignages de l’époque. Ces derniers ne jouent pas les premiers rôles dans cette première Ligue noire dominée jusqu’aux débuts des années 30 par les Kansas City Monarchs et les St-Louis Stars.

1927

Un an après avoir débuté sa carrière pro sous l’uniforme des Chattanooga Black Lookouts, équipe de Minor League des Negro Leagues, un lanceur droitier de 20 ans enfile le maillot des Black Barons. Leroy « Satchel » Paige dispute 86 matchs jusqu’en 1930 avant de faire les beaux jours des Kansas City Monarchs puis de basculer en MLB, comme le feront par la suite Willie Mays, Hank Aaron ou Jackie Robinson. Satchel Paige est la première grande star de Rickwood Field, sans doute le plus grand lanceur de l’Histoire du baseball.

En parallèle des prestations des Black Barons, les Barons continuent eux aussi leur aventure à Rickwood Field. Entre 1928 et 1967, ils disputent à huit reprises la Dixie Series, sorte de World Series entre le vainqueur de la Southern League (dont ils font partie) et celui de la Texas League. Ils remportent même le titre à 6 reprises.

1933 

Une deuxième version des Negro Leagues voit le jour. Les Black Barons remportent le pennant en American League en 1943, 1944 et 1948, mais s’inclinent à 3 reprises lors des Negro League World Series contre le même adversaire : les Homestead Grays, champions de National League. A noter qu’à l’époque, les matchs de la Finale ne se déroulait pas exclusivement dans l’antre principale des deux équipes participantes. Ainsi un seul match des WS en 1943 se joue à Birmingham, le 7e (il en a fallu 8 cette saison-là pour départager Black Barons et Grays après un match nul dans le 2e et ce 8e sera disputé à Montgomery dans l’Alabama) ; 2 matchs au Rickwood Field en 1944 et 3 (plus logiquement) en 1948 (décidément une année spéciale pour le stade, voir plus loin). Entre 1940 et 1950, pas moins de 12 joueurs différents des Black Barons vont disputer le Negro League East-West All-Star game qui se tient traditionnellement à Comiskey Park (Chicago).

A l’occasion de ces World Series de 1943 et 1944, on retrouve dans l’équipe adverse des Grays, une star du jeu : Josh Gibson. Il y a quelques jours, le catcheur est devenu le leader all-time de MLB en moyenne en carrière (.373), en slugging en carrière (.718) et en OPS (1.176), sans avoir pourtant jamais évolué en MLB, mais après l’intégration officielle des statistiques des Negro Leagues à celles des Majeurs.

1948

Willie Mays, adolescent star des Black Barons, légende absolue de notre sport – Photo MLB

Un Lycéen de 17 ans, natif comme Paige de ce même état de l’Alabama, fait ses débuts avec les Black Barons. Il s’appelle Willie Mays. L’adolescent a débuté deux ans plus tôt, oui oui à 15 ans, chez les Chattanooga Choo-Choos, une équipe de Minor League. En cette été 48 (quand ses cours au lycée sont terminés), il dispute 13 matchs (10 hits) et contribue à la victoire des Black Barons en American League avant de s’incliner lors des toutes dernières Negro Leagues World Series de l’histoire face aux Homestead Grays. Il jouera à Birmingham les deux étés suivants avant de signer en MLB chez les New York Giants à sa sortie du lycée… and the rest is history

1950’s

Les meilleurs joueurs de Negro Leagues sont signés par les équipes MLB après que Jackie Robinson ait cassé la fameuse color barrier en 1947. La Ligue s’éteint doucement et les franchises s’organisent autour d’autres championnats comme les Black Barons qui créent une nouvelle ligue avec trois autres équipes des états du sud.

1963

Les Black Barons disputent leur dernière saison professionnelle et tombent dans l’oubli comme toutes les équipes de Negro League avec la prise de pouvoir de la MLB et ses stars. Les Barons eux existent toujours et en 1946 leur GM, Glynn West, achètent 1000 sièges en bois d’une autre enceinte mythique, Polo Ground, pour les installer à Rickwood. Polo Ground dans l’Upper Manhattan, c’était la maison des New York Giants de 1883 à 1957, et donc la maison d’un certain Willie Mays, avant le déménagement de la franchise à San Francisco. Les équipes de MLB continuent de fréquenter Rickwood Field, comme les Phillies et les Pirates en 1965 pour des matchs de pré-saison.  

1966

Le nouveau propriétaire du stade, Charlie Finley, prend la decision de se séparer des Barons pour faire venir à Birmingham l’équipe de Double A affiliée jusque-là aux Kansas City Athletics. Ainsi naissent les Birmingham A’s où évoluera un certain Reggie Jackson ! En cette même année 1966, un match d’exhibition est organisé entre une équipe All-Stars de la Southern League et les Atlanta Braves. Mais il est annulé au dernier moment à cause d’un risque imminent de tornade, au grand dam des 14 000 spectateurs de Rickwood.

1981

Les Birmingham Barons sont de retour ! L’équipe de Double A arrive de Montgomery, toujours dans l’Alabama, où elle était connue sous le nom des Montgomery Rebels. Elle est l’équipe école des Tigers puis à partir de 1986 des Chicago White Sox (ce qui est encore le cas aujourd’hui). De 1981 à 1987, les Barons disputent leurs matchs à domicile à Rickwood.

Les Barons avec les uniformes d’époque lors de la « Rickwood Classic » – Photo MLB

1988

Les Barons déménagent au Hoover Metropolitan Stadium dans la ville voisine de Hoover. C’est notamment là qu’a évolué la légende NBA Michael Jordan en 1994 lors de son essai pour rejoindre la MLB. Une fois par saison est quand même organisé la « Rickwood Classic » qui voit l’équipe revenir dans son stade historique et même revêtir les maillots floqués du « B » emblématique.

2013

Retour de l’équipe à Birmingham en 2013 mais pas à Rickwood Field, à Regions Field dans le sud de la ville. Le stade historique accueille des matchs des Barons ponctuellement, une fois par saison jusqu’en 2019. Mais il est autrement occupé par l’équipe de baseball de l’université Miles College, qui fait partie de la Ligue des Historically black colleges and universities (HBCU), les « universités historiquement noires » comme un clin d’œil au passé des Black Barons.

4 août 2023

Annonce de l’évènement : « MLB at Rickwood Field: A Tribute to the Negro Leagues » avec 3 jours de festivités prévus l’année suivante. En point d’orgue, un match de saison régulière opposant les St. Louis Cardinals et les San Francisco Giants. Les deux villes ont vu évoluer chez elles des équipes de Negro Leagues : les Stars d’un côté et les Sea Lions de l’autre. D’ailleurs, les maillots portés jeudi seront des répliques de ces deux équipes.

18 juin 2024

Alors que les festivités ont débuté à Rickwood Field avec un match de Double A entre les Birmingham Barons (aux couleurs des Black Barons) et des Montgomery Biscuits (aux couleurs des Gray Sox), le speaker du stade annonce avant le début de la 8e manche le décès de Willie Mays. Une photo de la Légende apparait sur l’écran géant et l’émotion saisie les 8 000 spectateurs. Quelques jours auparavant, Mays avait annoncé dans un communiqué devoir annuler sa venue à Rickwood le jeudi pour des raisons de santé. Il avait été invité par la MLB comme les 157 joueurs de Negro League encore en vie. Une soixantaine pourraient être présents. Hasard de la vie que ce décès de Willie Mays à quelques jours d’un grand hommage qui devait lui être rendu. Il le sera évidemment mais avec une émotion démultipliée.

The Say Hey Kid nous a quittés 48h avant le match MLB à Rickwood Field

19 juin 2024

Avant le match MLB de jeudi, un autre rendez-vous ce mercredi à Rickwood : un match de softball disputé par une pléiade de célébrités, réparties dans deux équipes : les « Hammers », du nom de Hank Aaron, autre légende immense passée par les Negro Leagues avant la MLB (décédé en 2021) et les « Say Heys », du nom de Mays. Les capitaines honorifiques de ces deux équipes : Derek Jeter et Barry Bonds, filleul de Mays et lui-même porteur du maillot des Giants pendant 14 saisons.

Le stade des Géants

Dans toute son histoire, Rickwood Field a vu passer les plus grands. C’est simple, plus de la moitié des joueurs, coachs, dirigeants ou arbitres élus au Hall of Fame ont un jour foulé la pelouse de Rickwood Field, soit 181 membres de Cooperstown. On a déjà parlé de Willie Mays, Satchel Paige, Hank Aaron, Josh Gibson, Jackie Robinson, Reggie Jackson… mais on citera aussi s’il vous plait Babe Ruth, Lou Gehrig, Ty Cobb, Mickey Mantle, Stan Musial, Honus Wagner, Shoeless Joe Jackson, Christy Mathewson, Walter Johnson, Ernie Banks, Larry Doby, Roy Campanella Joe DiMaggio, Yogi Berra, Duke Snider, Roberto Clemente, Frank Robinson, Frank Thomas, Bo Jackson… tous les plus grands on vous dit!!!!

La principale raison de ce défilé de vedettes MLB lors des âges d’or de la MLB et des Negro Leagues ? Dans la première moitié du XXe siècle, la ville de Birmingham était un carrefour ferroviaire majeur aux Etats-Unis. Les équipes de MLB de l’Est et du nord du pays y passaient forcément au retour de leur Spring Training en Floride.

Rickwood Field est depuis 1993 inscrit au registre national des monuments historiques des Etats-Unis.

La plaque qui immortalise les fondations de Rickwood Field –
Photo The Historical Marker Database

Bonus

  • Pour en savoir plus sur l’immense carrière de Willie Mays, c’est ici.
  • Pour en savoir plus sur les Negro Leagues, c’est par là.

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