WBC 2023 – Panama : Les panaméens de la famille Pirates des seventies

Du 8 au 21 mars prochains, se tiendra une compétition très attendue par les fans de baseball du monde entier, la World Baseball Classic. Regroupant les vingt nations les plus fortes du moment, la WBC 2023 promet un crû exceptionnel à la lecture des premiers rosters publiés. Jusqu’à l’ouverture du tournoi, The Strike Out vous propose de découvrir chaque jour l’un des pays participants sous l’angle de l’actualité ou de l’histoire. Interviews, récits historiques, biographies ou présentation de championnats, vibrez baseball international avec TSO. L’histoire du jour nous ramène aux seventies quand trois joueurs du Panama marquèrent de leur empreinte l’âge d’or des Pirates de Pittsburgh.

Il est deux hommes qui rappellent que le Panama est aussi un pays de baseball, deux légendes membres du Hall of Fame, Rod Carew et, plus récemment, Mariano Rivera. Le premier, membre du club fermé des 3000 hits, a été l’une des grandes stars des seventies, collectionnant 18 sélections au All Star Game entre 1967 et 1984, agrémenté du ROY 1967 et du MVP 1977 dans la Ligue Américaine alors qu’il évoluait pour les Minnesota Twins. Le second est tout simplement le plus grand closer de tous les temps et le seul membre élu au Hall of Fame à l’unanimité. Rivera fut un membre du Core Four, cette dynastie aux cinq World Series des New York Yankees entre 1996 et 2009, avec Derek Jeter, Jorge Posada et Andy Pettitte. Mais le baseball panaméen offrit à la MLB d’autres grands joueurs. Parmi eux, Manny Sanguillén fut l’un des meilleurs receveurs des années 1970. Avec deux autres compatriotes, Rennie Stennet et Omar Moreno, ils firent les beaux jours de la flamboyante décennie 70’s des Pirates de Pittsburgh, œuvrant tout les trois dans l’équipe de 1979 qui remporta les World Series et dont l’hymne fut le titre disco du groupe Sister Sledge, We Are Family.

Les origines du baseball à Panama restent incertaines mais les premiers matchs joués ont pu avoir lieu au milieu des années 1850 quand de nombreux Américains travaillent dans la région, notamment pour développer le commerce et les chemins de fer dans ce qui est encore un territoire rattaché à la Colombie (le Panama devient indépendant en 1903). Le premier match officiel connu eut lieu le 9 janvier 1883 entre le Panama Cricket and Baseball Club et une équipe de la province de Chiriqui. Néanmoins, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour voir le baseball panaméen conquérir les sphères professionnelles. En raison de la Color Line en vigueur en MLB, les premières stars du Panama vont évoluer en Negro Leagues, comme Pat Scantlebury entre 1944 et 1950 ou Leon Kellman qui sera quatre fois All-Star dans les Ligues Noires. Durant cette période, est fondé le premier championnat professionnel de baseball du Panama en 1946, qui devient lié à la MLB dès 1948. Il opérera jusqu’en 1972 avant de renaître en 2001. Bien que le baseball panaméen n’atteigne pas le niveau de développement de pays comme Cuba, le Mexique ou la République Dominicaine, son championnat devient rapidement l’un des meilleurs des Caraïbes, permettant l’émergence des stars panaméennes des Negro Leagues puis de la MLB.

Le premier joueur du Panama en MLB est Humberto Robinson en 1955 avec les Milwaukee Braves mais c’est Hector Lopez, arrivé la même année en MLB, qui va populariser la présence des joueurs de Panama dans les Ligues Majeures, quand il rejoint les Yankees en 1959, où il est titulaire aux côtés des Mickey Mantle, Roger Maris et autres Yogi Berra. La plus célèbre des équipes de baseball, alors en pleine période de domination, offre une vitrine aux joueurs venant d’un pays connu essentiellement pour son canal, contrôlé par les Américains eux-mêmes. Humberto Robinson et Hector Lopez vont ouvrir la voie et, dès les années 1970, plusieurs joueurs panaméens vont prendre une place importante au sein de la MLB. Si le plus connu est Rod Carew, on peut également citer Ben Oglivie, trois fois All Star et Home Run King de la Ligue Américaine en 1980 ou Juan Berenguer, solide lanceur en Ligues Majeures de 1978 à 1992. Dans cette liste, trois joueurs des Pirates de Pittsburgh de 1979 font bonne figure, et bien plus encore : Manny Sanguillén, Rennie Stennet et Omar Moreno.

Les Pirates viennent de remporter les World Series 1979

1979. Les Pirates de Pittsburgh terminent une décennie historique à bien des égards (deux titres de World Series, plusieurs qualifications en playoffs, des joueurs iconiques, un no-hitter sous LSD, le premier lineup 100% noir et la mort tragique de Roberto Clemente) par un titre de champion face à une autre grande équipe de l’époque, les Orioles de Baltimore, ceux-là même qui avaient remporté les premières World Series des seventies, en 1970, avec une des équipes considérées comme top 10 All-Time. Les World Series 1979 furent d’ailleurs un remake des World Series de 1971 et, dans les deux cas, les Pirates s’imposèrent après une âpre série de sept rencontres face aux Orioles.

Les Pirates sont menés par Willie Stargell et Dave Parker. Stargell est la grande star de l’équipe. Cette saison-là, il remporte le titre de MVP en Ligue Nationale, en finale de la Ligue Nationale et celui des World Series. Le seul MVP qui lui échappe, c’est celui du All-Star Game qui échoie à son coéquipier, Dave Parker. Parmi les autres piliers de l’équipe, deux panaméens, Omar Moreno et Rennie Stennet, un outfielder et un infielder. Sur le banc, un troisième joueur du Panama, le receveur Manny Sanguillén, dont les années de gloire sont derrière lui. 1979 est son avant-dernière saison dans les Majeures.

Alors qui sont ces trois panaméens qui ont compté dans la plus épique époque de la franchise de Pittsburgh ?

Le premier joueur a débarqué chez les Pirates, c’est Manny Sanguillén dit Sangy. Il commence dans le Show en 1967 avant de s’y installer durablement en 1969, alors que les Pirates retrouvent les playoffs depuis leur titre de 1960. C’est un ancien joueur des Ligues Mineures qui a grandi au Panama, Herb Raybourne, qui détecte le potentiel de Sanguillén et qui l’introduit chez les Pirates. C’est ce même Raybourne qui se chargera du recrutement d’un jeune pêcheur de 17 ans du Panama, un certain Mariano Rivera. Sanguillén ne deviendra pas un Hall of Famer mais il va tout de même marquer l’histoire des catchers en MLB en étant top 10 de tous les temps pour la moyenne de frappe par un receveur et le 4ème depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cela place le joueur dans la performance sportive. En fait, Sanguillén aurait pu être le meilleur receveur de la National League si Johnny Bench n’avait pas existé. Mais là où Bench avait l’atout de la puissance, la capacité de Sanguillén est de prendre peu de strikeouts et, surtout, d’être un bad ball hitter. En effet, très constant, les lanceurs avaient pris l’habitude de lancer des mauvaises balles contre lui. Pour contrer leur stratégie, il avait appris à frapper des hits sur des balles hors zones. Ses capacités offensives, couplées avec une bonne défense et un bras puissant, firent de lui un receveur élite, pilier de l’équipe des Pirates qui remportent les World Series 1971. C’est d’ailleurs durant ce run vers le titre qu’il connaîtra sa meilleure saison personnelle et la première de ses trois sélections au All-Star Game.

Manny Sanguillén

Une saison qui le verra, avec huit autres coéquipiers, faire l’histoire le 1er septembre avec le premier lineup composé uniquement de joueurs noirs, africain-américains ou latin-américains. Parmi ces huit autres joueurs, on trouve évidemment Roberto Clemente, Willie Stargell et monsieur « je lance un no-hitter sous LSD en 1970 » Dock Ellis ; mais aussi un autre panaméen, le seconde base Rennie Stennet, que Sanguillén connaît bien puisqu’il avait eu l’occasion de le catcher au pays alors de Stennet était encore un jeune lanceur. D’ailleurs, la batterie avait dû trouver un moyen de communiquer car, s’ils étaient du même pays, ils ne parlaient pas la même langue. Stennet ayant grandi dans la zone du canal de Panama, sous contrôle et influence américaine, il ne parlait que l’anglais, alors que Sanguillén, originaire de Colon, parlait uniquement espagnol.

L’année 1972 est encore une bonne année pour Sangy, avec une deuxième sélection au ASG. Cependant, elle va se terminer tragiquement. En décembre, il se trouve à Puerto Rico avec son grand ami Roberto Clemente, qui est le joueur-manager des Senadores de San Juan. Rennie Stennet est là également ainsi que d’autres joueurs des Pirates. Le 23 décembre, un terrible tremblement de terre meurtrier touche le Nicaragua. Devant la souffrance du peuple nicaraguayen, Clemente, connu pour ses actions sociales envers les plus démunis, affrète un avion pour se rendre sur les lieux avec de l’aide humanitaire. Sanguillén, qui a aidé à récolter des fonds pour cette aide humanitaire, doit revoir Clemente avant son départ et peut-être même faire partie du voyage mais il manque son ami, ayant perdu ses clés de voiture pour aller à sa rencontre à temps. Cela va lui sauver la vie. Peu de temps après le décollage, l’avion se crashe en pleine mer et Clemente disparaît tragiquement.

Alors qu’il est à une fête, il apprend qu’un crash d’avion vient d’avoir lieu dans le secteur mais il ne fait pas encore le lien avec Clemente. C’est finalement un journaliste local qui vient l’en informer dans la nuit alors qu’il dort à son appartement. Sanguillén est effondré mais il garde espoir de retrouver son ami. Excellent nageur, il se joint aux secours et plonge dans une mer agitée pendant des heures malgré la présence de requins dans la zone. Mais point de Clemente. Seul le corps du pilote est retrouvé. Quelques jours après, le joueur continue d’arpenter les plages pour essayer de retrouver le corps de celui qu’il considère comme son grand frère, au cas où celui-ci se serait échoué. Une quête éperdue à la recherche de son ami qui lui fera manquer les funérailles du numéro 21. Au-delà du panaméen, la disparition de Roberto Clemente sera un drame national à Puerto Rico et aux États-Unis.

Manny Sanguillén était venu à Puerto Rico pour rester en forme et se former au champ extérieur. Ironiquement, les Pirates souhaitent qu’il prenne la place de Clemente au champ droit. Mais l’expérience sera un échec et il retrouve sa place derrière le marbre. Toujours solide avec sa batte, il est une valeur sûre et donc une valeur à marchander. En 1977, il est tradé aux A’s d’Oakland contre le manager Chuck Tanner. Cela ne dure qu’un an puisqu’il est à nouveau tradé des A’s vers les Pirates la saison suivante, saison où il bouge également du poste de receveur à celui de première base. Avec déjà 10 ans saisons en MLB, Sanguillén débute son déclin. S’il gagne son deuxième titre avec les Pirates en 1979, c’est dans un rôle de remplaçant avec seulement 56 matchs joués en saison régulière. Cela ne l’empêche pas de frapper un simple décisif pour permettre la victoire des Pirates dans le match 2 des World Series. 1980 sera sa dernière saison en MLB et il tentera de rebondir en 1982 en Mexican League.

Ses meilleures saisons aux Pirates, il va les partager avec son compatriote Rennie Stennet. Stennet est également originaire de Colon comme Sanguillén mais, comme vu plus haut, il a grandi dans la partie américaine du coin, dans la zone du canal de Panama. Dans ces premières années baseball, Stennet est un lanceur et il va se faire repérer à ce poste par plusieurs franchises de la MLB, les New York Yankees, les San Francisco Giants et les Houston Astros. Mais le père du joueur lui conseille de refuser de signer comme lanceur et de chercher à percer comme joueur de champ. Plus tard, Stennet louera la sagesse de son père, déclarant qu’il n’aurait pu faire sa carrière comme lanceur en MLB. C’est finalement comme arrêt-court et seconde base qu’il va intégrer les Majeures, une nouvelle fois grâce à l’entremise d’Herb Raybourne.

Il y débute en juillet 1971 pour palier aux absences de Dave Cash et Richie Hebner qui doivent effectuer une partie de leur service en armée de réserve, comme c’était le cas pour de nombreux joueurs de la MLB à l’époque. Ce qui doit être un remplacement de quelques semaines va devenir une situation permanente quand l’utility player José Pagan a le bras cassé par un lancer. Stennet va gagner sa place dans le roster et ne la quittera pas pour plusieurs années. Comme Sanguillén, il fera partie du premier lineup 100% noir de l’histoire de la MLB, au poste de leadoff. Ce qui va sécuriser sa position chez les Pirates, malgré une défense fragile dans les moments-clés, est son apport offensif et une séquence de 18 matchs avec au moins un coup sûr, ce qui est alors la plus longue séquence du genre chez les Pirates depuis deux ans. Même s’il ne fait pas partie du roster des playoffs, avec le retour de Pagan, Stennet est désormais un membre des Pirates et il le sera jusqu’en 1979.

Rennie Stennet après son exploit – Charles E. Knoblock/Associated Press

Capable de joueur en infield et outfield de manière solide les années suivantes, sa polyvalence défensive fut un atout pour sécuriser son poste dans le lineup tout en étant toujours un joueur utile en attaque. C’est d’ailleurs ses capacités offensives qui le firent entrer une nouvelle fois dans le grand livre du baseball au chapitre des records et des grandes premières quand, le 16 septembre 1975, il devient le premier joueur de l’ère moderne à frapper sept hits dans un match de neuf manches, lors d’une victoire 22 à 0 contre les Chicago Cubs. Le seul joueur a avoir réussi une telle performance fut Wilbert Robinson en 1892 avec une précédente version des Orioles de Baltimore. D’une manière générale, Stennet se démarqua par un jeu agressif, plein de fougue et de hargne, tant en défense qu’en attaque, ce qui en fit un des chouchous des fans des Pirates, dans une ville de travailleurs qui aimaient ce style de jeu.

Quand arrive la saison 1979, Stennet reste un des titulaires de l’équipe durant la saison régulière mais, lors des World Series, il se retrouve sur le banc, ne jouant qu’un seul at-bat dans la série, où il frappe un simple. Finalement, il sent que son histoire avec Pittsburgh prend fin et qu’il doit prendre un nouveau départ. Il décide d’entrer dans le nouveau système de draft et ce sont les Giants qui se positionnent sur lui, lui offrant un contrat de 5 ans. Un contrat dont il ne verra pas le terme sur le terrain. Mis sur le banc la première année par le manager Dave Bristol, il subit ensuite la concurrence de Joe Morgan qui débarque dans le club en 1981. En avril 1982, Stennet est libéré par les Giants. Le panaméen va alors, comme Sanguillén, tenter de rebondir une première fois en Mexican League pour le reste de la saison puis, en Ligues Mineures, l’année suivante, pour sa dernière année dans le baseball professionnel. Dans son style de joueur qui ne lâche rien, il tentera même un comeback avec les Pirates en 1989, à l’âge de 38 ans, mais il sera recalé à la fin du spring training.

Le troisième larron panaméen des Pirates de 1979 est Omar Moreno. Contrairement aux deux autres, Moreno n’a pas joué avec Clemente mais, comme eux, c’est Herb Raybourne qui le fait signer aux Etats-Unis. Moreno débute aux Pirates en 1975 et s’impose comme titulaire en 1977. Si Stennet et Sanguillén ont eu un rôle moindre dans le titre de 1979, ce n’est pas le cas de Moreno, qui est d’ailleurs le seul joueur de l’équipe à participer aux 162 matchs de la saison régulière chez les Pirates. Le grand atout du panaméen, ce sont ses jambes. Que ce soit défensivement ou offensivement, sa vitesse est impressionnante. Cela lui permet de mener la Ligue Nationale en vol de bases pour les saisons 1978 et 1979 et d’établir le record de vol de bases sur une saison par un joueur des Pirates en 1980, avec 96, soit le plus haut total par un joueur qui ne termine pas en tête de sa ligue. En effet, Ron LeFlore, autre grand voleur de bases de l’histoire de la MLB, en volera 97 cette saison-là. Moreno restera aux Pirates jusqu’en 1982 puis il enchaînera avec les Astros, les Yankees, les Royals et enfin les Braves en 1986 pour sa dernière saison, terminant sa carrière en MLB avec 487 bases volées.

Les voleurs Omar Moreno et Ron LeFlore

Après sa carrière sportive, il rentre au Panama et crée avec sa femme une fondation pour permettre aux enfants démunis de jouer au baseball. En parallèle, il fait quelques caméos dans des films et séries. En 2009, il verra même un poste spécial être créé pour lui auprès du président du Panama, celui de secrétaire national aux sports.

Sanguillén, Stennet et Moreno eurent des trajectoires différentes, tant chez les Pirates que dans le baseball en général mais ils participèrent, chacun à leur niveau, à écrire la légende des Pirates des Seventies. Ils furent les acteurs, principaux ou secondaires, d’une saison épique, celle de 1979, achevant une décennie que beaucoup considèrent, sur le plan sportif et du storytelling, comme le véritable âge d’or de la MLB, l’âge d’un baseball flamboyant, hargneux, parfois tragique, souvent virevoltant, insouciant et joyeux.

C’est ce baseball-là qu’incarnèrent les trois panaméens de la famille des Pirates.


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