Les Negro Leagues ont été à l’honneur ces dernières semaines à l’occasion du centenaire de la première d’entre elles, la Negro National League créée en 1920. Aujourd’hui, nous remontons le temps jusqu’au 10 septembre 1942 et un at-bat devenu légendaire, lors des Negro World Series entre les Kansas City Monarchs et les Homestead Grays.

Fantasques, spectaculaires, plus animées que les rencontres des Major Leagues, les équipes affiliées aux différentes Negro Leagues, disposaient elles aussi de leurs propres stars, certaines reconnues nationalement pour leurs exploits.
Deux de ces stars se sont affrontées lors du retour des World Series des Negro Leagues en 1942 : Satchel Paige, le lanceur vedette des Kansas City Monarchs et le catcher Josh Gibson, des Homestead Grays, appelé également le Babe Ruth noir (certains appelleront la légende du Bronx le Josh Gibson blanc).
Cette série défraie la chronique. D’une part, parce que deux mastodontes des Negro Leagues sont à l’affiche. D’autre part, cela faisait maintenant 15 ans qu’un tel événement n’avait plus eu lieu. Cette année, les NWS voient s’affronter les champions des deux ligues : les Grays ont remporté les 6 derniers titres de la Negro National League et les Monarchs, équipe affiliée à la Negro American League, sont une institution, avec eux aussi des titres de leur ligue plein les armoires.
Cette série est un véritable succès médiatique. Elle attire les foules dans toutes les villes où elle s’arrête : Washington pour le game 1, Pittsburgh pour le game 2, le Yankee Stadium avec 26 000 spectateurs pour le game 3, un game 4 annulé dans un premier temps à Kansas City du fait de l’utilisation de joueurs non éligibles et enfin un game 4 validé cette fois-ci à Philadelphie. Entre le game 3 et le premier game 4, les équipes vont également jouer des matchs d’exhibition un peu partout dans le pays.
Mais l’un des moments les plus marquants de cette série, et qui restera gravé dans les meilleurs livres et ouvrages retraçant l’épopée des Negro Leagues, se passe plus précisément lors du game 2 à Pittsburgh. Si l’affluence des rencontres dépasse à chaque fois les 20-25 000 spectateurs, le Forbes Field de Pittsburgh sonne plutôt creux : seulement 5000 spectateurs se sont déplacés pour assister à ce 2ème match. Homestead est une ville située en périphérie de Pittsburgh et il existe une véritable ségrégation dans cette ville entre les Pirates, supportés par la population blanche, et les Grays, par la population noire.
En fin de 7ème manche, le score est de 2-0 pour les Monarchs qui avaient déjà humiliés lors du game 1 les Grays, sur le score de 8-0 (Paige n’ayant concédé que 2 hits).
Durant toute la partie, Gibson et Paige vont se chambrer, se chamailler. Satchel Paige vient de rentrer en relève, les bases sont vides. Mais selon la légende, il va donner volontairement 3 BB aux Grays afin d’affronter Gibson. La feuille de match mentionne en réalité 3 hits pour les Grays, Paige n’ayant concédé aucun BB sur cette rencontre. Josh Gibson est un cogneur de renom, un slugger hors pair, un joueur clutch qui ne laisse aucune opportunité filer, encore moins lorsqu’il y a des joueurs sur base. En cette saison 1942, en seulement 162 passages officiels au marbre, il aura obtenu 25 BB et IBB, réalisé 7 HR, frappant à 0.297, lui qui a connu des saisons frôlant les 0.500 à la batte.
Paige ne maitrisait pas 3 ou 4 lancers mais une bonne douzaine, qu’il avait d’ailleurs lui même inventé, certains n’ayant sans doute jamais été utilisés. Et il les nommait de manière assez originale : la barber ball, la bat dodger,, la midnight rider… Il avait l’art d’embellir les situations lorsqu’il s’adressait aux médias et, sans récit officiel de cette rencontre, difficile de connaître alors les lancers de cette séquence. Il racontera par la suite avoir informé Gibson de chacun de ses lancers. C’est également lui qui expliquera avoir rempli volontairement les bases.
La première balle, on le sait, est une rapide dont Paige a le secret. Gibson s’élance mais la balle, lancée en haut de la zone, finit dans le gant du catch.
La seconde balle est cette-fois ci très bien frappée par Gibson et file tout droit derrière le champ droit situé à 352 pieds du marbre, mais elle termine finalement en foul ball dans les gradins, à quelques centimètres du Grand Slam.
Et sur un dernier lancer dont il a le secret, Paige fait valser Gibson pour le retirer sèchement sur 3 lancers.
La scène est mythique, et c’est toute cette série qui le deviendra. Nous sommes en pleine apogée des Negro Leagues, et c’est à ce moment-là que Branch Rickey, le célèbre président et General Manager des Brooklyn Dodgers, va commencer à s’intéresser aux joueurs des Negro Leagues. Quelques années plus tard, il enrôlera Jackie Robinson des Monarchs de Kansas City.
Le film Soul of the Game revient sur ces world series notamment et sur cet at-bat plus précisément. En voici l’extrait.
Ces World Series prendront vite une allure de correction pour les Grays qui seront balayés 4 victoires à zéro par l’armada du Missouri. Les Grays remporteront toutefois trois World Series, en 1943, 1944 et 1948.