Alex Agostino : “Chez les Phillies, on a un sentiment d’appartenance, de loyauté et de famille”

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Alex Agostino avec Pedro Martinez, triple Cy Young Award / Crédit AA.

Ils sont indispensables dans l’organigramme des franchises, chargés de dépister les meilleurs espoirs sur tous les terrains de la planète baseball. Pourtant, on parle peu d’eux et leur métier reste même mystérieux. “Qu’est-ce qu’un recruteur professionnel ?”. Pour répondre à cette question, The Strike Out a interviewé le Québécois Alex Agostino, 25 ans de métier derrière lui et actuellement superviseur régional de recruteurs pour les Philadelphia Phillies. 

The Strike Out : Alex, pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours jusqu’à ce poste de superviseur régional des recruteurs/dépisteurs pour les Philadelphie Phillies.

Alex Agostino : J’ai été champion canadien junior en 1982 avec l’équipe du Québec, comme lanceur de relève et lanceur gagnant de la finale. Entre 1983 et 1986, j’ai évolué comme lanceur (gaucher) pour les Diplomates de St-Hubert dans la ligue de baseball junior majeur du Québec. Puis à la fin de mes études en éducation physique à l’université de Montréal, je suis devenu entraîneur dans la ligue de baseball junior pour les Ducs de Longeuil (saison 1987-88 et 1990). En parallèle, je travaillais au centre sportif Les 4 Glaces où on organisait des ligues de hockey et des camps d’été. En septembre 1990, je me vois offrir un contrat en tant que joueur-entraîneur pour un club de hockey de la banlieue de Paris mais je décide alors d’accepter un poste au sein de la nouvelle académie de Baseball Canada qui voyait le jour a Montréal. Cela m’a mené à être nommé directeur technique de la fédération du baseball amateur du Québec de 1991 à 1995 et durant cette période je suis nommé (en 1994) entraîneur adjoint de l’équipe nationale canadienne pour le championnat du monde à Brandon dans la province canadienne du Manitoba. Lors de mes différentes expériences à la fédération et par le fait de participer à plusieurs camps d’instruction en tant qu’entraîneur invité, j’ai eu l’occasion de travailler étroitement avec les Expos de Montréal. En 1995, un poste de dépisteur s’est ouvert avec la franchise et j’ai été choisi pour m’occuper de la zone Canada.

TSO : Ce poste de dépisteur, c’est quelque chose que vous aviez envisagé pour votre carrière ?

Alex : On ne rêve pas de devenir dépisteur quand on est jeune mais plutôt d’être joueur. J’ai passé sept ans avec les Expos, puis quatre ans avec les Marlins et là c’est ma quinzième année avec les Phillies de Philadephie où je suis maintenant superviseur de la côte Est des Etats-Unis et de l’Est du canada. J’ai ainsi eu l’opportunité de faire partie de deux équipes qui ont gagné les Séries Mondiales : 2003 avec les Florida Marlins et 2008 avec les Phillies.

TSO : Justement, parlez-nous de vos différentes expériences dans ces clubs, les Expos, les Marlins et aujourd’hui les Phillies. Quelles sont les différences ?

Alex : La grande différence c’est la philosophie développée dans la franchise et la façon dont on traite les individus, car dans l’absolu le baseball demeure le baseball. Ce que je peux dire c’est que les Phillies sont dans une classe à part, on a un sentiment d’appartenance, de loyauté et de famille.

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Alex Agostino fête sa 15e année chez les Phillies / Crédit AA.

TSO : Comment s’organise votre semaine-type ? On vous imagine tout le temps en déplacement !

Alex : Beaucoup de déplacements en auto ou avion, des réveils dans des villes différentes plusieurs fois par semaine. De mi-janvier a la fin mai on est en déplacement constant à la recherche des meilleurs joueurs pour le repêchage [la Draft]. Ensuite, vient la saison d’été de juin à août pendant laquelle on identifie les joueurs pour la prochaine saison. Et à l’automne, on passe beaucoup de temps sur les campus d’université pour suivre le progrès des joueurs que l’on a identifiés.

TSO : Votre activité est bien évidemment perturbée en cette période totalement inédite pour le baseball et le sport en général qui est à l’arrêt ? Comment ça se passe pour vous ?

Alex : On travaille de la maison, il y a beaucoup de vidéo-conférences et les recherches sont font via des vidéo-clips de joueurs. On passe beaucoup de temps au téléphone avec les prospects, les entraîneurs et les agents.

TSO : Quel aspect du métier de recruteur préférez-vous ? Et quelles sont les principales difficultés/contraintes ?

Alex : J’adore voir les jeunes de talent et déterminer lesquels ont les atouts, non seulement physiques mais aussi mentaux, pour survivre dans la jungle du baseball pro.  Rencontrer des jeunes prospects et faire de nouvelles connaissances me fascinent toujours. Les voyages au début c’est plaisant, mais avec les années passer du temps loin de la famille est difficile.

TSO : Aujourd’hui, vous êtes superviseur des recruteurs des Phillies pour la zone Est du Canada et Nord-Est des Etats-Unis, quelles sont précisément vos missions ?

Alex : Je supervise trois dépisteurs qui ont des territoires définis. Je dois m’assurer de voir les meilleurs joueurs de chacun de ces territoires et déterminer un ordre prioritaire. J’ai aussi un rôle de mentor dans le développement des jeunes dépisteurs sous ma tutelle.

TSO : Comment se déroule la concurrence avec les scouts des autres franchises quand un jeune joueur vous tape dans l’œil ? Comment le convaincre lui et ses parents de signer chez les Phillies plutôt qu’ailleurs ?

Alex : Au repêchage, chaque équipe à une chance, une possibilité de choisir un joueur selon l’ordre des choix. Il y a toujours de la concurrence mais on doit tenter de garder nos intentions pour nous. Il faut aussi développer des liens de confiance avec les familles et leurs agents pour tenter d’aller chercher le plus d’infos possible pour prendre les décisions les plus éclairées pour l’organisation.

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Alex avec Yohann Dessureault, grand espoir de Baseball Canada / Crédit AA.

TSO : Quand vous signez un joueur, est-ce que vous pensez au long terme pour une carrière en MLB, ou simplement à la capacité de se joueur à être professionnel quelque soit le niveau où il pourra évoluer ?

Alex : Tout dépend de l’âge du joueur. Evidememment, lorsque le joueur est très jeune la projection est à long terme. L’objectif du dépisteur est d’amener le meilleur talent à son équipe pour développer une équipe championne. Mais ce ne sont pas tous les joueurs qui un jour évolueront dans les Ligues Majeures mais ils ont un rôle à remplir dans les Ligues Mineures, même si parfois c’est simplement compléter des alignements pour ces joueurs de qualité qui malheureusement ne joueront jamais dans les Majeures. Une chose est certaine : à chaque fois qu’on signe un joueur, on croit qu’il a un potentiel, certains en ont tout simplement plus.

TSO : Comment d’ailleurs reconnait-on un jeune joueur prometteur d’une future star ?

Alex : C’est très dur à déterminer mais les Mike Trout, Bryce Harper, Ken Griffey Jr. et autres font simplement les choses avec aisance et ont la volonté d’être les meilleurs. Pour les autres, il faut trouver les joueurs avec les outils de vitesse, puissance au bâton, souplesse des mains,… et qui sont capables de non seulement bien faire en showcase [en dépistage] mais aussi pendant les matchs. On doit se projeter dans l’avenir tout en sachant que c’est une science inexacte !

TSO : Quel est le joueur que vous êtes le plus fier d’avoir découvert et signé ?

Alex : Shawn Hill lanceur droitier avec les Expos ! Un être humain exceptionnel, qui est aujourd’hui dépisteur professionnel chez les New York Yankees. On l’a repêché en 2000, la même année où on a repêché Russell Martin, mais mes patrons n’ont finalement pas voulu le signer, une grosse erreur [Martin a été de nouveau drafté deux ans plus tard, cette fois par les Dodgers].

TSO : Quelle est l’importance de Martin pour le baseball canadien ?

Alex : Il est un modèle de persévérance et de ténacité. Il a donné le goût à de très nombreux joueurs d’évoluer comme receveur. Il a toujours été un ambassadeur de qualité pour le Canada.

TSO : Que pensez-vous d’ailleurs de la situation actuelle du baseball canadien, amateur mais aussi l’émergence en MLB des Soroka ou Toro notamment ?

Alex : Le baseball canadien est en bonne santé et plusieurs joueurs sont de dignes représentants. Baseball Canada et son programme national offre une vitrine extraordinaire à nos jeunes et les provinces font tout un travail à la base de la pyramide.

TSO : Espérez-vous le retour prochain d’une franchise MLB à Montréal ? Pensez-vous que le public sera au rendez-vous ?

Alex : C’est un rêve de revoir les Expos de retour mais ça dépendra des propriétaires qui ont à cœur de ravir les partians [les fans/supporters] et la province. J’ai confiance en Stephen Bronfman et en son groupe d’associés [Homme d’affaires canadien, Bronfman travaille depuis plusieurs années sur un projet de retour de la MLB à Montréal]. Tous ont à coeur les Expos et je suis sûr que ça viendra.

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Alex avec l’ancien MLBer Orlando Cabrera / Crédit AA.

TSO : Que pensez-vous de la réforme actuellement discutée concernant la disparition de nombreuses équipes de Ligues Mineures ? Pensez-vous que cela bouleversera votre corporation ?

Alex : Malheureusement, c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre pour l’instant car nous n’avons pas tous les détails sur ce projet. On laisse les directions des équipes gérer cela.

TSO : Pouvez-vous nous parler du jeune français Yoan Antonac qui fait actuellement sa formation au sein de l’organisation des Phillies.

Alex : Je ne l’ai pas encore vu évoluer en match mais je l’ai vu à l’entraînement. Comme tout joueur international signé à un jeune âge il devrait débuter en pro dans la ligue des recrues [rookies] de la Gulf Coast League à Clearwater en Floride.

TSO : Enfin, si vous deviez créer votre joueur idéal, toutes époques confondues, de qui prendriez-vous l’œil, les bras, les jambes, le QI baseball, la puissance ?

Alex : Il y a trop de bons joueurs ! Mais pour constituter mon équipe, je prendrais Mike Trout comme voltigeur [champ extérieur], Francisco Lindor à l’avant champ [champ intérieur], J.T Realmuto comme receveur, Max Scherzer comme lanceur partant et Mariano Rivera comme closer.

L’équipe de The Strike Out remercie chaleureusement Alex Agostino pour sa disponibilité!


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