Paderborn, ce nom vous dira probablement quelque chose. Il y a deux ans de cela, cette ville avait une équipe de football en Bundesliga. Dans l’ombre du sport numéro 1 se cache l’équipe de baseball du coin : les Untouchables. Cette équipe a remporté 5 fois de suite le championnat allemand entre 2001 et 2005 et depuis plus rien ou pas grand chose. En cause, un changement fondamental de stratégie qui vise à la promotion et formation des jeunes allemands. Pour ce faire, Paderborn dispose d’un internat des plus développés qui permettent aux adolescents de vivre baseball pendant 4 ans. Entretien avec le directeur de cette académie, qui nous livre une vision globale du baseball allemand et une impression positive sur le l’engouement autour de ce sport en France.
The Strike Out : Bonjour Alper Bozkut, pourriez-vous présenter à nos lecteurs ?
Alper Bozkurt : Je m’appelle Alper Bozkurt, j’ai 37 ans et suis directeur de l’académie MLB de Paderborn en Allemagne. Je suis manager de l’équipe des moins de 21 ans et je suis en charge du recrutement national pour notre programme d’académie. Je coach aussi les équipes U18 et U16 de Paderborn au niveau régional. Je suis également consultant, pour les Reds de Cincinnati en Afrique, Europe et Moyen-Orient.
TSO : En quoi consiste ce programme ?
A.B : Il fut savoir qu’on retrouve ces mêmes programmes à Regensburg, Mayence et Heidenheim. Nous nous distinguons des autres par nos infrastructures, la qualité de nos coachs et notre philosophie. A Paderborn nous avons un complexe en salle unique en Allemagne, le Ahorn-Sportpark [photo ci-dessous]. Il inclut 3 cages de frappeurs, un infield de pleine grandeur, deux salles de musculation, une piste ronde de deux 200 m et une piste droite de 100m. Cette installation se situe à quelques mètres de notre stade principal -que l’on peut assimiler en terme de qualité à ce que l’on voit en minors leagues- mais aussi de l’internat mis à disposition des garçons que nous avons recruté à l’extérieur de la région. Le staff est composé de 7 entraîneurs et formateurs dans les domaines suivants : pitching, hitting, catching, outfielding, infielding, force/conditionnement physiquement et agilité. Quatre de nos entraîneurs, y compris moi-même sommes titulaires d’un diplôme de maîtrise en sciences du sport.
Nous croyons que l’éducation est un ensemble. Vous ne pouvez pas être en retard à l’école et être à l’heure pour la pratique, nous croyons aussi que jouer au baseball professionnel n’est pas le but ultime pour nos jeunes athlètes. Nous voulons qu’ils obtiennent un diplôme universitaire, apprennent un métier, jouent en Bundesliga, dans leurs équipes nationales respectives et aller dans un collège aux États-Unis, si possible. Il est important pour nos baseballeurs de comprendre que seulement très peu de joueurs auront une carrière professionnelle et que jouer dans les ligues mineures n’est pas fait pour tout le monde.
TSO : Cette académie a un partenariat avec la MLB ?
A.B : Notre programme est approuvé par la MLB. Nous envoyons les résultats de nos batteries de tests basées sur le niveau de baseball et les capacités athlétiques à la MLB deux fois par an. De plus, nous communiquons avec le personnel MLB en permanence, à la recherche de solutions pour rendre le baseball européen meilleur. Nous sommes également en échange permanent avec le bureau des scouts MLB et scouts des organisations MLB, surtout quand ils montrent un intérêt pour l’un de nos joueurs.
TSO : Quel est l’objectif de cet internat ?
A.B : Notre objectif est de fournir un environnement où les enfants talentueux peuvent évoluer vers des niveaux supérieur. Nous voulons qu’ils jouent au plus haut niveau possible de leur capacité respective. De nombreux clubs ne possèdent pas l’infrastructure et / ou le personnel que nous pouvons fournir. Naturellement, les joueurs compétitifs recherchent des défis que nous, nous pouvons accueillir à Paderborn. C’est pourquoi nous recrutons à l’échelle nationale.
“Un des joueurs de l’académie a signé un contrat pro chez les Reds”
TSO : Avez-vous déjà envoyé des joueurs vers les mineures grâce à ce programme ?
A.B : Notre objectif principal n’est pas d’envoyer les joueurs dans le baseball professionnel. Très très peu d’entre eux sont aptes à évoluer aux US. La plupart des joueurs bénéficient davantage d’un parcours dans une université américaine après avoir été diplômé de l’école secondaire. Nous voulons faire en sorte qu’ils expriment leur plein potentiel. Nous avons envoyé deux joueurs dans des universités au cours des 5 dernières années, avec l’aide d’une organisation appelée “Athletes USA”, et l’un d’entre eux a signé un contrat professionnel avec les Reds de Cincinnati en 2014, il se nomme Nadir Ljatifi [photo ci-dessous, NDLR]. Il joue actuellement dans l’organisation d’Arizona.
TSO : Ce programme est réservé pour quels types de joueurs (âge, profil, etc …) ? Quel est le programme hebdomadaire d’un jeune homme dans ce internat ?
A.B : Nous recrutons les joueurs âgés de 15 ans à notre programme. Habituellement, ils restent avec nous pendant quatre ans. Nous avons actuellement 14 enfants qui ont été recrutés et ne sont pas de Paderborn à la base. 11 autres joueurs font également partie du programme, ce sont des talents locaux. Les joueurs s’entraînent 2-3 fois par jour, de 17h à 20h, du lundi au vendredi après l’école. Deux fois dans la semaine nous faisons des simulations de match, nous pensons que ce sera plus efficace que de se concentrer uniquement sur des ateliers batting, infielding ou outfielding. Pour eux, le style de vie est très difficile car il n’y a pas de place pour les loisirs mais c’est la condition pour devenir un athlète de haut niveau.
TSO : En Bundesliga la concurrence semble être très élevé avec 5 ou 6 équipes capables de gagner le titre chaque année ? Constatez-vous une évolution du niveau année après année ?
A.B : Le niveau de jeu varie presque chaque année. D’une manière générale le sud est historiquement un peu plus fort que le nord en raison de l’occupation américaine après la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses installations de l’armée comprenaient des champs de baseball et des stades, aussi le grand public a été plus exposé à la présence des Américains et leur style de vie dans le sud de l’Allemagne. Le nord s’est développé plus lentement. À l’heure actuelle cependant, le Nord est beaucoup plus équilibré que dans les dernières années, ayant de 5 à 6 équipes très compétitives comme vous avez déjà indiqué. Il sera intéressant de voir comment le reste de la saison se développe. Nous nous sommes dirigés depuis deux 2 ans vers une nouvelle stratégie en décidant que nous allons donner aux jeunes joueurs une chance au haut niveau et ne pas ajouter de l’aide étrangère. La semaine dernière [interview effectuée le 9 mai, NDLR], par exemple, à la fin des deux matchs contre Solingen (n ° 1 en Bundesliga Nord au classement), sept des neuf joueurs sur le terrain étaient âgés entre 16 et 21 ans et de nationalité allemande ! L’équipe a gagné ce jour-là ses deux matchs. C’est un grand sentiment de fierté de savoir que nous avons développé ces joueurs qui sont en mesure de rivaliser avec des anciens pros.
TSO : Paderborn a connu des heures de gloire entre 2001 et 2005 avec 5 championnats gagnés de suite, pourquoi est-ce plus difficile pour vous depuis cette période ?
A.B : Il faut signaler que l’arrêt Bosman concernant les étrangers de l’UE a changé le jeu. Une fois que nous avons décidé de ne plus embaucher de l’aide étrangère, mais plutôt jouer avec des allemands : jeunes ou chevronnés, nous savions que nous ne pourrions pas attendre les mêmes résultats. Cependant, nous avons fait les séries éliminatoires en 2015, alors que c’était notre première saison avec cette philosophie. Le développement de certaines équipes allemandes me dérange. Les équipes sont composées d’étrangers de l’UE et des étrangers des États-Unis ou latins avec pratiquement aucun allemands sur certaines équipes. Cela rendra le développement des joueurs de l’équipe nationale plus difficile que jamais si vous me demandez. Il est beaucoup plus facile d’acheter un shortstop que d’en développer un. Paderborn fonctionnait à peu près comme ça dans ses grandes années. L’équipe avec les meilleurs joueurs étrangers se comporte habituellement bien dans la ligue et les séries éliminatoires. Pour nous, ce sont des objectifs à court terme qui ne correspondent pas bien avec notre philosophie, maintenant.
“Nous jouons uniquement avec des Allemands”
TSO : La Coupe des Champions est entièrement dominée par les équipes hollandaises et les Italiens, en quoi le baseball allemand est en retard par rapport à ces pays ?
A.B : Les Hollandais et les Italiens ont une culture de baseball et de l’histoire plus que les Allemands. En outre, nos systèmes de financement de l’Etat sont très différents. Nous sommes loin derrière d’après moi, non seulement en nombre de joueurs, mais surtout dans les camps de financement, etc.
TSO : L’équipe de Paderborn est composée uniquement de joueurs allemands comme vous l’avez dit. Il y a t-il une tendance dans la Bundesliga pour promouvoir de plus en plus de joueurs allemands ?
A.B : Nous avons commencé à jouer uniquement avec des allemands seulement en 2015 avec succès. Il faudra un certain temps jusqu’à ce que nous devenons un concurrent sérieux pour le titre allemand à nouveau. En raison de nouvelles règles pour la Bundesliga, de nombreuses équipes devront suivre notre exemple, même si elles ne veulent pas. Il y aura plus de restrictions apparemment en 2017 pour les joueurs étrangers. Le baseball allemand a besoin des deux : des étrangers et les talents nationaux. Notre niveau de jeu a considérablement augmenté, une fois que nous avons permis aux lanceurs étrangers de ne plus seulement lancer 3 manches par match à une partie complète. Ceci a permis aux batteurs de s’améliorer, ils sont confrontés à de bons pitchers. En ce moment, toute la ligue nous affronte avec des lanceurs étrangers et naturellement nos batteurs en profitent pour s’améliorer. Nous espérons produire des joueurs de l’équipe nationale de cette façon.
TSO : N’est il pas trop difficile pour Paderborn d’exister dans sa propre ville en raison des bonnes performances de l’équipe de football qui joue en 2ème division. Il y a t-il de la place pour le baseball à Paderborn ?
A.B : Nous coopérons avec l’équipe de football à de nombreux niveaux. Vous ne pouvez pas essayer de rivaliser avec le sport numéro un, ce serait stupide si vous me demandez. S’il fait beau temps nous avons en moyenne environ 500 spectateurs pour nos matchs. Nous aurions plus de monde si nous avions de l’éclairage et si on arrêtait les doubleheader. Depuis plusieurs années le Sud bénéficie de ces avantages et pas nous. Quand je vais regarder à Mayence un match, on peut trouver régulièrement plus de 1000 personnes.
TSO : Comme vous avez un œil sur le baseball africain, à quoi ressemble t-il ?
A.B : Depuis que je suis consultant pour les Reds, je pense pouvoir dire que l’Afrique peut devenir la nouvelle République Dominicaine en terme de production qualitatives. Il y a beaucoup de talent sous-développés, quasiment aucune infrastructure ou coaching de qualité. Il y a une très bonne chance de voir de plus en plus d’Africains arriver en MLB. Actuellement Gift Ngope joue dans les ligues mineures avec les Pirates. Il pourrait devenir le premier joueur africain né sur le continent noir à jour dans les Majors.
TSO : Avez-vous un mot sur le baseball français pour nos lecteurs?
A.B : En 2015 j’étais coach des U18 d’Allemagne et j’ai travaillé comme scout pour superviser la France. Je dois dire que je suis très impressionné par l’énergie des joueurs et leur compréhension du jeu à un niveau élevé. Comme la plupart des pays dont l’Allemagne, la France n’a pas toujours les meilleurs athlètes pour jouer au baseball. Il semble y avoir une grande culture autour des programmes de POLE. Avec un succès international, il y aura très certainement plus de licenciés.