Bob Gibson : La compétition dans le sang

Bob Gibson aurait eu 90 ans en ce mois de novembre 2025. Le lanceur a connu la ségrégation lors de ses débuts professionnels en Minor league, avant de devenir une légende des St-Louis Cardinals, la seule équipe de sa carrière MLB. Double vainqueur des World Series, avec le trophée de MVP en prime, double Cy Young, neuf sélections au All-Stard Game… une légende on vous dit! Et cela valait bien un hommage de la rédaction de The Strike Out à Bob Gibson, disparu en 2020.

Bob Gibson – Photo James Drake – Getty Images

Enfance et jeunesse

Bob Gibson naît le 9 novembre 1935 à Omaha, Nebraska. Son père meurt avant sa naissance, laissant sa mère Victoria élever seule sept enfants, dont Bob est le benjamin. Dans ce foyer modeste, chacun doit contribuer, et Gibson apprend très tôt la valeur de l’effort. Son frère ainé, Josh, devient son père de substitution, son mentor.

Enfant, Gibson souffre de rachitisme, d’asthme et d’une pneumonie sévère. Les médecins le jugent fragile. Pourtant, ses frères l’encouragent à se battre malgré tout. Josh ne cesse de lui répéter : «You may be sick, but you’re the toughest kid on the block. » Cette dureté deviendra sa marque de fabrique. Il traîne souvent autour du centre communautaire d’Omaha, où son frère Josh s’occupe des équipes de basket et baseball, pour regarder et parfois participer aux matchs.

Malgré ses problèmes de santé, Gibson se passionne pour le sport. Il joue au basket-ball et au baseball avec une intensité rare. Son développement au baseball prend plus de temps, n’étant pas retenu dans l’équipe du lycée avant sa dernière année à cause d’un entraineur raciste. Il devient par contre un excellent joueur de basketball, obtenant une bourse universitaire. À Creighton University, il impressionne ses entraîneurs, quel que soit le sport. L’un d’eux raconte : «He was not half assing it. Every game was a competition ».

© omaha.com

Son numéro de maillot sera même l’un des trois retirés de l’équipe universitaire de Creighton, avec ceux de Paul Silas et de Bob Portman. Et son évolution au baseball est impressionnante : lors de sa dernière année, il lance et joue 3e base, finissant avec une moyenne de .333 au bâton et une fiche de 6-2 comme lanceur.

En 1957, Gibson signe avec les Harlem Globetrotters. Mais il n’est pas fait pour le spectacle. Il confiera plus tard : «I was not here to make people laugh. I was here to win ». Pourtant, ses coéquipiers de l’époque se rappellent qu’il n’était pas insensible à l’amusement général : il observait, participait parfois, mais toujours avec une distance qui laissait deviner son tempérament compétitif.

La même année, il signe avec les St. Louis Cardinals. Son manager des ligues mineures, Johnny Keane, se souvient : « Even his command was not perfect, he had this fire inside». Et Gibson, fidèle à son style, laisse entendre qu’il n’est pas venu pour se faire des amis, mais pour imposer sa présence

Débuts professionnels et premières saisons

En 1957, Bob Gibson signe donc avec les St. Louis Cardinals. Il commence son parcours dans les ligues mineures, notamment à Omaha et Rochester. Ses premières années sont marquées par un apprentissage difficile : son contrôle est irrégulier et il doit s’adapter à un niveau de compétition supérieur. De plus, son passage à Columbus, en Géorgie, le mets face aux états du sud encore ségrégés et considérant les Afro-Américains comme des citoyens de seconde zone. Être séparé de ses coéquipiers au restaurant, subir des injures raciales à longueur de matchs renforcent la motivation de Bob.  Ses entraîneurs remarquent sa puissance et son intensité. Et un, notamment, va devenir son ami et mentor, Johnny Keane. Pour Bob Gibson, Keane “had no prejudices concerning my color. … He was the closest thing to a saint that I ever came across in baseball”.

Le 15 avril 1959, Gibson fait ses débuts en MLB contre les Los Angeles Dodgers. Il lance deux manches, concède 2 hits et 2 RBIs. Ce n’est pas une entrée spectaculaire, mais il a franchi le pas. Les saisons suivantes, il alterne entre les ligues mineures et l’équipe principale, cherchant à stabiliser son rôle. Entre 1960 et 1962, Gibson gagne en expérience. Il commence à s’imposer dans la rotation des Cardinals, même si ses statistiques restent moyennes. En 1961, il enregistre 13 victoires, mais son ERA dépasse 3.00. Les observateurs notent surtout son agressivité sur le monticule : il n’hésite pas à lancer à l’intérieur pour repousser les frappeurs.

© lequipe.fr

Curt Flood, son coéquipier, se souvient : «Bob was not the dominant pitcher he will be. But he already has this intensity. He was no messing around ».

En 1962, Gibson franchit un cap. Il remporte 15 matchs et est sélectionné pour son premier All-Star Game. Sa réputation commence à grandir : les frappeurs savent qu’il est intimidant, difficile à affronter, même s’il n’a pas encore atteint son apogée. Son attitude lors des All-Stars Game, censés être des exhibitions bon enfant, est la même que d’habitude. Hank Aaron conseillait même aux jeunes joueurs : “Don’t dig in against Bob Gibson; he’ll knock you down. He’d knock down his own grandmother if she dared to challenge him. Don’t stare at him, don’t smile at him, don’t talk to him”.

Bob et la raison pour laquelle il frappa son ex coéquipier passé des Cards aux Phillies – Compte X de « Pitching Ninja ».

En 1963, Gibson s’impose comme un pilier de la rotation des Cardinals. Il enregistre 18 victoires et plus de 200 strikeouts. Son style est désormais clair : rapide, agressif, intimidant. Les journalistes commencent à le décrire comme l’un des lanceurs les plus redoutés de la Ligue Nationale. Tim McCarver, son catcher principal, en fait souvent les frais : un jour, McCarver s’approche du monticule pour lui donner un conseil. Gibson lui lance : “Get back behind the plate. The only thing you know about pitching is you can’t do it”.  Ambiance.

Et pourtant, derrière cette image austère qu’il cultive, ses coéquipiers savent qu’il peut aussi surprendre par une blague ou une pointe de sarcasme. L’épisode de la photo d’équipe en début de saison 1964 en est le parfait exemple. Alors que tout le monde se prépare pour la photo, Gibson et Bob Uecker, qui deviendra une légende grâce à sa carrière de commentateur/comédien, décident de poser en se tenant par la main. A une époque où l’affirmation pour les droits civiques prend de plus en plus d’importance, mais aussi de résistance, la blague ne fait pas rire les dirigeants des Cardinals. Mais Bob et Bob ont eu leur bon moment, que Uecker appellera quelques années plus tard « Guess Who is coming to pitch ? » en référence au film avec Sidney Poitier, « Guess who’s coming to dinner » (film Oscarisé de 1964, mettant sous un jour positif une relation bi-raciale, vu comme tabou à cette époque).

© Saint Louis Cardinals

L’âge d’or (1964–1970)

Cette saison marque l’entrée de Gibson dans la légende. Il dispute 40 matchs, remporte 19 victoires et lance plus de 270 manches. En World Series contre les Yankees (Mantle, Maris, Ford, Pepitone, etc…), il est utilisé trois fois par son manager Johnny Keane, dont deux victoires décisives et deux matchs complets. Mickey Mantle reste sans voix : “Facing Gibson was like trying to hit a bullet”. Dans le match 7, il lance sur 10 manches malgré la fatigue, menant les Cardinals au titre. Il est élu MVP de la série. Tim McCarver dira : « Bob Gibson is the luckiest pitcher I’ve seen. He always pitch when the other team doesn’t score ».

En 1965, Gibson enregistre 20 victoires pour la première fois, avec un ERA de 3.07 et plus de 270 strikeouts. Il devient le véritable leader de la rotation. En 1966, il confirme avec 21 victoires et un ERA de 2.44, s’imposant comme l’un des meilleurs lanceurs de la Ligue nationale. Ces saisons installent Gibson parmi les références, même si les Cardinals ne parviennent pas à retrouver les World Series.

Les Cardinals dominent la Ligue nationale en 1967 et Gibson, malgré une fracture de la jambe en juillet, revient pour la fin de saison. En World Series contre les Red Sox, il lance trois matchs, tous remportés, avec un ERA de 1.00. Il est de nouveau MVP de la série, devenant le premier lanceur à remporter deux fois ce titre. Carl Yastrzemski, pourtant MVP de la saison régulière, reconnaîtra : “He was unbeatable. We knew it, and he knew it”.

1968: Le Year of the Pitcher

©Omaha World Herald

La saison 1968 est entrée dans l’histoire. La zone de prise élargie et la hauteur du monticule favorisent les lanceurs, mais Gibson domine plus que tous les autres.

  • ERA de 1.12, record moderne jamais égalé.
  • 13 blanchissages.
  • 268 strikeouts.
  • 17 victoires consécutives.
  • Cy Young Award & MVP

En World Series contre les Tigers, il établit un record avec 17 strikeouts dans le match 1. Malgré ses performances, les Cardinals s’inclinent en sept matchs face au Detroit du Cy Young et MVP de l’AL, Dennis McLain.

La domination des lanceurs en 1968 pousse la MLB à modifier ses règles dès 1969 : abaissement du monticule et réduction de la zone de prise. Gibson commentera avec ironie : « They change the rules because of me. I guess this is a compliment ». Avec les nouvelles règles, Gibson reste performant. Il enregistre 20 victoires et un ERA de 2.18, prouvant qu’il peut dominer même dans un environnement plus favorable aux frappeurs. Les Cardinals ne retrouvent pas les World Series, mais Gibson demeure l’un des meilleurs lanceurs de la ligue. Gibson signe une saison exceptionnelle : 23 victoires, ERA de 3.12, et plus de 270 strikeouts. Il remporte son deuxième Cy Young Award, confirmant sa place parmi les plus grands. À 34 ans, il reste au sommet, symbole de constance et de compétitivité.

Dernières saisons et retraite (1971–1975)

Le 14 août 1971, Gibson réalise enfin ce qui lui avait échappé jusque-là : un no-hitter. Face aux Pittsburgh Pirates, meilleure attaque de la Ligue nationale cette année-là, surnommé « The Lumber Company » pour sa propension à envoyer du bois, il lance un match complet sans concéder le moindre hit, avec 10 strikeouts en 124 lancers, et seulement 3 walks.

À plus de 36 ans, Gibson reste compétitif. En 1972, il enregistre 19 victoires et plus de 200 manches lancées. Mais les signes d’usure apparaissent : son ERA grimpe, et les blessures commencent à s’accumuler. En 1973, il ne remporte que 12 matchs, avec un ERA de 2.77, toujours respectable mais en retrait par rapport à ses standards.

Le 17 juillet 1974, Gibson atteint le cap symbolique des 3 000 strikeouts, devenant le deuxième lanceur de l’histoire à franchir ce seuil après Walter Johnson. Un accomplissement de plus qui cimente son statut parmi les plus grands. À 39 ans, Gibson dispute sa dernière saison. Les blessures et l’âge limitent son efficacité : il termine avec un ERA supérieur à 5.00. Son dernier match, le 3 septembre 1975, reste célèbre : il concède un grand slam à Pete LaCock des Cubs. Gibson, compétiteur jusqu’au bout, n’apprécie pas cette sortie. Mais des années plus tard, lors d’un match de vétérans, il retire LaCock sur trois lancers et plaisante : « La boucle est bouclée. »

Après 17 saisons et une carrière entièrement passée chez les Cardinals, Gibson annonce sa retraite. Son bilan est impressionnant :

  • 251 victoires, 174 défaites.
  • ERA de 2.91.
  • 3 117 strikeouts.
  • 9 sélections All-Star, 2 Cy Young Awards, 1 MVP, 2 World Series.

Après carrière

Malgré sa retraite en 1975, Bob Gibson ne s’éloigne pas du baseball. Il devient coach de lanceurs pour les New York Mets à la fin des années 1980, puis pour les Atlanta Braves. Son rôle est apprécié, mais son exigence et son franc-parler marquent autant que ses conseils techniques. Plusieurs prospects racontent qu’il pouvait être aussi intimidant comme coach qu’il l’avait été sur le monticule.

Avec Tim Leary, Spring Training 1981 © The Athletic

Commentateur et figure médiatique

Gibson intervient également comme commentateur et consultant. Sa réputation de compétiteur intraitable lui confère un respect. Il n’hésite pas à critiquer l’évolution du jeu, notamment le load management des lanceurs. Il aimait rappeler que, de son temps, « sortir après 90 lancers signifiait qu’on avait à peine fini de s’échauffer ».

Hall of Fame et reconnaissance

En 1981, Gibson est élu au Hall of Fame dès sa première année d’éligibilité, avec 84 % des voix. Son numéro 45 est retiré par les Cardinals, et une statue à son effigie est inaugurée devant le Busch Stadium. Il est également nommé dans l’All-Century Team de la MLB en 1999, confirmant sa place parmi les plus grands.

Stan Musial, légende des Cardinals, résumera ainsi son héritage : « Gibby est l’un des plus grands compétiteurs que le baseball ait connus ».

Bob Gibson s’éteint le 2 octobre 2020 à Omaha, à l’âge de 84 ans. Sa disparition suscite une immense émotion dans le monde du baseball. Les Cardinals, la MLB et de nombreux anciens joueurs lui rendent hommage, rappelant son rôle central dans l’histoire du sport et comme modèle pour des générations de lanceurs.

© Baseball Hall of Fame

Bob Gibson est resté fidèle à une seule équipe, les St. Louis Cardinals, pendant 17 saisons. Son palmarès en fait l’un des plus grands lanceurs de l’histoire. Mais au-delà des chiffres, il incarne une époque : celle d’un baseball rude, exigeant, où le respect se gagnait par la performance et la détermination, celle d’un compétiteur intraitable, qui considérait le marbre comme son territoire. Ses coéquipiers et adversaires se souviennent de son regard noir, de sa volonté de ne jamais céder, mais aussi de son humour sarcastique, discret, qui apparaissait hors du terrain et révélait une personnalité plus nuancée.

Son entrée au Hall of Fame , le retrait de son numéro par les Cardinals, et les hommages rendus après son décès en 2020 témoignent de l’empreinte qu’il a laissée. Gibson n’était pas seulement un grand lanceur : il était un symbole d’une époque où le baseball se jouait avec intensité et sans compromis, en réponse à une époque d’affirmation pour tout les afro-américains.

En définitive, Bob Gibson reste une figure incontournable du sport américain. Son héritage est double : celui d’un lanceur qui a redéfini les standards de la performance, et celui d’un homme qui a su transformer les difficultés de son enfance en une carrière exemplaire, motivé par une confiance sans faille et un esprit de compétition hors pair.

Publié dans MLB

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