Yoshio Yoshida, appelé au Japon Monsieur Yoshida, en raison de son passage en France, nous a quitté. Joueur et manager iconique des Hanshin Tigers et de la Nippon Pro Baseball, élu au Hall of Fame japonais en 1992, il fut également manager du Paris Université Club puis de l’équipe de France entre 1989 et 1995, laissant derrière lui un héritage qui impacte encore le baseball français. The Strike Out se devait de rendre hommage à ce grand monsieur de notre sport.
Qu’est-ce qui est passé par la tête de ces joueurs du Paris Université Club quand, un jour de 1989, ils ont vu débarquer un vieux japonais sur leur modeste terrain de baseball, auréolé de la gloire d’avoir été un des meilleurs joueurs du Japon puis le manager d’une équipe victorieuse en Japan Series quelques années plus tôt, alors que le baseball français était lui dans les limbes médiatiques du sport français ?
Il faut dire que dix ans auparavant, la Fédération Française de Baseball Softball s’approchait seulement du millier d’adhérents. Et si les chiffres avaient explosé en une décennie, ils restaient infimes au regard de la plupart des autres fédérations sportives. Et pourtant, voilà que débarque un grand nom d’un des trois pays majeurs du baseball. Voilà que débarque Yoshio Yoshida.
Mais qui est Yoshio Yoshida ?
Né en 1933, ce natif de Kyoto chausse son gant de baseball au début de l’adolescence et tombe immédiatement amoureux de ce sport. Malgré des parents qui aimeraient le voir endosser plus de responsabilités dans le business familial, le jeune Yoshio s’entraîne durement jusqu’à tard le soir, revenant épuisé et les vêtements sales au grand dam de son père. Mais la passion est là et, soutenu par sa mère et son grand frère, il continue ainsi son chemin. Un chemin qui le conduit au lycée à fouler ce qui deviendra quelques années plus tard son jardin, le stade Koshien à Osaka. Bien que son lycée soit pauvre et mal équipé, son équipe arrive à se qualifier pour le mythique championnat lycéen, dénommé « Koshien » en référence au stade qui accueille chaque année la compétition. Une performance qui se déroule durant sa deuxième année au lycée mais que ses parents, décédés tous les deux en quelques mois l’année précédente, ne verront donc pas.
Bien qu’éliminé au premier tour avec son équipe, il attire l’attention d’un recruteur des Hankyu Braves (aujourd’hui les Orix Buffaloes où passèrent Ichiro, Hideo Nomo et Yoshinobu Yamamoto), une des équipes du championnat professionnel japonais. Mais Yoshio Yoshida ne se sent pas apte à basculer dans la grande ligue. Il s’oriente alors vers le baseball universitaire et rejoint l’université Ritsumeikan de Kyoto qui lui offre une bourse. Il n’y fera pas une longue carrière. Rapidement, il démontre tout son talent, notamment suite à une blessure qui va modifier positivement son approche de la défense : lors d’un match face à l’équipe All-Star de la région du Kanto, il est blessé lors d’un slide en deuxième base par un coureur qui deviendra le rookie de l’année de la Central League, une des deux ligues de la NPB, le joueur des Yomiuri Giants Tatsuro Hirooka ; Yoshida va se servir de cet incident pour s’offrir une défense plus mobile et rapide. Il devient un short-stop élite qui va attirer une nouvelle fois l’attention d’une équipe professionnelle. Et pas n’importe quelle équipe ! Celle dont il est fan depuis longtemps, celle qui brille à moins de 60 kilomètres de sa ville natale de Kyoto, celle qui évolue dans le stade où il a participé au Koshien, les Hanshin Tigers d’Osaka.
Le manager des Tigers lui offre un contrat en or, de quoi subvenir aux besoins des siens tout en profitant de sa passion. Yoshida ne peut qu’accepter et il rejoint ainsi la franchise qui deviendra, avec les Yomiuri Giants de Tokyo, l’autre grande équipe populaire du pays. Il fait ses débuts en NPB le 28 mars 1953. Il n’a pas encore 20 ans. Sous l’aile de Fumio Fujimura, vétéran de l’équipe présent aux Tigers depuis la première saison du championnat en 1936, ce qui lui vaut le surnom de Mr. Tigers, le rookie Yoshida apprend beaucoup et s’impose comme le short-stop titulaire dès sa première saison. Il devient un pilier de l’équipe et de sa défense, gagnant le surnom de Ushiwakamaru, le surnom enfant du grand général japonais du 12ème siècle Minamoto no Yoshitsune.
Fidèle aux Tigers, qui retireront son numéro 23, il y joue durant 17 saisons durant lesquelles il récolte 9 trophées du Best Nine Award au poste de short-stop, un record qui ne sera égalé qu’en 2022. Il est toujours considéré comme l’un des meilleurs short-stops de l’histoire du baseball japonais, si ce n’est le meilleur. Pour situer le bonhomme, quand les New York Yankees de Casey Stengel, Mickey Mantle et Yogi Berra effectuent une tournée au Japon en 1955, ils y affrontent une sélection japonaise des meilleurs joueurs dont Yoshida. A l’issue de la tournée, Stengel, le manager des Yankees, déclarera « Je voudrais ramener le jeune Yoshida avec moi à la maison. Il pourrait faire sa place dans les Majeures ». Un compliment qui dit tout du talent du japonais.
Un talent défensif mais qu’en est-il offensivement ? Yoshida ne semble pas particulièrement sortir du lot de prime abord comme le montre sa moyenne de frappe en carrière, .267, ou encore son nombre de homeruns, 66. Cela dit, ces chiffres ne rendent pas compte de la difficulté de retirer le frappeur solide qu’il était. Son pire nombre de strikeouts sur une saison : 30. En carrière, il a plus de bases volées que de strikeouts. Il mènera d’ailleurs la ligue en vols de bases en 1954 et en 1956. Il sera aussi plusieurs fois leaders en amortis sacrifice. Quand aux strikeouts, il n’en aura aucun durant 179 at-bats consécutifs durant la saison 1964, un record qui tiendra 11 ans. Des performances défensives et offensives qui en font une référence de son temps, lui qui participera 13 fois consécutivement au All-Star Game de la NPB, et qui aideront les Tigers à atteindre par deux fois les Japan Series, en 1962 et 1964, deux séries finales perdues malgré un Yoshida en feu sur la série de 1962, face au Toei Flyers, où il remporte le Fighting Spirit Award, le MVP de l’équipe perdante.
Sa carrière de joueur prend fin à l’issue de la saison 1969, saison durant laquelle il est également fielding coach et en balance avec un autre coéquipier joueur-coach pour reprendre le rôle de manager de l’équipe. Malheureusement, il ne sera pas choisi. Mais ce n’est que partie remise puisqu’il obtient le poste en 1975. Les deux premières saisons sont positives, notamment la saison 1976 où ses choix de trades et de recrutements d’étrangers permettent à l’équipe de finir avec un pourcentage de victoires de 60% ainsi que le record de homeruns pour une équipe, avec tout de même le regret de finir à deux victoires de remporter le championnat. En revanche, la saison 1977 est mauvaise et Yoshida en fait les frais. Son premier passage comme manager des Tigers prend fin. Il y en aura deux autres.
En effet, il revient à la tête de l’équipe en 1985. Et quelle année ! Alors qu’au début, Yoshida ne veut pas donner trop d’espoir, même si l’équipe est pleine de talents, les Tigers vont sortir une saison magique, à l’instar de leur slugger américain Randy Bass qui va frapper 54 homeruns, à une unité d’égaler le record de la légende Sadaharu Oh. Une nouvelle fois, une équipe de Yoshida bat le record en saison de homeruns et les Tigers remportent leur premier titre de ligue en 21 saisons, la dernière remontant à l’année 1964 avec Yoshida comme joueur. Mais plus que ça, les Tigers vont remporter leur premier titre de champion du Japon face aux Seibu Lions. Un événement ! Il faudra attendre 2023 pour que les Tigers remportent leur second. Durant les playoffs, c’est la folie à Osaka, une folie qui amènera les fans à jeter dans une rivière de la ville une statue du Colonel Sanders d’un KFC local, initiant pour plusieurs décennies la fameuse malédiction du Colonel Sanders qui va plonger les Tigers dans les ténèbres. Et contre quel manager gagne-t-il ce titre ? Un certain Tatsuro Hirooka, celui-là même qui le blesse plus jeune, le forçant à faire évoluer sa défense, défense qui l’amena à devenir le pilier des Tigers sur le terrain puis sur le banc.
Récipiendaire du Matsutaro Shoriki Award 1985 (du nom du père du baseball professionnel japonais et honorant un joueur ou manager ayant contribué de manière exceptionnelle au développement du baseball professionnel), ce run des Tigers fait entrer définitivement Yoshida dans la légende. Les Hanshin Tigers partagent avec les Yomiuri Giants le titre d’équipe la plus populaire du baseball japonais. Mais, à l’inverse des Giants qui collectionnent les titres, les Tigers ont souvent été une sorte de Poulidor du baseball japonais. En 1985, on se dit qu’ils vont enfin entrer dans une autre dimension au niveau sportif. Ce ne sera pas le cas. L’équipe décline les deux saisons suivantes et Yoshida se retrouve au centre de vives critiques et tensions, y compris de la part de sa star Randy Bass. Il est temps pour lui de prendre un peu de distance avec le baseball, de souffler. Et c’est là que le miracle arrive.
En 1988, Ryoichi Urata, directeur général France de l’entreprise Hitachi invite Yoshida en France, à la fois pour le travail mais aussi pour le plaisir. Une occasion pour Yoshida d’échapper aux tensions générées par son dernier passage aux Tigers. Chemin faisant, il rencontre une première fois les dirigeants du baseball français, sans avoir spécialement d’attentes ou un projet. En revanche, Hitachi, sponsor du Paris Université Club, cherche à développer le sport national japonais en France et Yoshida a besoin d’un nouvel environnement pour partager sa passion du baseball. Venir développer le baseball français est alors une manière de rendre au baseball ce que ce dernier lui a apporté. C’est un véritable petit miracle pour le baseball français.
Dès 1989, Yoshida prend les rênes du PUC, qui enchaîne les titres de champions de France depuis 1982 mais qui reste encore un club très amateur, dans tous les sens du terme, particulièrement pour un professionnel japonais. Dans une interview de 2015 à la fédération japonaise, il parlera même de baseball de terrain vague, ou « sandlot game » pour faire une référence américaine. Les Français aiment le jeu, veulent bien faire mais manquent d’expérience et de technique. C’est ce que va apporter Yoshida qui, dès 1989, rejoint l’encadrement de l’équipe de France avant d’en devenir le manager de 1990 à 1995.
Sous le commandement de Ushiwakamaru, les Bleus passent dans un autre univers. Le japonais leurs apprend la discipline d’équipe et l’importance de travailler les bases, comme les double-jeux ou encore les amortis, face à des joueurs français qui cherchaient uniquement à faire de grosses frappes. Il cherche également à leur donner de l’expérience, beaucoup d’expérience, surtout qu’avec l’arrivée du baseball comme sport officiel aux Jeux Olympiques à Barcelone en 1992, la FFBS ambitionne de rejoindre la fête, avec Atlanta 1996 en objectif. Pour se faire, Yoshida use de son réseau pour donner de nombreuses opportunités aux joueurs. La France accède ainsi à de nombreux tournois internationaux comme l’International Cup ou la President Cup. Il fait également venir une équipe japonaise à Paris. Les Bleus joueront plus de 30 matchs de haut niveau sur cette période. En parallèle, Yoshida ouvrent les portes des Tigers aux français qui peuvent s’entraîner quelques temps avec les professionnels d’Osaka, tandis que le Hall of Fame japonais lui ouvrent ses portes avec une intronisation en 1992.
Toute une génération dorée accède alors à un autre modèle du baseball comme Jamel Boutagra, Arnaud Fau, Samuel et David Meurant, Stephen Lesfargues ou encore Patrice Baudin. Certains deviendront les premiers joueurs pros français, comme Arnaud Fau en ligue industrielle japonaise avec Miki House (1996-1998) ou Jamel Boutagra en ligue indépendante américaine. Quant à Stephen Lesfargues, il est aujourd’hui le Directeur Technique National de la fédération.
Si la France made in Yoshida a échoué à se qualifier aux JO, il lui permit de participer à sa première Coupe du Monde de baseball, à l’été 1994, après une série qualificative mythique en mai face à l’Afrique du Sud au Stade Pershing, niché au cœur du Bois de Vincennes. Et malgré son départ après 1995, son héritage restera vivant. La génération qu’il aura développée gagnera une médaille de bronze à l’Euro 1999, la seule en baseball senior encore aujourd’hui, puis se qualifiera encore deux fois en Coupe du Monde, en 2001 puis 2003. La FFBS honora cet héritage en juin 2011 en le nommant Membre d’Honneur de la fédération lors d’une cérémonie au Musée National du Sport, devant une foule de journalistes japonais, qui venaient célébrer celui qui, au Japon, était appelé, en français dans le texte, Monsieur Yoshida.
Côté club, il remporte quatre titres de champion de France avec le PUC, de 1989 à 1992, bat le champion d’Europe Rimini en 1990, 11-4, une performance historique pour un club français, puis amène le PUC à sa deuxième demi-finale européenne, après 1976. Il faudra attendre Rouen en 2007 pour voir un club français faire mieux au niveau européen. Yoshida est également aidé d’autres japonais expérimentés, comme Akitada Niiyama, lanceur qui officia 8 saisons en NPB avant de coacher chez les Nankai Hawks, les Hanshin Tigers et les Hankyu Braves.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et Yoshida décide de repartir dans la fournaise de la NPB et du stade Koshien, avec son dernier passage chez les Tigers de 1997 à 1998, mais sans rencontrer le succès, notamment à cause d’un mauvais recrutement d’agents libres. Néanmoins, dans cette période sombre du club, Yoshida commence le développement d’une génération de jeunes joueurs qui formeront le cœur des Tigers qui remporteront les titres de Central League en 2003 et 2005.
Ardent ambassadeur du baseball, via les Tigers ou la fédération japonaise, il n’a eu de cesse de transmettre son savoir et sa passion pour que le baseball se développe au-delà des pays majeurs de ce sport, en France comme dans le reste du monde. Il suffit de parcourir les réseaux sociaux de la France du baseball depuis hier, et particulièrement de ceux qui l’ont connu à l’époque, pour comprendre l’impact qu’il a eu, un impact dépassant parfois le sportif.
Sa parenthèse française paraît si incroyable, compte tenu de ce qu’était le baseball français de l’époque et au regard de son parcours élite, qu’on peine à croire qu’elle a vraiment eu lieu. Pourtant, c’est vrai. Il fut notre manager. Il fut notre coach. Il fut le visage de la France du baseball. Et, même s’il nous a quittés, son héritage ne cesse de se transmettre aux plus jeunes générations par ceux qu’il avait pris sous son aile passionnée à l’époque. Yoshio Yoshida nous a quitté mais Monsieur Yoshida est, lui, bien vivant dans la mémoire et le présent du baseball français.
Arigato gozaimasu Monsieur Yoshida.




