Adieu les A’s !

Édito. C’est aujourd’hui que les Athletics d’Oakland – les A’s comme on les surnomme depuis Philadelphie où ils ont débuté leur longue et riche histoire – jouent leur dernier match à domicile. Une ultime rencontre au plus que vieillissant Coliseum. Mais un vieux stade MLB qui aura vu quelques unes des plus glorieuses pages de l’histoire du baseball.

Fin d’une histoire d’amour… @csstevensphoto

Ce que l’on va vivre avec ce dernier match à domicile, et les derniers matchs des A’s en tant que franchise d’Oakland, est un moment d’histoire comme on en voit peu, comme on en a plus vu depuis longtemps : le départ d’une franchise. La dernière, toute aussi brise-coeur, c’était les Expos de Montréal quittant le Québec pour Washington, afin de devenir les Nationals. C’était à la fin de la saison 2004. 20 ans tout pile. Un triste anniversaire qu’on aurait préféré ne pas fêter avec le départ des A’s vers d’autres cieux, qu’ils espèrent plus radieux.

Ce départ n’est pas sans rappeler celui de la franchise alors qu’elle était à Philadelphie. C’était alors un grand club, mené durant 50 ans par le légendaire Connie Mack, manager et propriétaire des Athletics depuis 1901. Avec eux, il avait remporté 5 World Series et 9 titres de Ligue Américaine. Personnage charismatique, il avait l’originalité de diriger son équipe en costume cravate et borsalino, là où les managers étaient généralement en uniforme de leur club. Bien qu’arrivés après les Phillies, les A’s s’étaient imposés rapidement comme l’équipe de la ville. Mais, durant les années 1940, le club avait commencé à décliner. La succession de l’héritage de Mack par ses enfants, issus de différents couples, avait été difficile et précipita la chute de la franchise, aussi bien sportivement que financièrement, alors que les Phillies cessaient d’être une équipe de troisième zone pour devenir l’équipe de cœur des fans de Philly. Résultat, quand les A’s jouent leur dernier match dans la ville de l’Amour Fraternel, face aux Yankees, le 19 septembre 1954 – il y a 70 ans, encore un chiffre rond, comme si le destin avait écrit cette tragique histoire-, ils ne sont que 1834 spectateurs dans le Connie Mack Stadium. L’équipe finira la saison avec un bilan catastrophique de 103 défaites.

Peu de personnes se sont émues de leur départ pour Kansas City à la fin de la saison et ce sera de même pour leur départ de cette ville qui n’aura été qu’une étape insipide dans l’histoire de la franchise. En revanche, à Oakland la populaire, les A’s vont retrouver un certain esprit de Philly. Comme Philadelphie, et malgré l’apparente douceur de la Californie, Oakland est rugueuse et les A’s seront au diapason de la rivale de San Francisco la bourgeoise, qui la nargue de l’autre côté de la baie. Une nouvelle rivalité iconique naît alors au sein de la MLB.

Retracer l’histoire riche des A’s sur la côte Ouest aurait de quoi nourrir des dizaines d’articles. Vous m’excuserez de ne pas être totalement exhaustif et de lister une accumulation de grands faits historiques. Mais cela vous donnera un aperçu de qui sont… étaient… les A’s d’Oakland. Il faut dire que les nouveaux arrivants vont vite se signaler. Arrivés en 1968 dans la baie, ils se permettent de rayonner dès le début des années 1970, enchaînant un triplé en World Series entre 1972 et 1974, dans une décennie qui ne manque pas d’équipes mythiques : la Big Red Machine de Cincinnati, les Pirates de Clemente et Stargell, les Orioles des deux Robinson, Brooks et Frank, pour ne citer que ses monstrueuses équipes du début des seventies.

Les A’s n’ont pas la meilleure équipe sur le papier mais ils vont se révéler tenaces et clutch, à l’image des joueurs iconiques de cette période dans leur roster : Reggie Jackson, MVP en 1973, Catfish Hunter, Vida Blue, Bert Campaneris, Sal Bando, Ken Holtzman ou Blue Moon Odom, le tout chapeauté au début par le manager Hall of Famer Dick Williams et le bouillonnant propriétaire Charles Finley. D’ailleurs, c’est tout ce beau monde qui est bouillonnant, pour rester poli. C’est souvent orageux dans les coulisses, à tous les niveaux, mais cette rage s’exprime avec brio sur le terrain. Cette équipe gagnera le surnom éternel de Swingin’ A’s, digne représentante de la plus turbulente et enflammée décennie du baseball.

L’équipe brille jusqu’en 1975 mais ne peut éviter les ravages de l’avènement de la Free Agency. Les forces vives quittent le navire. Deux d’entre eux apporteront le renouveau du côté du Bronx, Catfish Hunter puis Reggie Jackson, alors le plus gros transfert de l’histoire de la MLB depuis Babe Ruth, qui amènera sa folie pour permettre aux Yankees de gagner à nouveau les World Series. Cependant, la reconstruction ne prendra pas beaucoup de temps. Les A’s redeviennent compétitifs dans les années 1980, particulièrement à la fin de la décennie. Héros malheureux des World Series 1988 face aux Los Angeles Dodgers, et du mythique walk-off homerun d’un Kirk Gibson blessé lors du Game 1, ils prennent leur revanche l’année suivante, en prenant le meilleur sur une autre équipe californienne, leurs rivaux d’en face, les San Francisco Giants. Ils les surclassent, en les sweepant, dans ce que l’on surnomme The Battle of the Bay, The Bay Bridge Series ou encore les Earthquake Series, en raison du violent tremblement de terre qui marque le Game 3 et qui reportera un temps la série.

La franchise d’Oakland jouera une nouvelle fois les Séries Mondiales en 1990 mais, cette fois-ci, elle sera fera sweeper à son tour par des surprenants Reds de Cincinnati, qui prennent leur revanche sur les A’s qui les avaient privé de titre en 1972. Les A’s des eighties et du début des nineties ont fortement marqué les fans français de l’époque, alors que le baseball en France connaît un boom important comme l’ensemble des sports US. L’intérêt pour les ligues pros américaines est alors croissant dans le pays. De nombreux français gardent en mémoire les héros de l’époque du côté d’Oakland : Rickey « Man of Steal » Henderson, les Bash Brothers Mark McGwire/José Canseco, Dave Stewart et Dennis Eckersley, un des plus grands closers de l’histoire. Les A’s marquent toute une génération de chaque côté de l’Atlantique et dans le monde entier.

Malgré de faibles moyens, l’équipe arrive toujours à trouver le moyen de gagner. Même si les Athletics ne retrouveront plus le goût de la victoire en World Series, ils vont continuer à faire leur place en octobre, notamment au début des années 2000 en lançant une révolution, la révolution Moneyball. Initié avec le general manager Sandy Alderson et peaufiné par son sucesseur Billy Beane, les A’s entame une nouvelle ère dans le construction d’une équipe en se basant sur des statistiques appelées Sabermetrics, popularisées par un certain Bill James. Les A’s n’ont pas de pétrole mais ils ont des idées. Cette révolution, qui va imprégner tout le baseball puis l’ensemble du monde sportif, est mise en lumière par le livre du journaliste Michael Lewis, Moneyball, l’art de gagner un jeu injuste (2003), puis le film Le Stratège (2011) de Bennett Millier avec Brad Pitt, Jonah Hill, Chris Pratt, Robin Wright et Philip Seymour Offman, considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs films sur le sport.

Malheureusement, malgré quelques présences en séries, notamment la dernière en 2020, les A’s semblaient sur un déclin que nul ne souhaitait enrayer dans les hautes sphères du club. En tout cas, pas à Oakland et son stade décrépi. La ville, qui a déjà vu le départ, en NBA, des Warriors chez le voisin, puis des Raiders de la NFL dans l’eldorado du jeu, Vegas, voit sa dernière grande équipe de sport la quitter. Elle aussi s’en va rejoindre le paradis des casinos, au milieu du désert, une ville qui semble à mille lieues de l’identité historique de la franchise.

Quand je suis arrivé dans l’univers du baseball, mon choix d’être fan des New York Yankees était déjà acté. New York me faisait rêver, mes seules connaissances dans ce sport s’appelaient Babe Ruth, Joe DiMaggio et Derek Jeter. C’était naturel pour moi. Mais, très vite, les A’s de Billy Beane m’ont plu. Mon cœur de rebelle, mes idées de révolutionnaire, mon attachement pour les outsiders du sport se retrouvaient pleinement dans les Athletics. Et ces couleurs ! Peut-être la plus belle association au sein de la MLB. Si je n’étais pas fan des Yankees, je serai assurément un fan des A’s. Des A’s d’Oakland. Pas des A’s de Vegas, ou quelque soit le nom qu’ils prendront. Je ressentirais probablement une peine et un déchirement assez proches de ce que les fans, qui virent partir les New York Giants et les Brooklyn Dodgers sur la côté Ouest à la fin des années 1950, ressentirent alors.

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Cette semaine, à Oakland, je ne sais pas où se situera la tristesse des fans et des habitants de la ville. La direction des A’s a assez pourri la situation pour ne pas avoir, au sein de la population, le même déchirement qu’en 1957 à New York et Brooklyn mais il y a encore assez d’amour dans cette équipe pour ne pas avoir l’indifférence de 1954. Même si la mort des A’s fut lente et pathétique, presque anodine au regard de la cruauté ordinaire du sport business, le départ de la franchise marquera durablement cette ville populaire, qui doit aujourd’hui conjuguer une explosion de la pauvreté, des bidonvilles et de la violence avec la gentrification d’une partie de la ville. Quel sera le futur d’Oakland ? En perdant successivement les Warriors, les Raiders et enfin les A’s, n’a-t-elle pas perdu son âme ? La question se pose.

En revanche, c’est certain. Avec la fin des A’s d’Oakland, la MLB perd, elle, un peu de son âme. Et nous fans, un peu aussi. Ce baseball, rugueux et inventif, tenace et vivant, s’efface encore un peu plus des terrains. Je le regrette. J’aurais aimé que les A’s d’Oakland soient sauvés. Probablement, étaient-ils anachroniques. Probablement. Ils étaient un souvenir vivant d’une autre époque, une illusion qui se maintenait dans une ville à bout de souffle. Ou en manquant pour une équipe de la MLB. Il aurait fallu beaucoup de passion et de patience pour maintenir cette illusion et, qui sait, en faire une nouvelle réalité à Oakland. Il ne semble qu’il n’y avait ni passion, ni patience parmi ceux qui avaient les clés pour ouvrir un nouveau chapitre des A’s à Oakland.

Dans ce malheur, il y a une chance. Parmi les équipes qui ont disparu, certaines ont vécu si intensément, ont brillé si fort, que leur lumière irradie les pages de la grande histoire du baseball. Elles continuent de vivre dans la mémoire collective. Elles éclairent sans cesse nos souvenirs de passionnés. Alors, ce n’est pas un adieu que je vous adresse les Oakland A’s mais un au revoir. On se reverra bientôt au détour de vos exploits passés.

Our Loves.

 

Photo Une – crédit : Jerry Telfer / The Chronicle 1973


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