Seoul Series 2024 – A la découverte de la KBO avec les spécialistes Jeeho Yoo et Dan Kurtz

Après un faux départ en novembre 2022, les Seoul Series auront bien lieu en 2024. C’est demain que les Los Angeles Dodgers et les San Diego Padres débuteront leur série de deux matchs au Pays du Matin Calme, après avoir affronté l’équipe nationale coréenne et deux équipes de la KBO. Les Padres ont ferraillé avec les LG Twins, vainqueurs des Korean Series 2023 tandis que les Dodgers ont affronté les Kiwoom Heroes, vice-champions de la saison 2022. Il était donc logique que The Strike Out vous propose une série d’articles sur le baseball coréen. Et nous poursuivons cette série par un article sur la Korean Baseball Organization, le célèbre championnat professionnel coréen. Et pour nous aider dans cette découverte, nous avons fait appel à deux spécialistes du baseball made in Corée, le journaliste de l’agence coréenne Yonhap News, Jeeho Yoo, et le fondateur du site MyKBO, Dan Kurtz.

Août 2022. La MLB annonce la tenue d’une série de matchs entre deux sélections de joueurs de la MLB et de la KBO. Ces Korea Series s’inscrivent dans le MLB World Tour, cette stratégie visant à internationaliser tant la MLB que le baseball lui-même. Mais un désaccord avec les promoteurs locaux oblige la MLB à retarder ce qui sera ses premiers matchs dans le pays. Une première qui a donc lieu en 2024 et qui étonne. Car, si la MLB ne débarque que cette année en Corée, le baseball lui est présent depuis plus d’un siècle dans ce pays majeur du continent asiatique et de l’univers baseball. Passion populaire depuis longtemps, le baseball coréen n’entretient des liens réguliers avec la MLB que depuis quelques décennies. Mis à part un match lors de la tournée d’une sélection de joueurs MLB en 1921 en Asie, où une équipe coréenne avait été atomisée 23-3 par les pros US, la Corée n’avait au aucun lien avec les Grandes Ligues de l’Oncle Sam, qui lorgnèrent plutôt du côté du Japon.

Il faut dire que le baseball en Corée n’a pas eu la même histoire qu’au Japon, et encore moins le baseball professionnel local. Au Japon, ce professionnalisme monte en puissance dans les années 1930. Pour la Corée, il faudra attendre le début des années 1980. Retour en arrière.

L’histoire tourmentée du baseball coréen

Comme vous le racontait notre chroniqueur Ibrahima aka Le Homera dans son article WBC sur la Corée que nous avons publié à nouveau hier, le baseball apparaît dans la péninsule à la fin du 19ème siècle grâce à des marins américains qui jouent quelques matchs dans ce qui est encore le royaume Joseon. Mais c’est en 1905 qu’un missionnaire américain de la YMCA, Philip L. Gillet, commence à réellement implanter le baseball à Seoul. Cette même année, le Japon commence lui aussi son implantation suite à sa victoire dans la guerre russo-japonaise. L’annexion définitive de la Corée dans l’empire nippon sera concrète cinq ans plus tard. Naturellement, l’influence japonaise va favoriser l’essor du baseball dans la péninsule. Si le baseball n’est pas encore professionnel au Japon, c’est déjà une passion populaire, et il est très implanté dans le milieu scolaire et universitaire. Il ne faudra attendre que cinq autres années pour voir la création du fameux Koshien, une compétition à laquelle les lycées coréens pourront participer de 1921 à 1940.

Néanmoins, durant cette période, le baseball représente une contradiction pour les Coréens. C’est à la fois un outil d’émancipation et d’affirmation nationale dans un pays colonisé mais c’est aussi un symbole de cette colonisation et de la soumission qu’elle impose, à l’instar de ce qui se passe avec le baseball taïwanais. D’ailleurs, les joueurs coréens souffrent de restrictions dans l’accès au jeu, ce qui marque leur différence de statut avec les joueurs japonais. Malgré un déclin de la popularité du baseball vers la fin de la domination japonaise, probablement en lien avec la dureté du régime militariste nippon alors que se profile la Seconde Guerre Mondiale, le baseball coréen reste une source de fierté nationale quand des équipes coréennes remportent l’une des compétitions majeures du baseball japonais, le Tournoi Inter-Cités, en 1940 et 1942.

L’équipe de baseball de la Hwangsung Young Men’s Christian Association avec leur manager Philip Gillett, en 1911 – crédit : Yonhap

Le baseball coréen retrouve de l’élan dans les années 1950 grâce à la présence américaine durant la Guerre de Corée, un élan limité à la partie sud du pays après la partition de ce dernier. Cependant, il n’est toujours pas question de professionnalisation dans un pays qui va être sous la coupe d’une dictature militaire, celle de Park Chung-hee après son coup d’État en 1961. Durant cette période, c’est le baseball lycéen qui prend la lumière puis l’équipe nationale qui brille sur la scène internationale à partir de la coupe du monde 1978 où elle termine 3ème avant d’être finaliste en 1980. Le baseball coréen semble mûr pour la professionnalisation, d’autant plus que la dictature de Park se termine avec son assassinat en 1979. Certes, le pays reste un régime militaire oppressif mais les aspirations démocratiques poussent dans la société, tout comme les entrepreneurs qui veulent donner un nouveau souffle à l’économie coréenne. C’est, à travers un drame, que ces deux aspirations vont aider à la création de la KBO en 1982.

En effet, le pouvoir militaire est bousculé par le Printemps de Séoul d’octobre 1979 à avril 1980, mené notamment par une jeunesse qui aspire à la liberté. Mais en mai 1980, le soulèvement étudiant et syndical de Gwanju éclate et est sévèrement réprimé par l’armée. Selon les estimations, on compte entre 1000 et 2000 morts chez les manifestants, sans compter les blessés. Face au massacre, le nouveau gouvernement militaire a besoin de redorer son image et d’éloigner les esprits des questions démocratiques. La culture et le sport professionnel seront les contre-feux, tout en répondant au virage libéral du monde économique à l’échelle planétaire. La Korean Baseball Organization est fondée en 1982, suivie par la K-League en football l’année suivante. La Corée obtient également en 1981 l’organisation des Jeux Olympiques d’été de 1988. Le sport coréen prend une nouvelle dimension mais il ne détourne pas tant l’attention de la population. En juin 1987, d’énormes manifestations populaires s’opposent à la dictature militaire, ouvrant la voie au processus de démocratisation de la Corée.

Création de la KBO et renouveau démocratique

Le 27 mars 1982, la KBO se lance dans le grand bain du sport pro avec six équipes et une saison à 80 matchs. Jusqu’en 1989, la saison est partagée en deux et les vainqueurs de chaque demi-saison se rencontrent en finale jusqu’en 1985. Mais ce système pose des inconvénients en termes d’attractivité. Il n’y a pas assez de matchs de playoffs, surtout en 1985 où les Samsung Lions gagnent les deux demi-saisons, remportant donc le titre sans jouer de finale. De vrais playoffs sont donc créés en 1986 puis le système de demi-saison est abandonné en 1989 au profit d’une ligue unique de 120 matchs par équipe. Si la ligue gagne des franchises dès les années 1980, elle va longtemps se chercher entre ligue unique, puis deux ligues comme en MLB et NPB en 1999 avant un retour à une seule ligue en 2001. Le nombre de matchs oscille également et la ligue doit faire face aux équipes qui, appartenant à de grands groupes industriels, disparaissent ou sont relocalisées après un rachat. Il faut attendre 2015 et l’ajout du KT Wiz pour que la ligue trouve sa 10ème équipe, le nombre actuel des participants de la KBO.

En fait, la KBO a eu la vie dure, particulièrement à partir du milieu des années 1990 au début des années 2000, où elle a pris de plein fouet la crise économique du continent asiatique de 1998 d’une part et la concurrence du football d’autre part, alors que la Corée venait de décrocher la co-organisation de la Coupe du Monde 2002 avec le Japon. Résultat, sa popularité baisse. Heureusement pour elle, l’équipe nationale vient à sa rescousse comme nous le confirme Dan Kurtz « Au début des années 2000, l’affluence dans les stades de la KBO était à son plus bas. Mais grâce à la WBC en 2006 et à l’or olympique en 2008, l’intérêt pour la ligue avait atteint un niveau sans précédent ». Team Korea enchaîne une 3ème place dans la première World Baseball Classic en 2006 et une médaille d’or à Pékin, de quoi redorer le blason d’une KBO mal en point. Pourtant, la ligue avait pris une grande décision en 1998 pour attirer les fans : recruter à l’étranger. Jusque-là, la KBO n’était composée que de joueurs coréens. Seule exception possible, des joueurs étrangers mais d’origine coréenne. C’était aussi une conséquence d’une KBO qui manquait de ressources financières pour embaucher des joueurs étrangers, aux prétentions salariales élevées.

La saison 1998 voit débarquer douze joueurs étrangers dont quatre lanceurs. Si ces derniers vont exceller, le bilan des joueurs de position sera plus mitigé. Ce qui n’empêche pas l’un d’entre deux, Tyrone Woods, ancien drafté des Expos de Montréal qui n’a pas réussi à atteindre la MLB, de s’imposer comme MVP et Homerun King dès 1998. Malheureusement, la décision de faire venir ces joueurs se prend le mur de la crise économique et son lot de ressentiments. Leurs salaires élevés entrent en contradiction avec les besoins d’économie tout en prenant le travail de joueurs coréens.

Lee Man-soo arrive au marbre après avoir frappé le premier homerun de l’histoire de la KBO le 27 mars 1982 à Séoul pour le compte des Samsung Lions – crédit Ilgan Sports

La KBO aurait pu aussi surfer sur le grand évènement de l’année 1994 : l’arrivée du premier joueur coréen en MLB quand les Los Angeles Dodgers signèrent le lanceur Chan-ho Park. L’arrivée des stars coréennes dans le plus prestigieux, compétitif et médiatique championnat de baseball du monde, dans le pays de naissance de ce sport, permit au peuple coréen de ressentir un grand sentiment collectif de fierté mais aussi de reconstruire une identité nationale en adéquation avec son époque. Ce travail avait été engagé dès les années 1980 mais, dans un pays qui s’ouvrait au monde et à la démocratie, les succès du baseball et du football résonnaient plus fort.

Baseball vs Football, une lutte sans vainqueur ni vaincu ?

D’ailleurs, cette concurrence entre le baseball et le football est toujours d’actualité et se pose la question de savoir quel sport prend le titre de sport national coréen. La réponse n’est pas simple et dépend du point de vue que l’on adopte. « La KBO est la plus ancienne ligue sportive professionnelle de Corée. Tout a commencé en 1982, un an avant le football. Et même au début, la KBO suscitait toujours plus d’intérêt à l’échelle nationale que la K-League » précise Jehoo Yoo. Mais est-ce toujours le cas ? « Lorsque vous parlez de ligues sportives professionnelles, la KBO est n°1 et la K-League est n°2 ».

Effectivement, la KBO affiche une meilleure moyenne de spectateurs par match que la K-League. En 2022, la moyenne était de 8420 spectateurs pour le championnat de baseball contre 3148 pour celui de football. La KBO se place aussi devant en termes de revenus. En 2018, la KBO engrangea 381,6 millions d’euros tandis que la K-League affichait un revenu de 263 millions l’année suivante. Logiquement, les salaires sont meilleurs en KBO du moins pour les gros salaires. Pour le baseball, le meilleur salaire est celui de Hyun Jin-Ryu, l’ancien lanceur star des Dodgers et des Blue Jays de retour au pays avec 1,7 millions d’euros, à égalité avec le receveur des LG Twins Park Dong-won. En K-League, le premier à ce classement est le défenseur du Ulsan HD FC, Kim Young-gwon avec un peu plus d’un million d’euros.

Doit-on en conclure que le baseball surpasse le football ? Si pour Dan Kurtz « le baseball est le sport le plus populaire en Corée », Jehoo Yoo est plus dans la nuance : « En termes d’événements sportifs, les matchs des équipes nationales masculines de football (amicales, éliminatoires de la Coupe du monde, etc.) sont de loin les n°1. Mais au quotidien, semaines après semaines, la KBO reste plus populaire que la K-League. Je pense que les fans de football coréens ont tendance à être plus intéressés par les exploits des joueurs vedettes à l’étranger, comme Sonny, Lee Kang-in, Kim Min-jae, pour n’en nommer que quelques-uns, que par le championnat national. Et comme la plupart d’entre eux jouent pour l’équipe nationale, les matchs de l’équipe nationale attirent naturellement beaucoup les regards. Je pense que les fans de football sont plus intéressés par la Coupe du Monde de la FIFA tous les quatre ans que par les compétitions nationales. », et d’ajouter « je dirais que le baseball est le sport n°1 en Corée. Mais si vous opposez le septième match des Korean Series à un match amical masculin entre la Corée et, disons, le Brésil à Séoul, alors je pense que le match de football l’emportera dans ce cas ».

La KBO a retrouvé des couleurs à la fin des années 2000 grâce aux performances de l’équipe nationale. Après sa 3ème place à la WBC 2006 et l’or à Pékin, elle termine deuxième de la WBC 2009. Dans les années 2010, son modèle se fixe. En passant à 10 équipes, elle augmente son nombre de matchs à 144 par équipe sur une saison qui s’étend du 1er avril à début novembre pour les Korean Series. Les équipes jouent six rencontres par semaine avec le lundi off. Une machine bien rodée. Résultat, elle atteint le pic de 8,4 millions de spectateurs dans ses stades en 2017 avec une moyenne de 11 600 fans par match. La KBO semble enfin avoir passé un palier dans son développement.

Mais une nouvelle crise la frappe comme elle frappe le monde. La pandémie du Covid 19. Certes, la ligue va jouer la saison, débutant avec quelques semaines de retard mais sans public. En 2021, les restrictions dues à la pandémie ne permettent pas un retour complet des fans, même si 1,19 millions de spectateurs accèdent aux stades. Il faut attendre 2022 pour retrouver en masse du public. La situation semble périlleuse, surtout que l’équipe nationale déçoit aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021 et enchaînent une deuxième WBC catastrophique en 2023, avec une élimination au 1er tour.

Et pourtant, la KBO va bien comme le confirme, surpris, Jehoo Yoo « J’ai été surpris de voir que les mauvaises performances de la Corée aux derniers Jeux Olympiques et à la WBC n’ont pas affecté les affluences de la KBO l’année dernière. En fait, le KBO a connu une légère hausse de fréquentation avec un peu plus de 8,1 millions de fans en 2023, le troisième plus grand nombre de son histoire (derrière 8,4 millions en 2017 et 8,3 millions en 2016). Pendant la pandémie, avec les restrictions sur le nombre de supporters autorisés dans les stades, la fréquentation était évidemment très faible. Ils ont bien rebondi en 2022, puis ont atteint de très bons sommets en 2023. Et avec le retour de Hyun-Jin Ryu de la MLB pour lancer à nouveau pour les Hanwha Eagles à partir de cette année, le chiffre de fréquentation pourrait encore augmenter cette saison. Les Eagles jouent dans un petit stade de 12 000 places mais ils sont déjà à guichets fermés pour deux matchs d’entraînement de printemps. Et ils devraient également attirer des foules immenses sur la route, surtout lorsque Ryu débute. Les fans de baseball semblent fidèles à leurs équipes préférées, que ce soit à travers leurs liens locaux ou corporatifs, et ne se soucient apparemment pas vraiment des performances de l’équipe nationale ».

En revanche, la saison 2024 va être un vrai test pour la KBO et sa fanbase comme le rapporte Dan Kurtz « Cette année sera une année clé pour voir à quel point les fans sont intéressés par la ligue, car en raison d’un nouvel accord sur les médias numériques, les matchs de la KBO sont désormais payants. La question pour 2024 sera de savoir combien de ces fans paieront 5 500 wons (3,79 euros) par mois pour regarder des jeux KBO qui étaient autrefois gratuits ». La somme semble modique mais c’est un vrai changement pour la KBO. Surtout que la ligue risque de gagner en popularité entre ces Seoul Series et ses nouvelles stars en MLB. Parmi elles, Ha-seong Kim, arrivé aux Padres en 2021 et qui a remporté un Gold Glove en 2023, ou encore Jung-hoo Lee qui débutera avec les San Francisco Giants cette saison. Surnommé « Grandson of the Wind » en référence à son père Jong-beom Lee « Son of the Wind », ancien MVP de la ligue en 1994, le nouveau joueur de Frisco a lui aussi été MVP de la KBO, en 2022. Ils ont la lourde tâche de faire briller le baseball coréen après le retour au pays de Hyun-jin Ryu, All-Star et meilleur ERA de la MLB en 2019.

Leur succès pourrait booster l’attractivité de la KBO, ses finances mais aussi ses tarifs. Surtout que, comme avec la NPB, la KBO protège son championnat d’un éventuel pillage de talents par la MLB ou d’un trop grand nombre de joueurs étrangers dans son championnat, une protection renforcée par le récent salary cap décidé par la ligue. Ce qui n’est pas le cas pour la K-League qui subit la concurrence avec les internationaux coréens évoluant à l’étranger qui, même si cela sert les intérêts de l’équipe de Corée, attirent les fans de football coréens vers d’autres horizons footballistiques que la K-League.

Les fans coréens et la MLB

Cependant, la MLB reste le centre de la galaxie baseball, à des années-lumière de la KBO en termes de niveau de jeu, de puissance économique ou de médiatisation. Et la Corée se trouve non loin de l’autre pays du baseball, avec la deuxième plus puissante ligue de ce sport, dans le top 10 des ligues sportives tous sports confondus, la NPB. Alors, comment les fans coréens vivent-ils leur rapport à la MLB et, notamment, aux deux équipes présentes aux Seoul Series, les Dodgers et les Padres ? « Les fans coréens sont très intéressés par leur propre ligue, mais ils ont également un intérêt profond pour la MLB. Les fans suivront principalement les équipes de la MLB qui comptent des joueurs coréens, c’est pourquoi les Padres sont populaires et pourquoi traditionnellement les Dodgers sont populaires en Corée », nous explique Dan Kurtz. Il poursuit « La Corée s’intéresse aux Dodgers depuis de nombreuses années grâce à la signature de Chan-ho Park. En 1998, les LG Twins ont même signé un accord d’amitié avec les Dodgers, le premier du genre en Corée. Actuellement, même si les Dodgers n’ont aucun joueur coréen dans leur effectif, ils ont encore de nombreux fans en Corée. Pour le moment, avec Kim Ha-seong et Go Woo-suk faisant partie des Padres, ils constituent l’équipe populaire à suivre par les fans coréens. Même si je ne suis pas sûr que le niveau de fandom atteindra un jour celui des Dodgers en Corée, les Padres sont très populaires ».

Jehoo Yoo partage cet avis « Les fans coréens sont définitivement intéressés par la Major League Baseball. Ils y suivent de près les joueurs coréens et ses matchs sont diffusés en direct sur le câble et également en ligne. Certaines équipes ont de nombreux fans coréens même sans aucun joueur coréen. Les Dodgers sont probablement l’équipe MLB la plus populaire en Corée, avec des équipes comme les Yankees. Oui, leur histoire avec Chan Ho Park et quelques autres joueurs coréens (Hyun-Jin Ryu, plus récemment) aide.

Et chaque fois qu’une équipe acquiert un joueur coréen, la popularité de cette équipe en Corée augmente. Les Padres en sont un exemple. Ils ont eu des joueurs coréens dans le passé (Park dans ses dernières années et Cha Seung Baek il y a quelques années), mais ils n’étaient pas aussi populaires que d’autres équipes plus importantes du marché. Ils ont maintenant Kim et un autre joueur coréen, Woo Suk Go. Nous avons vu plus de casquettes et de maillots des Padres en Corée depuis que Kim a signé avec eux avant la saison 2021. ». Et pour la NPB ? « Je pense que seuls les fans inconditionnels suivent la NPB maintenant car il n’y a aucun joueur coréen là-bas pour le moment ».

Chan-ho Park a bâti sa légende aux Dodgers, ouvrant la voie aux coréens en MLB – crédit : Jeff Gross/Getty Images

La difficile évaluation du niveau de la KBO

Depuis Chan-ho Park, plusieurs joueurs coréens ont fait leur trou en MLB, comme Ryu, Shin-soo Choo ou encore Ji-man Choi. Mais, pour le moment, aucun coréen n’a réussi à avoir une carrière comme les voisins, et adversaires historiques, de l’archipel japonais, qui ont eu droit à Ichiro et au meilleur joueur du monde actuel, Shohei Ohtani. Des joueurs qui s’inscrivent parmi les légendes des légendes de la MLB. Avec le déclin du baseball cubain, le Japon s’est imposé comme l’autre grande puissance du baseball mondial, et la NPB comme le deuxième plus grand championnat de la petite balle à coutures rouges. Où situer la KBO dans la hiérarchie mondiale ou dans son niveau de jeu ? « Je pense que c’est entre AA et AAA, analyse Yoo. On dit que la NPB est vraiment AAAA et la KBO n’est pas considérée comme aussi bonne que la NPB. Mais il est difficile de comparer différentes ligues. Parfois, les joueurs qui ont bien réussi en NPB ou même en MLB ont du mal à jouer en KBO ». Dan Kurtz ne peut pas non plus donner une évaluation ferme et définitive «La KBO est une ligue assez difficile à évaluer. La raison en est qu’une équipe pourrait avoir une formation qui commence par une star de la MLB (Kim Ha-seong), puis également avoir un joueur qui pourrait même ne pas faire partie d’une équipe de recrue sur la même liste. Le niveau de jeu de la KBO varie en raison de ce large éventail de niveaux de talent. Mais si je devais le mettre en termes de ligues mineures, je dirais que le KBO peut varier entre AA et AAA dans une bonne journée ».

Actuellement, la KBO est souvent vue comme une ligue dans l’ombre directe de la MLB et de la NPB, dans un groupe où l’on trouverait les championnats de Taïwan, de Cuba, du Mexique, du Venezuela ou de la République Dominicaine, ces championnats d’un niveau AAA/AA mais avec des joueurs de calibre MLB en leur sein. Cependant, parmi tous les grands championnats professionnels, la KBO est une jeune ligue. Elle ne bénéficie pas d’une longue histoire à se développer et n’a certainement pas encore atteinte une forme de maturité, dans son organisation ou son niveau de jeu, même si elle avance vite.

A l’instar de la MLB et de la NPB, elle s’est organisée avec un système de draft et de ligues mineures, appelées Futures Leagues. « Le moyen le plus courant pour un joueur d’atteindre la KBO est de fréquenter des écoles secondaires qui ont un programme de baseball et d’exceller à ce niveau, nous décrit Kurtz. Ils veulent alors réussir assez bien dans les tournois nationaux afin que cela suscite l’intérêt des scouts de la KBO. Si les recruteurs et les équipes sont intéressées, le joueur sera alors repêché par une équipe. S’ils sont hautement repêchés et possèdent les compétences, ils peuvent faire partie de l’équipe de la ligue majeure leur première année de baseball professionnel. Mais sinon, ils joueront alors dans la Futures League jusqu’à ce que l’équipe se sente prête à les rappeler ». Certains choisissent aussi l’option universitaire pour mûrir leur jeu nous rappelle de son côté Jehoo Yoo « Certains des gars les moins talentueux peuvent choisir d’aller d’abord à l’université et d’y perfectionner leurs compétences pendant quelques années avant de participer au repêchage. Cependant, en règle générale, la plupart des bons joueurs passent directement du lycée à la KBO ».

Ce système qui s’étend du monde scolaire au monde professionnel a fait ses preuves en MLB, en NPB et en KBO. Mais, jusqu’à présent, si le baseball coréen a réussi à briller sur la scène internationale, la KBO n’a pas réussi à aligner des joueurs du même calibre que le voisin nippon. Notamment au niveau des lanceurs. « En général, le pitching n’est pas considéré comme aussi bon que celui de la NPB et de la MLB. Les lanceurs ici ne lancent pas aussi fort, par exemple. C’est souvent une source d’envie parmi les fans coréens lorsqu’ils voient des lanceurs japonais lancer à une vitesse de 97 à 100 mph. Il y a maintenant quelques jeunes lanceurs coréens prometteurs, mais je pense que les fans aimeraient voir un flux plus constant de jeunes talents », constate Jehoo Yoo. Pour Dan Kurtz, la force des joueurs coréens de la KBO sont leur discipline au bâton « Les personnes qui regardent la KBO peuvent remarquer des choses telles que la capacité des frappeurs à se battre au marbre et à frapper des foul ball lancer après lancer ». En revanche, pour lui, le bât blesse sur les lanceurs et la défense, malgré les performances dans ce domaine de Ha-seong Kim et son Gold Glove en 2023 : « Mais ils peuvent également remarquer que la défense peut être un peu plus faible que prévu et que la vitesse des lanceurs n’est pas comparable à celle de la MLB ».

En effet, rares sont les lanceurs coréens à être descendus sous la barre des 4 d’ERA lors de leur carrière MLB. Kwang-hyun Kim, qui a lancé de 2020 à 2021 pour les Saint Louis Cardinals, avant de repartir en KBO, a affiché un beau bilan de 2.97 d’ERA pour une fiche W/L de 10-7. Seung-hwan Oh a brillé aussi avec les Cards sur sa première saison, prenant le rôle de closer de l’équipe de Saint Louis en 2016 avant de connaître un déclin la saison suivante. Le seul lanceur coréen à avoir réellement brillé sur la durée depuis Chan-ho Park reste Hyun-jin Ryu lors de ses onze années de carrière dans les Majeures, partagées entre les Dodgers et les Blue Jays, et qu’il termine en 2023 avec un bilan de 78 victoires pour 48 défaites, un ERA de 3.27, ainsi qu’une sélection au All-Star Game en 2019, année où il termine 2ème du CY Young en National League (il sera 3ème des votes en AL la saison suivante).

Twins, Tigers, Giants : le trio de la popularité en KBO

Pour la saison MLB qui s’apprête à démarrer, les yeux des fans de la KBO se poseront sur les débuts très attendus de Jung-hoo Lee avec les San Francisco Giants, un joueur de position. Cependant, ils auront la chance de profiter avant tout d’un championnat local excitant, particulièrement avec le retour de Ryu en KBO au sein des Hanwha Eagles. La saison 2023 s’est terminée avec le titre des LG Twins, une des équipes fondatrices de la ligue et qui n’avait plus été championne depuis 1994. Un évènement pour le pays et Jehoo Yoo « Les LG Twins, basés à Séoul, ont mis fin à leur disette de championnat de 29 ans l’année dernière. Cela a été considéré comme l’actualité sportive la plus importante de 2023 dans toute la Corée, ce qui en dit long sur le statut du baseball dans ce pays et sur la position des Twins en termes de popularité et d’importance ».

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D’autres équipes partagent cette immense popularité au sein de la KBO pour Yoo « Les Kia Tigers ont remporté le plus de championnats avec 11 et n’ont jamais perdu dans les séries coréennes auxquelles ils ont participé. Ils disposent d’une base de fans fidèles. Les Lotte Giants ont remporté deux titres, mais connaissent actuellement la plus longue disette de titres, leur dernier championnat remontant à 1992. Leurs fans dans la ville de Busan sont également assez passionnés.. Je dirais que ces trois équipes sont les équipes les plus appréciées de la KBO ». « Les Kia Tigers ont remporté le plus de titres KBO et sont donc considérés comme les « Yankees » de Corée pour cette raison, précise Dan Kurtz.

Et qu’en est-il des Kiwoom Heroes qui cultivent deux particularités ? Contrairement aux neuf autres équipes, ils n’ont jamais été champions et il s’agit de la seule équipe qui n’est pas liée à une compagnie dite chaebol, ces grosses sociétés coréennes comme Samsung, LG ou Kia. Est-ce que leur particularité leur amène de la popularité, à l’instar des Oakland A’s en MLB ou des Green Bay Packers en NFL ? Pas vraiment pour Yoo : « Eh bien, les Kiwoom Heroes sont différents pour la raison que vous avez soulignée, mais ils sont l’une des équipes les moins populaires de la ligue, se situant au bas de l’échelle du nombre de spectateurs chaque année ». Basés à Seoul, les Heroes, créés en 2008, sont possédés par un groupe d’investisseurs particuliers et non une grande entreprise. Par conséquent, leurs moyens financiers sont plus limités. Pour Kurtz, « cela est peut-être l’une des raisons pour lesquelles c’est l’équipe qui a le plus posté de joueurs en MLB ». Les deux dernières pépites coréennes, Ha-seong Kim et Jung-hoo Lee, sont issus des Heroes, tout comme Jung-ho Kang qui a joué aux Pirates de Pittsburgh de 2015 à 2019 ou Byung-ho Park, l’un des plus grands frappeurs de puissance de l’histoire de la KBO, qui a évolué une saison avec les Minnesota Twins en 2016 avant de revenir aux Heroes.

Jehoo Yoo met en lumière deux autres équipes en terme de popularité. La première, ce sont les Eagles qui retrouvent leur ace d’antan, Ryu « Les Hanwha Eagles auraient certainement un meilleur taux de fréquentation s’ils jouaient dans un stade plus grand. Ils en construisent un nouveau en ce moment ». La deuxième est l’une des équipes phares de la décennie précédente « Les Doosan Bears ont attiré une tonne de fans lorsqu’ils ont joué dans toutes les séries coréennes de 2015 à 2021 (remportant trois titres en 2016, 2018 et 2019), mais ils ont subi une légère baisse l’année dernière ».

Les autres équipes ne seront pas en reste. Les SSG Landers de la ville d’Incheon, qui ont dominé la KBO à la fin des années 2000, ont terminé champions en 2022. Les NC Dinos, basés à Changwon et avant dernière équipe à avoir intégré la ligue en 2013, l’ont été en 2020. La dernière équipe à avoir rejoint la KBO est la KT Wiz, en 2015. Champion en 2021, finaliste en 2023, le KT Wiz a pris une nouvelle dimension en recrutant une star en déclin et en la relançant, l’ancien des Heroes, 2 fois MVP de la ligue, Byung-ho Park. Enfin, la dernière équipe à citer sont les Samsung Lions. Avec huit titres de champion, les Lions affichent le deuxième meilleur palmarès de la KBO derrière les Tigers. Mais les Lions courent derrière un nouveau titre depuis 2015, ne participant aux playoffs qu’une seule fois depuis.

Qui sera champion en 2024 ? Difficile à dire quand on regarde les dernières saisons qui ont offert des champions différents, des surprises et des retours en grâce. Ce qui est certain, c’est que le public sera bien présent dans les tribunes. Les NC Dinos, sans être l’équipe la plus populaire, viennent pourtant de vendre en 45 minutes les 22 112 places de leur stade, le Changwon NC Park, pour leur Opening Day. D’une manière générale, à l’instar de la NPB ou de la ligue taïwainaise, les fans coréens sont connus pour assurer le spectacle. La passion pour le baseball transparaît à chaque match de la KBO avec une vraie culture du supportariat. Les tribunes offrent un tel spectacle, sans temps mort, durant les matchs que les places face à l’estrade des cheerleaders sont les plus prisées. La KBO est une ligue vivante, passionnée et innovante pour faire de chaque match un vrai show. Et ce, même quand les stades étaient désertés à cause de la pandémie, plaçant des fans en carton ou des robots dans les tribunes pour les remplir.

Les Seoul Series vont mettre un formidable coup de projecteur sur le baseball coréen et la KBO. Mais c’est bien la KBO qui a les cartes en main pour passer un cap sur le plan économique et sportif. A l’heure où la MLB accentue sa stratégie d’internationalisation, que la World Baseball Classic gagne en popularité édition après édition et que le baseball retrouve les Jeux Olympiques pour 2028, la KBO aurait bien besoin d’avoir son Ichiro ou son Ohtani, comme le symbole que la ligue et le baseball coréen auraient enfin changé de dimension.

Merci à Jehoo Yoo et Dan Kurtz d’avoir répondu à nos questions.


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